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Le travail du corps en maternelle

Quand on est remplaçant, on constate comment, en élémentaire, on ne s’encombre pas de sport. La maternelle a mieux résisté à la pression du seul gavage qui compte[1] dans la version libérale de l’école : celui du cerveau. A moins de terroriser les enfants de 2 à 6 ans, on ne peut oublier leur corps en les pliant dans la position assise derrière un pupitre plus de  cinq heures par jour.

 

De quel corps parle-t-on ?

Si l’objectif de l’école est d’aider les enfants à conserver un bon équilibre tout en se formant et en se préparant à une vie d’adultes épanouis et amicaux, alors les éducateurs se doivent d’être attentifs et à l’écoute des besoins du corps de leurs élèves. Une évidence ? Pas si sûr… De quels espaces disposent les enfants, en classe, dans la « salle de motricité » et dans la cour ? A quelles postures corporelles sont-ils soumis ? Quels gestes leur permet-on dans et hors les murs pour un développement physique harmonieux ? Que visent les leçons du corps ? Comment les éducateurs se prémunissent-ils de la transmission des préjugés de genre ou des dérives compétitives dont souffre le sport dans notre société ? Malgré toute notre polyvalence d’enseignants primaires, nous sommes bien incapables de réponses satisfaisantes à cette liste (non exhaustive) de questions. En attendant la société idéale qui libèrera de leurs entraves les frêles corps de nos jeunes élèves, faute de mieux, voici quelques pratiques envisageables dès à présent. 

 

En classe

Les enfants devraient disposer d’une certaine liberté de mouvements. Les éducateurs ont à se défaire du réflexe conditionné de concevoir uniquement des élèves assis sur des bancs ou sur des chaises.

Dans les « coins » et dans les ateliers, les chaises ne sont pas systématiquement obligatoires. Les enfants vivent des pratiques motrices en étant debout, accroupis, allongés et dans une infinité de positions. C’est une culture du corps en action. Au chevalet ou devant une table, on peut rester debout. Aux « coins » poupées, cuisine, voitures, avec les jeux de construction, on agit, on déplace, on dérange, on échange et on fabrique dans mille postures.

Dans l’espace de réunion, pourquoi ne pas s’asseoir par terre, sur du lino ? C’est à la portée de tous, dès la petite section. Cela permet de moduler la configuration spatiale du groupe qui, selon les nécessités, peut former un cercle pour communiquer en se faisant face ou bien se regrouper face à un individu, un livre, un tableau ou un écran. Après la réunion, cet espace devient bibliothèque ou espace de jeux de construction, au ras du sol. Le tableau est à la disposition des enfants pour dessiner, écrire ou jouer avec des aimants.

 

Dans la cour

Ce n’est pas nouveau, à l’école, lorsqu’on ne le dénie pas, le corps est brimé, brisé. Combien de punitions portent encore la marque de cette volonté de sévir, de tordre, les doigts au moins, contraints de faire des lignes jusqu’à en avoir des crampes. Dans combien de villages entourés d’immenses espaces verts, les cours de récréation sont encaissées en plein centre entre la mairie et l’église ? Comment rester insensible à la vue d’une cour de récréation souvent minuscule et vide, tradition des écoles élémentaires ? En maternelle, la différence est souvent ténue, particulièrement en ville ou l’espace est si cher. Pourtant on peut pallier partiellement le manque d’espace par quelques subterfuges : échelonner  les sorties en récréation, donner en libre utilisation du matériel de motricité, fournir des jouets éphémères comme des cartons d’emballage, des avions en papier ; insister auprès des financeurs (mairie, projets financés) pour l’installation, l’entretien, le renouvellement de structures ludiques, de vélos et autre mur d’escalade.  

 

En intérieur

L’institution tient à accorder une place de choix  à la culture physique. Dans la chronologie des cinq domaines d’apprentissage retenus par le programme de l’école maternelle de mars 2015[2], « Agir, s’exprimer, comprendre à travers l’activité physique » est placé en seconde position, juste après le langage. Que la construction des apprentissages passe par le corps  des jeunes enfants semble être un implicite, une évidence pour tous. Les attendus de fin de cycle dans ce domaine sont suffisamment vagues pour nous laisser les coudées franches.

Dans la salle traditionnellement consacrée à la culture physique, la salle de motricité, les pratiques physiques sont d’une grande amplitude en raison de la diversité des domaines, des approches et de l’extrême rapidité d’évolution des enfants entre 2 et 6 ans. En Grande Section, des jeux collectifs, des jeux d’adresse, des acrobaties, des esquisses d’athlétisme sont accessibles. En Petite Section, la différence de maturité induit une forte hétérogénéité. La maturation varie avec l’âge du sujet,  son histoire et la stimulation familiale. Entre deux ans et demi et quatre ans, un an de différence d’âge, cela représente le tiers, le quart d’une vie. C’est énorme. D’une façon générale, les gestes sont encore approximatifs et la conscience du groupe est en construction. A cet âge, tout est découverte. Les enfants sont curieux de tout. Alors pourquoi s’encombrer de consignes quand il suffit de donner quelques limites à la classe qui explore ?

Il suffit de ritualiser le moment du « sport ». Chez nous, c’est tous les jours de 15H30 à 16H après la sieste et un bout de récréation pour ceux qui dorment encore.

