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Les normes du nouveau travail

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Octobre 1961

Nous connaissons tous les normes du travail scolastique. Nous y avons été soumis pendant toute notre jeunesse et nombreux sont encore les maîtres qui s'y conforment scrupuleusement. Elles sont dominées par le processus leçon du maître, en conformité avec le manuel scolaire qui donne les explications nécessaires, les résumés à mémoriser, les exercices à faire. On peut même dire qu'actuellement le manuel scolaire est le véritable maître, l'instituteur n'en étant souvent que le moniteur et le serviteur.

Le déroulement des leçons est réglé par l'emploi du temps : morale, lecture, vocabulaire, grammaire, calcul, histoire, géographie, sciences.

C'est apparemment simple. Les manuels sont tous bien présentés ; ils suivent une progression qu'on dit être celle de la pensée et des acquisitions des enfants; les parents peuvent suivre ces progrès qui mènent normalement aux examens.

Il n’y a qu'un hic dans le mécanisme mais il est de taille : il n’intéresse pas l’enfant qui n’en sent ni la motivation ni le but et qui, de ce fait reste passif. Il n’a pas soif. Oh ! je sais bien, pour certains inspecteurs ou parents, pour quelques maîtres aussi cela n’a pas d’importance : s’il n'a pas soif, iI n’a qu'à boire quand même, la soif viendra ! Où irions-nous s'il ne fallait faire faire aux enfants que ce qui leur plaît ! La vie sera autrement exigeante !

On dit cela, quand on n’a pas la responsabilité des enfants. Les choses changent quand on est tout le jour, là, au milieu de la classe, qu’il faut s'acharner à faire lire des élèves qui devraient apprendre d'abord à penser et à s'exprimer ; quand on doit faire apprendre par cœur les définitions et les règles de grammaire à des élèves dont la mémoire infidèle trahit la bonne volonté ; lorsqu'il faut faire comprendre le calcul ; et enseigner une histoire qui plane à cent lieues au-dessus des enfants ; étudier encore et toujours les leçons de sciences alors que la vie solliciterait en permanence le besoin d’observer et d'expérimenter les enfants.

Il y a maldonne. Le restaurateur avait une bonne clientèle, mais ce qu’il lui offre, pompeusement catalogué sur le menu, est en réalité peu appétissant. Nul n’en veut.

Il y a bien sûr, deux solutions possibles : améliorer le menu, soigner les plats ; améliorer l’atmosphère et le climat du restaurant pour redonner appétit et satisfaire cet appétit. C'est ce que nous essayons de faire à l’Ecole Moderne.

Il y a la solution que nul n'adopte dans la vie, car elle ferait fuir le client : obliger l'enfant à ingurgiter ce qui ne lui plaît pas et prévoir s’il le faut, comme dans les sociétés bien policées, toute une gamme de punitions pour rendre efficace cette obligation.

Le procès de cette scolastique, obligatoirement assortie de son corollaire les punitions, semblait définitivement jugé. Et voilà que la tentative réactionnaire du par cœur nous oblige à reprendre la campagne pour dénoncer une pédagogie qui n’a plus pour elle que la tradition et l'autorité.

Or, le système de remplacement est tout prêt. Notre pédagogie a maintenant son matériel, ses techniques, sa tradition et ses normes. Bien sûr l’UNIPRIX ne ressemble pas à la boutique artisanale. Il surprend peut-être au début, mais peu à peu une forme de commerce mieux à la portée des clients gagne la partie.

Ce sont ces normes que je voudrais rappeler en ce début d'année en disant comment fonctionne la grande classe de l'Ecole Freinet. Elle n'est pas un modèle mais un prototype dont vous pouvez vous inspirer pour prévoir d’autres normes de travail,

Nous disons d'abord que nous avons totalement supprimé les leçons magistrales. Nous dirons comment nous les faisons a posteriori. Nous avons supprimé de même les devoirs qui ne sont que devoirs, c'est-à-dire travaux à faire par obligation scolaire. Nous motivons au maximum toute notre activité.

Le matin, pour ouvrir la journée, chant : quelques enfants désignés d'avance chantent, parfois une chanson de leur invention, ensuite chant choral.

A 8 h 30, entrée en classe.

Les enfants ont devant eux une feuille blanche 21 x 27 pour dessin. Nous employons, par économie, toutes les feuilles, même imprimées d'un côté dont nous pouvons disposer. Deux enfants désignés d'avance viennent lire à leurs camarades une page, ou un poème préparés. Pendant ce temps, les autres élèves dessinent librement. Ils peuvent écouter tout en dessinant, mais nous ne leur faisons pas l'obligation de se mettre dans l'attitude de celui qui écoute. Quelques élèves qui ont un événement tout récent à raconter écrivent leur texte libre.

