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DITS DE MATHIEU - du pain et des roses

Juin 1952

Il faut, à nos enfants, du pain et des roses.

Le pain du corps, qui maintient l’individu en bonne santé physiologique.

Le pain de l’esprit, que vous appelez instruction, acquisitions, conquêtes techniques, ce minimum sans lequel on risque de ne pas atteindre à la santé intellectuelle souhaitable.

Mais les roses aussi. Non point par luxe mais par nécessité vitale.

Je regarde mon chien. Bien sûr, il lui faut manger et boire, pour qu’il n’ait pas faim et qu’il ne tire pas désespérément la langue. Mais ce dont il a plus de besoin encore, c’est d’une caresse du maître, d’une parole de sympathie, ou parfois d’une parole tout court ; c’est de cette affectivité qui lui donne le sentiment de la place, qu’il voudrait très grande, qu’il tient dans le monde où il vit ; c’est de courir dans les fourrés ou seulement de japper longuement le soir au clair de lune pour, semble-t-il, entendre résonner sa voix comme si elle ébranlait magnifiquement l’univers.

Vos enfants ont besoin de pain, du pain du corps et du pain de l’esprit, mais ils ont plus besoin encore de votre regard, de votre voix, de votre pensée et de votre promesse. Il leur faut sentir qu’ils ont trouvé en vous, et dans votre école, cette résonance qui donne un sens et un but à leur vie. Ils ont besoin de parler à quelqu’un qui les écoute, d’écrire à quelqu’un qui les lise ou les entende, de produire quelque chose d’utile et de beau qui est l’expression de tout ce qu’ils portent en eux de généreux et de supérieur.

Cette nouvelle intimité qui s’établit par le travail, entre l’adulte et l’enfant ; ce graphisme apparemment sans objet que magnifie la matière ou la couleur, ce texte qu’éternise l’imprimerie, ce poème qui est chant de l’âme, ce chant qui est comme un appel de l’être vers cette affectivité qui nous dépasse, c’est de cela que vit votre enfant normalement nourri de pain et de connaissances, c’est cela qui le grandit et l’idéalise, qui ouvre son cœur et son esprit.

La plante a besoin de soleil et de ciel bleu ; l’animal non dégénéré par la domestication ne sait point vivre sans l’air vif de la liberté. Il faut à l’enfant du pain et des roses.