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Dits de Mathieu - les laboratoires de la paix

Janvier 1951

Si on vous disait qu’il existe, dans un coin du monde, un laboratoire immense, dans lequel une armée d’ouvriers dévoués travaillent à longueur de journée une matière délicate qui peut, au gré des gouvernements ou des peuples, être asservie à la guerre ou devenir le plus décisif et le plus définitif facteur de paix, resteriez-vous indifférents ? Et déserteriez-vous le chantier sous le prétexte que le travail y est difficile, qu’on n’y a pas toujours les locaux ou les outils indispensables, que les ouvriers y sont à dessein mal payés et que, enfin, l’engin qu’on y prépare ne sera prêt que dans cinq ans, alors que le temps presse ?

Cinq ans ! L’Amérique n’a-t-elle pas mis cinq ans pour préparer sa bombe atomique ? Hitler n’a-t-il pas fourbi pendant plus de cinq ans les armes et les soldats qui ont failli lui donner un instant la maîtrise du monde ?

Cinq ans ! Juste le temps qu’il faudra pour que votre enfant de 13 ans soit emporté à 18 ans par la mobilisation générale !

Ce laboratoire immense, que d’aucuns semblent ignorer, c’est l’Ecole du Peuple ; c’est, en France, l’Ecole laïque, où nous ne nous contentons pas d’apprendre à nos enfants à lire, écrire et compter, mais où nous prétendons les préparer aussi à être demain des hommes capables de remplir, mieux que nous ne l’avons fait, leurs devoirs élémentaires de travailleurs et de citoyens. Certes, les ennemis du peuple ne se hâtent pas de nous faciliter la tâche et de nous donner les armes pour les battre ; mais ne serait-ce pas abdiquer et faire leur jeu que de leur abandonner passivement cette force imposante de la jeunesse qui monte !

On a dit que c’était l’instituteur prussien qui avait forgé la victoire allemande de 1870. Le patriotisme héroïque des poilus de 1914 était l’œuvre incontestable —- directe ou indirecte -— des grands laïques français du début du siècle. Quel honneur pour nous si on pouvait dire un jour que, sans perdre de vue les tâches immédiates qu’imposent les luttes urgentes à mener, nous avons su, par des techniques de travail à la hauteur des nécessités, former, dans nos Laboratoires de la Paix la génération qui saura, dans le respect de l’homme et de ses destins, bâtir de ses mains calleuses et meurtries la démocratie et la Paix.