Cela dure dix minutes environ. On ramasse les dessins. On demande aux élèves de choisir rapidement les deux dessins à retenir. Ces deux dessins, au besoin complétés dans la journée seront incorporés dans le Livre de Vie de la classe.

Qu’est-ce que ce Livre de Vie de la classe que nous vous recommandons à tous ? Prenez une plaque de contreplaqué 23 X 30, une feuille cartonnée de mêmes dimensions. Percez dans chaque, deux trous à l'écarte- ment standard du perforateur. Achetez deux boulons longs de 3 à 4 cm qui réuniront les deux pièces de votre couverture.

Vous avez une reliure dans laquelle vous placerez au jour le jour ; les beaux dessins, le texte Imprimé, illustré si possible, les meilleurs textes libres non Imprimés, des comptes rendus d’observations et d'expériences. Au bout de quelques mois, le Livre de Vie est plein : on le détache de la reliure et on le porte à un imprimeur qui, de deux coups d'agrafes en fait un beau recueil, ou bien on relie soi-même avec des rubans.

Le Livre de Vie est disponible pour une nouvelle série.

Il est 8 h 45 environ. Nous abordons tout de suite le texte libre. Mais le texte libre est supprimé le lundi. Il est remplacé par Notre vie, texte que nous rédigeons en commun, qui passe en revue l'activité et la vie de la semaine qui vient de se terminer et qui prépare les projets pour la semaine qui commence.

La page de « Notre vie » sert chez nous de page de correspondance avec les parents.

Le samedi est parfois consacré à l'examen définitif des plans de travail. Dans la pratique nous avons régulièrement trois textes libres par semaine, plus la page du lundi.

Le responsable va au tableau et inscrit le nom des élèves qui ont un texte à présenter. Puis chacun vient lire son texte. On passe au vote : le texte est désigné.

On le met au point au tableau. Nous redirons dans un prochain article quelle peut être la part du maître pour la préparation de ces textes.

Chemin faisant on cherche des mots sur le dictionnaire, on fait des observations orthographiques grammaticales et syntaxiques. Puis on passe à la Chasse aux mots, c’est-à-dire vocabulaire sur les thèmes suscités par le texte, et grammaire (nous en reparlerons).

On répartit les lignes à composer. La première équipe se met au travail.

A ce moment-là commence le travail complexe : deux ou trois enfants sont à ta table d'imprimerie, d'autres lisent à tour de rôle, tous copient et font le travail de grammaire. Ceux qui ont terminé avant les autres vont se mettre à leur plan de travail individuel. Toute cette activité nous mène aux environs de 10 h 15 à 10 h 30. Nous aurons ensuite une demi-heure de calcul vivant et d’exercices divers de calcul. Il nous restera à nous 30 à 45 minutes de travail libre selon le plan,

Nous insistons sur le fait que cette première partie de la classe est à la portée de tous, qu’elle répond aux exigences des programmes et des horaires. Il suffit d'indiquer ; français, rédaction, lecture, vocabulaire, grammaire. Si même vous n'allez pas plus loin, si vous êtes encore dans l'obligation d'avoir recours au manuel pour le calcul, l’histoire, la géographie ou les sciences, vous n’en aurez pas moins réalisé dans votre classe une portion notable d'Ecole Moderne. Vous irez plus loin par la suite.

Voici pour ce qui nous concerne l'emploi de la deuxième partie de la journée :

Nous avons une sorte d'école à mi-temps. De 14 h à 16 h, activités multiples dans le cadre du plan : télévision scolaire, peinture, découpages, travaux d’atelier, maquettes, etc...

De 17 h à 19 h la classe reprend avec : de 17 h à 18 h : travail libre selon le plan, tirage du texte, lettres aux correspondants, etc...

De 18 h à 18 h 30, comptes rendus des travaux effectués.

De 18 h 30 à 19 h, conférences.

En quoi les écoles ordinaires peuvent-elles profiter de notre expérience ? Elles peuvent préparer ;

— de 13 h 30 à 14 h 30 : activités libres conformément au plan ;

— De 14 h 30 à 15 h 30 : leçons a posteriori après études et recherches conformément au plan ;

— De 15 h 30 à 16 h 30 : comme ci-dessus à l’Ecole Freinet.

Essayez ce nouvel horaire et cette forme de travail. Nous aimerions qu'une discussion s’institue sur ce thème et nous publierons les comptes rendus d'expériences qui nous parviendront. Il faut que nous puissions établir pour cette nouvelle école des normes acceptables pour tous et définitives.

C. FREINET.