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logo blog (R)évolution de l'éducation par la petite section - Une question d'indiscipline -

Et si le changement venait de la base ?

En petite section, les pressions sont moindres, pas d'évaluations de Mat. Sup. (Grande Section), pas d'urgence à savoir ânonner avant décembre, comme au CP. Et dans quinze ans, nul n'imputera à la petite section un échec au concours d'entrée à une prestigieuse école d'ingénieurs. Finalement, en petite section, on peut s'en donner à cœur-joie. Alors, pourquoi ne pas en profiter pour travailler avec plaisir et bonne conscience ? Les conditions s'y prêtent. Les enfants n'ont jamais mis les pieds dans une classe ou juste assez pour être jaloux de l'aînée qui y puise tellement de joie. Une fois les dernières larmes de circonstance essuyées d'un revers de main, tout ce qu'ils découvrent à l'école est nouveauté. Même si certains ont connu la crèche, ce n'est pas pareil. A trois ans, on est plus grand. On maîtrise ses sphincters. On est autonome. On parvient à une vision d'ensemble des possibles. On se localise vite, on repère le matériel. On se régale à être avec d'autres. On aime rire, construire, détruire, s'imaginer (« Moi, je serais un super héros et je ferais la cuisine... ») avec les copines et les copains. Il suffit que le maître y mette un peu le ton, qu'il fasse miroiter la palette de couleurs, apporte chaque jour un nouvel objet pour ne jamais s'ennuyer. Le groupe suit. La curiosité est reine. On est fier de se servir, seul, de colle, de ciseaux, de pinceaux, d'un balai. On prend plaisir à installer un repas de fiction, à presser les touches d'un clavier, à battre la peau d'un tambour, à jouer à la peur quand le loup surgit avec ses grandes oreilles et ses babines dégoulinantes. On se lance le défi de grimper tout en haut du mur d'escalade puis de sauter sur le tapis, tout en bas, comme au cirque.
 
Le ménage de rentrée
Si la bureaucratie est un fléau politique ayant contribué à ruiner l'espérance socialiste, si elle est un instrument de coercition et d'aliénation utilisé par tous les pouvoirs oppresseurs comme le néolibéralisme, alors chassons-la de nos classes émancipatrices. Gérons chaque école a minima administratif et institutionnel. Instaurons seulement le nécessaire. Ne perdons pas de vue l'essentiel : la vie. Passons au peigne fin la moindre de nos paroles, le moindre geste, le plus petit tableau, les plus simples objets présents en classe et questionnons leur utilité. Evitons le superflu qui encombre nos classes et l'esprit des enfants. Est-il indispensable d'en passer par l'attribution de « responsabilités » ? Ne calquons pas prématurément une organisation sociale pesante quand elle pourrait être contournée. Inciter tous les enfants à s'impliquer dans le rangement, est-ce un signe de négligence, sous prétexte que tous ne répondent pas à l'appel ? Les pseudo-métiers démocratiquement attribués aux enfants n'ont-ils pas pour revers d'accoutumer de futurs consommateurs à se décharger sur l'organisation ? Une fois la « tâche » assumée et le relais passé à un autre « responsable », pourquoi ne pas donner un coup de main gratuitement, juste par camaraderie ? L'institutionnalisation excessive nuit gravement à la spontanéité et à l'inventivité. L'institutionnel rassure certains mais en oppresse d'autres, enfants comme adultes.
 
Adiscipline en Petite section.
L'indiscipline n'existe pas en Petite Section. Au contraire, le maître consacre une part importante de son énergie à mettre les enfants en confiance. Un enfant de trois ans a déjà subjectivé l'ensemble de ses relations à l'autre et aux groupes. Si son comportement pose problème à l'ordre scolaire, de toute évidence, aucune réponse préétablie n'aura la fine exactitude de celle formulée pour un sujet précis considéré dans son intégrité et dans son contexte. La forme compte beaucoup. Pour porter, le moment et la manière de s'adresser à l'enfant doivent être adéquats. Cela évitera des répétions pour malentendu, parasitages, bruits ou manque d'attention.
En Moyenne Section, c'est encore autre chose. L'éducateur est souvent amené à opposer un non au non. L'âge a changé, les temps ne sont plus les mêmes. Les enfants se sentent pousser des ailes, le monde leur appartient toujours plus. Pourquoi se priveraient-ils de le croquer à pleines dents de lait ? Les adultes sont justement tutélaires quand ils tracent, par petites touches, un cadre sécurisant en distribuant autorisations et interdits, à la demande, au cas par cas, pour chaque sujet-enfant en devenir. Cette méthode est bien adaptée aux besoins de cette classe d'âge capable de se passer des tableaux de règles d'école caserne qui s'ignore.
 
Des vertus de l'indiscipline
Le traitement de l'organisation et des infractions est intimement lié à la personnalité de l'éducateur. Même en école traditionnelle l'attitude de chaque enseignant est distincte, rien d'uniforme dans leurs rapports aux les élèves. Chacun établit des relations en fonction de ce qu'il est. Il pénètre dans la salle de classe dans la vérité de son caractère. Le maître a un pouvoir exubérant. Il détient Savoir et Autorité. Il est garant des Libertés. Sa philosophie de la vie, de l'éducation, son idéologie, les plis de son psychisme, son histoire et la situation de l'école sont déterminants. Sa flexibilité face à l'agitation autour de lui, sa tolérance aux décibels, conditionnent sa mansuétude dans la classe. Un travail introspectif lui apportera sûrement des compléments d'information sur ce qu'il connaît déjà des origines de sa posture mais ne modifiera pas radicalement une idiosyncrasie1 aux origines archaïques. Si le travail sur soi éclaire, il n'automatise pas les métamorphoses.
La plupart des sociétés, la nôtre particulièrement, privilégient leur ordre sur le bien-être de leurs populations, la démocratie parlementaire assure une liberté certaine à ceux qui ont du bien. Dans ce contexte, assumer un peu de désorganisation relève vite de l'extrême subversion, du tabou. La souplesse est souvent lue comme manque d'autorité par la hiérarchie, les collègues, les parents, les enfants. Elle dérange le genre et ses symboles. Accusé de faiblesse, un homme indulgent est jugé dans sa virilité. Il menace la société dans ses fondements. La discipline est l'un des piliers de l'idéologie.
 
