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DITS DE MATHIEU - bois massif ou contreplaqué

Octobre 1950

De mon temps, me dit le vieux berger, nous n’étions pas pressés par la vie comme aujourd’hui. Si nous construisions notre cabane rustique, nous nous appliquions à l’asseoir, à la bâtir et à l’abriter comme si elle devait durer des siècles. Quand le menuisier taillait en plein cœur du noyer les belles planches des meubles qu’il fignolait avec amour, il avait conscience aussi de créer pour l’éternité.

C’était comme une loi du travail qui imprégnait notre façon de comprendre, d’asseoir et de construire la vie.

On dirait aujourd’hui que l’humanité retombe en enfance. Il vous faut des bijoux qui brillent, même s’ils se ternissent avant même d’avoir servi. Vous décidez de construire une maison et vous voudriez déjà l’habiter, comme cet enfant qui pénètre à quatre pattes dans la hutte à demi montée. Creuser des fondations, bâtir des murs de pierres... c’est bien trop fastidieux ! Amenez des briques systématiques et l’immeuble montera comme un château de cartes.

Il n’a pas belle allure ? Qu’à cela ne tienne ; l’enduit des murs masquera la fragilité de la construction et les meubles en bois blanc hâtivement collés seront recouverts d’un plaqué noyer ou acajou du plus bel effet aristocratique. Dans la bibliothèque habilement vernie s’aligneront des dictionnaires et des albums postiches avec tranches patinées et titres en or dignes d’un plus utile destin.

On m’objecte que ces déformations regrettables sont la rançon d'un progrès qui étend à la masse des hommes un ersatz du luxe et du confort qui étaient naguère l’apanage des privilégiés. Elles sont la tare d’une société mercantile qui sacrifie au profit égoïste les espoirs généreux des hommes.

Nous avons pour la culture du peuple d’autres ambitions et nous ne voulons pas que, à force de porter des bijoux de clinquant, de construire et d’habiter des maisons en château de carte et d’user de meubles en plaqué, vous ressembliez à ces bibliothèques aux rayons prétentieusement garnis de couvertures richement étiquetées mais à l’intérieur desquelles il n’y a même plus du vent.