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Dits de Mathieu - La technique et l'esprit

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Janvier 1958

La vieille forge artisanale avait été digérée par l'usine tentaculaire.

Les jeunes, que n'avaient pas encore irrémédiablement marqués les gestes ancestraux de la production, s'accommodent fort bien des nouvelles formules de travail. La machine s’est, chez eux, intégrée à une technique de vie qui n’est pas sans grandeur.

Mais les autres, ceux qui ont régné pendant trente ans dans l’atelier que leur marteau éclaboussait de gerbes d’étincelles souveraines ; ceux qui n'ont connu que le bruit du soufflet ou le chant de l'enclume, restent, quoi qu’ils fassent, les ouvriers de la vieille forge. Un rythme trop rapide les obsède, la multiplicité des opérations les désaxe, le cliquetis des machines leur est insupportable.

Si même ils s’y résolvent, par raison et nécessité, ils ne s’en imprègnent plus ; ils manœuvrent les machines selon les exigences techniques de l’entreprise, mais l’esprit reste artisanal. Ils ont compris peut-être, mais tout leur être proteste et aspire au paradis perdu.

Tel est le drame de l’éducation moderne.

Le maître aux vingt ans de service « fait » du texte libre, mais à la mode des rédactions d'autrefois ; il laisse les enfants dessiner mais non sans leur avoir donné au préalable des modèles de moulins à café ou de chapeaux du directeur ; il tolère la coopérative mais à condition d’en être l’ordonnateur ; il fera même un essai de journal mural mais accusent de mouchard l’enfant trop confiant qui osera une critique ingénue contre la souveraine autorité.

Il pratique une méthode moderne à la mode traditionnelle ; il en adopte, il en adapte à contrecœur la forme pour en pervertir l’esprit et faire victorieusement la preuve que nouveauté n’est pas forcément progrès et qu’il serait préférable, tous comptes faits, de s'en tenir aux bonnes vieilles méthodes « qui ont fait leurs preuves ».

Qui ont fait leurs preuves de l’impuissance où elles sont à résoudre les problèmes urgents que pose la vie au temps des « spoutniks » ; que, irrémédiablement tournées vers un passé qu’elles ont régenté, elles ne sauraient préparer l'audacieux et dynamique avenir.