Les activités sont, la plupart du temps, induites par le matériel mis à disposition des enfants : La structure à grimper, l’incassable kit de parcours de Asco, les cordes à sauter, les cerceaux, les échasses, les balles, les ballons, les foulards, la cabane et le tunnel, les planches à roulettes, les matelas de dimensions et d’épaisseurs variées, etc . Parfois des combinaisons sont proposées, d’autres fois une idée est lancée et le maître s’improvise Monsieur Loyal d’un cirque imaginaire où les enfants deviennent animaux et clowns-acrobates. Il lui arrive de mettre la main à la pâte en participant à la construction d’un navire de pirates qui nous emporte dans un voyage d’escalades, de sauts périlleux et de jeux à se faire peur pour rire. Après, on range tous ensemble, sauf les tire-au-flanc. Il y en a peu car ranger est un attribut de grands et, a priori, chacun finit par vouloir grandir.

Le principal écueil de ce mode d’organisation est le bruit. Il est impossible de demander à plus de 20 enfants de s’amuser en silence. Le matériel se cogne, le ton monte pour se faire entendre. Le maître attire l’attention sur les nuisances sonores dont il semble être le seul à souffrir.

Une séance par semaine est consacrée à la danse sur une grande variété de musiques. Le rituel est immuable. Durant une trentaine de seconde, les enfants sont immobiles, attentifs au tempo. Au signal, ils viennent improviser leur chorégraphie. Parfois, certains sont invités à montrer leur style.

La plupart du temps, les séances de « sport » se terminent par un moment de détente. Les enfants sont invités à se reposer en écoutant une musique, douce, une musique calme, une musique de l’âme.

Nous travaillons rarement en demi-groupe même si cela comporte des avantages comme la diminution du bruit  ou une plus grande quantité de matériel à disposition.

Il nous arrive aussi d’organiser des rondes même pendant les récréations ou de danser en classe en chantant.

Une mode a traversé, cette année, nos réunions matinales : montrer une roulade ou exécuter une chorégraphie au centre du groupe qui applaudit. 

 

 A l’extérieur

A la campagne

 Enseignant en ville, je regrette la belle époque où un quart d’heure de marche suffisait pour nous rendre dans notre coin de colline  au pied de la Sainte Victoire. Deux après-midi par semaine, j’emmenais mes Moyens-Grands dans cet espace familier, toujours le même. Rapidement, ils connaissaient les frontières à ne pas dépasser. Là, ils étaient livrés à eux-mêmes, enfin, pas tout à fait. Arrivés en limite de notre terrain, ils s’y répandaient comme une volée de moineaux. Certains s’étaient même appropriés un espace où ils amélioraient une cabane ou un jardin  au rythme de chaque visite. Ma présence éducative consistait à naviguer de groupe en groupe pour discuter, aider, mettre en garde, donner de l’audace, insister, observer en silence. Au moment de rentrer, comme convenu, je sifflais un bon coup, tous accouraient et l’équipée prenait le chemin du retour. Inutile de dire la richesse de ces moments où la nature jouait pleinement son rôle de recours-barrière [3].

En ville, j’ai toujours été impressionné par la capacité d’adaptation des enfants, qui ne semblent pas affectés par de trop rares contacts avec la nature. Nous avons la chance, dans notre hyper-centre, de pallier ce manque par d’autres visites. Véritable troupeau au début, les petits conceptualisent progressivement l’idée d’un rang qui avance. Adulte, on a oublié la difficulté d’apprendre à marcher par deux sur un trottoir. Au Panier, nous profitons de la faible circulation de véhicules pour nous élancer, dès novembre, vers la bibliothèque municipale. A ce moment-là, j’ai vraiment l’impression d’être un berger en trans-humance.

 Quel voyage ces cinq cents mètres qui séparent l’école de la bib ! Au printemps, commencent, une matinée par semaine, les virées dans le quartier. Pour identifier les maisons de chacun. Observer la rue. Repérer l’école des grands,  notre Dame de la Garde, le Vieux Port, la mairie, le MUCEM. Puis traverser le port en  ferryboat. Fréquenter des aires de jeu, des parcs,  Longchamp, Pierre Puget. Visiter les musées à la Vieille Charité, Cantini ou au MUCEM.

 

En conclusion

Les programmes s’attachent à la culture physique alors que le corps humain est évidemment omniprésent à l’Etre en toute circonstance. La personne individuelle du jeune enfant est compacte, globale et complexe. Petites filles et petits garçons pensent aussi avec leur corps et avec leur cœur. Leur dextérité motrice se développe de concert avec leur maturation physiologique, leurs expériences sociales, leurs capacités intellectuelles. Vouloir découper en tranches de consignes, des apprentissages naturellement  conglomérés, est peine perdue.  Les maîtres habités par la hantise de leur inutilité se trompent. Leur présence est indispensable  pour témoigner de l’autorisation et du soutien adulte à l’édification  de l’humanité à venir.

 Marseille, mai 2015 - Jean Astier





[1]          Les évaluations nationales portent uniquement sur les maths et le français. Les autres « activités » peuvent passer à la trappe selon une échelle de valeur implicite, les arts et les corps étant les plus dévalorisés.

 

 

Le corps est essentiel

Que cela fait du bien de lire ce pour quoi je me "bats" depuis de nombreuses années dans mon école. L'importance du corps pour mieux "apprendre" ensuite. Je suis la maîtresse qui est toujours en vadrouille, qui rêve de nature mais qui sort le plus possible en ville car pas le choix. Et à pieds, on peut bouger et s'émerveiller de mille choses: Marcher vingt pas en levant la tête et le monde est différent!
Agir, s'exprimer sans parler (atelier mime) où quand certaines règles sont élaborées ensemble et que l'enseignant se laisse parfois aller à bouger aussi, cela fait du bien et resserre les liens.
Quel plaisir de te relire après tant d'années! Quelquefois, des recherches anodines ont du bon.
Pensées amicales
Isabelle De Souza Var

Merci Isabelle. Avec toute

Merci Isabelle.
Avec toute mon amitié.
Jean