Du jeu dans les rouages
La gestion du groupe dépend des effectifs. Les problèmes de promiscuité augmentent avec le nombre d'élèves confinés en un même espace. Depuis près d'un siècle, nous implorons la diminution des effectifs de nos classes. Nous travaillons parfois dans des conditions extrêmes et les solutions ne relèvent pas de notre seul charisme. Dans la mesure où les conditions minimales sont réunies, en donnant de l'élasticité au système, l'éducateur peut s'engager à entailler des brèches. L'effectif d'élèves doit être acceptable. L'école ne doit pas être exagérément ghettoïsée. Les relations aux parents, à la hiérarchie, à la municipalité doivent être apaisées. Alors, le maître peut songer à une organisation de la classe offrant aux enfants une certaine souplesse. Quitte à assumer quelques perturbations, il est bon de laisser nos enfants respirer et sentir la responsabilité de leur liberté. Cela vaut la peine de prendre un peu sur soi pour éviter de limiter tout horizon à un code civil de la classe. Par son engagement militant en faveur de l'épanouissement et de la coopération, l'éducateur ne se contente pas de fonctionner, d'exécuter des programmes. Il pense sa pédagogie. Il s'érige en praticien-chercheur, il théorise sa pratique et élabore son éthique. Il ne se plie pas aveuglément à la discipline. Il est prêt à désobéir pour assumer ses choix. Il refuse de couler ses élèves dans le moule de l'ennui et de l'employabilité.
Chez les petits, on apprend à se parler, à s'écouter et à éprouver l'impact des mots. Plus tard, la réunion de Coopérative sied à la gestion du groupe en évitant toujours le carcan d'une chape disciplinaire même institutionnellement justifiée : « C'est comme ça. C'est écrit dans les règles. C'est le Conseil qui a décidé. »
 
Pour une petite section d'avant-garde
Notre pédagogie holistique en rupture avec un ordre établi au service d'une société inégalitaire a su rassembler des techniques éducatives ouvrant des chemins de traverse en expression orale, écrite, poétique, artistique, corporelle. Elle ne doit pas perdre de vue les contradictions découlant de cet engagement à contre-courant de l'idéologie dominante. Convictions et persévérance parviennent parfois à opérer des transformations, des évolutions au hasard de rééquilibres des rapports de force, en entamant la plasticité des infrastructures.
L'avenir est imprévisible. Les crises anthropologiques et écologiques nous alarment sur l'impossibilité de poursuivre dans la voie de la croissance consumériste. En petite section, vivre en paix avec soi-même et avec les autres est le seul projet éducatif tangible. Nous ignorons tout de l'organisation sociale qui prévaudra lorsque ces enfants seront adultes au milieu du 21ème siècle. La culture d'une paix intérieure corrélée à l'attention portée aux autres sont les postulats indispensables à l'imagination qu'ils auront à déployer pour métamorphoser ce monde en crise. La petite section est pépinière de cet avenir à moyen terme. Inutile de l'alourdir de pratiques passéistes. La teneur des relations humaines et le corpus des connaissances ne sont pas figées en un socle infaillible et éternel. La petite section accueille des enfants n'ayant pas encore introjecté un costume d'écolier. L'éducateur a les coudées franches dans l'élaboration culturelle comme dans les grégarités de classe. De ce flottement surgit une incertitude qui invite à l'invention et à l'originalité. Alors, un seul mot d'ordre :
Petites sections de tous les pays, unissons-nous !
 
1 L'idiosyncrasie est la disposition humaine à ressentir différemment selon les individus, une impression extérieure ou sensorielle.

 

 

 

message de Françoise Dor

Bonsoir Jean,
Très intérressant, ton texte.Je voulais y réagir.
En le lisant, j’avais rédigé quelques notes à t’envoyer, c’est seulement maintenant que je le fais.
Ce n’est pas toujours facile de mettre des mots sur ce qu’on vit au quotidien dans sa classe, de réfléchir sur nos attitudes. Toi, tu le fais,
je pense que c’est très important.
En lisant ton texte, je me disais qu’il faudrait aller plus loin.L’esprit dans lequel on travaille en petite section comme tu le décris
devrait se poursuivre en moyenne et grande section.
“En petite section, les pressions sont moindres”, dis-tu. Certes, mais je me demande pourquoi il faudrait mettre la pression, faire des évaluations
en moyenne et grande section? Ce n’est pas nécessaire à mes yeux. Personnellement, j’ai toujours lutté contre ces évaluations ( moins contraignantes
cependant en Belgique qu’en France).
“En petite section, on peut s’en donner à coeur joie”, écris-tu, mais cela devrait se poursuivre en moyenne et grande section.
Ne pas trop institutionnaliser, être souple, c’est indispensable dans nos classes pas comme les autres.
“En petite section, vivre en paix avec soi-même et les autres est le seul projet éducatif tangible” dis-tu. Et j’ajouterais, aussi en moyenne et grande section,
et même après!
Voilà quelques petites réflexions.
Bien cordialement.
Françoise

Au message de Françoise

Tu écris tout haut ce que je pense tout bas et qui me pousse à prendre la plume.
La Révolution de l'éducation par la petite section, ce serait le changement par la base en quelque sorte.