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DITS DE MATHIEU - Pourquoi travailler?

Dans :  Principes pédagogiques › 
Octobre 1954

— Pourquoi travailler ? pourrait vous dire candidement l'enfant d' aujourd'hui

J'ouvre un journal, ou mon Mickey : partout des aventures, du sport, des compétitions, des discussions qu'on dit philosophiques. Mais qui donc travaille d'ans ce monde sinon les malheureux qui y sont condamnés ?

Je pars en ville : les devantures parient partout de luxe, de fanfreluches et de jouets. Les instruments de travail se cachent pudiquement dans les rues excentriques comme s'ils avaient à se faire pardonner leur présence de pauvres dans une société de parvenus qui rougissent de leurs origines.

Et l'Ecole ne connaît que des devoirs et des leçons qui sont pour nous ce que la machine est pour nos pères, un asservissement dont on se dégage dès qu'on en a la possibilité. Seuls les jeux nous enthousiasment et nous font oublier les exigences inhumaines du travail.

Le monde, pour nous, l'essentiel de ce qu'il nous offre ou nous impose, ce sont le ballon, les soldats de plomb, les collections d'images et nos journaux illustrés... sans compter le cinéma toutes les fois que nous pouvons y entrer.

Travailler ! Si je prends, un jour, clandestinement la pelle du maçon, la bêche ou la brouette du jardinier, le marteau ou les pinces de mon père, on me poursuit comme si j'avais commis un crime. Creuser des grottes, bâtir des châteaux, préparer un semis, dresser des barrages, fouiller les ruisseaux, monter et démonter des machines seraient pour moi les plus passionnantes des occupations, à tel point que j'en oublierais Mickey ou le cinéma. Ce sont, hélas ! des fruits défendus : il parait que nous salissons nos habits, écorchons nos doigts ou nos jambes, égarons les outils... Alors on nous renvoie à ce qu'on appelle ensuite des futilités.

Le travail, pour nous, conclurait cet enfant, c'est la malédiction : c'est l'outil qui salit les mains, l'usine qui ronge notre vie, l'esclavage qui nous déshonore.

Seul le jeu nous épanouit et nous libère. Voyez ses vedettes.

Et nous pourrions, en effet, faire notre mea culpa, en reconnaissant qu'il y a maldonne dans les principes mêmes de notre éducation, et que c'est d'abord par le travail qu'on prépare au travail dans une école et dans une société du travail.