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L’Ecole face à l’Evolution Moderne

Décembre 1958

L’Ecole face à l’Evolution Moderne

Tel sera le thème de notre prochain Congrès, qui se tiendra à Mulhouse, du 23 au 28 mars 1959.

Pourquoi avons-nous choisi ce thème?

Au cours de nos précédents Congrès, nous avons étudié :

LA SURCHARGE DES EFFECTIFS, et nous avons lancé alors notre objectif des 25 enfants par classe. Ce principe tend aujourd’hui à être officiellement admis comme un but presque idéal, que des mesures administratives, sociales et politiques devraient permettre d’atteindre un jour.

LE RENDEMENT SCOLAIRE qui nous a permis de préciser les normes souhaitables d'organisation, de travail, de mesure et de contrôle.

LA DISCIPLINE qui s’est révélée comme l’aboutissant de considérations complexes qui débordent le milieu scolaire et son appareil simpliste d'autorité et de sanctions.

Dans toutes ces études, nous nous sommes toujours heurtés aux impératifs du milieu ; nous avons élargi le cadre du problème pédagogique ; nous sommes aujourd'hui à pied d’œuvre pour normaliser notre travail, comme un industriel normalise ses installations, c'est-à-dire en tenant compte de tous les éléments qui, de près ou de loin, s’intègrent dans le problème de cette normalisation.

NOTRE ÉCOLE NE FONCTIONNE PAS BIEN ; ELLE N’A PAS LE RENDEMENT QUE NOUS SOUHAITERIONS. IL FAUT TROUVER DES SOLUTIONS.

Tel est, en somme, le problème que nous avons à discuter en vue du prochain Congrès de Mulhouse.

NOTRE ÉCOLE NE FONCTIONNE PAS BIEN : on s’en rend de plus en plus compte, non pas seulement (nous le reconnaissons humblement) parce que nous avons longuement et patiemment mené campagne pour éclairer parents et maîtres, mais aussi parce que l’inadaptation de l’Ecole devient si flagrante et si dangereuse, qu'il faut avoir les yeux définitivement obscurcis par la scolastique pour ne pas l'apercevoir.

S'appliquer à faire cette preuve n'est nullement déconsidérer l'École laïque et ses bons ouvriers.

Quand le paysan examine une dernière fois sa vieille charrue, il ne risque point d’en parler avec un quelconque mépris, au contraire : comme d'une maison que l’on abandonne pour le building «confortable», il se rappelle alors tout ce qu’elle lui a valu, de peine, certes, mais aussi de joies profondes et de profit. Mais les chevaux sont, aujourd’hui, impossibles à nourrir ; mais la charrue ne va pas assez vite et ne peut concurrencer les poly-socs... Alors, le paysan achète un tracteur qui répond mieux aux nécessités de l’heure.

L'École dont nous faisons aujourd'hui le procès a été l’École exaltante et d’avant-garde du début du siècle, avec ses maîtres, ses « saints laïques », Mais en quarante ans, la vie autour de nous a évolué à un tel rythme, les enfants eux-mêmes sont si différents de ce qu'ils étaient, que des changements sont indispensables.

A la vie de 1958 doit répondre une École, une pédagogie de 1958.

Nous avons souvent traité de ces questions. Il nous faudra les reprendre pourtant, ne serait-ce que pour faire le point à partir duquel nous essaierons de chercher et de construire du neuf et de l'efficient.

J'ajouterai cependant ici une constatation : sous l’effet, sans doute, de nos efforts, du fait aussi que le décalage entre l’École et la vie du milieu devient de plus en plus criard, des doutes naissent, des critiques s’élèvent. L’Ecole traditionnelle a cessé d'être tabou, Et, dans ce domaine plus que dans tout autre, cette inquiétude est l’annonce inéluctable de changements prochains.

Il nous faudrait pousser à la roue, par !a publication de documents condamnant le retard catastrophique de nos méthodes pédagogiques.

a) Nous chercherons les opinions de diverses personnalités qui ont su, sous des formes parfois décisives, faire le procès de l'École.

Nous demandons à nos camarades de nous faire parvenir les documents qu’ils pourraient posséder et qui sont susceptibles de prendre place dans notre dossier.

b) Mais nous avons constaté — et c’est profondément réconfortant — que de nombreux parents répètent aujourd’hui, à peu près mot par mot, les critiques que nous avons nous-mêmes tant de fois formulées et qui faisaient, jusqu’à ce jour, scandale.

Nous avons un certain nombre de lettres de parents qui méritent d’être citées intégralement.

Du moment où l’École, par sa faute, a perdu une grande partie de son prestige, les langues se délient. Les parents comprennent très bien que les méthodes traditionnelles abêtissent les enfants, que les notes faussent les données mêmes du travail, que les examens ne sont qu'une solution déplorable pour l'aiguillage vers la vie, que les devoirs du soir sont à proscrire, que la vie des enfants et des maîtres est elle-même compromise, parfois irrémédiablement.

Nous demandons à nos camarades d'écouter parler les parents d’élèves et d’exprimer ce qu’il reste de bon sens dans le peuple. Enregistrez au magnétophone si possible. Organisez des séances de discussions et de débats.

Nous publierons l'essentiel de ce que vous nous aurez envoyé. Ce qu’auront pensé et déclaré les parents sera peut-être plus susceptible de convaincre les usagers de l’École en général et les instituteurs en particulier.

c) Mais le paysan ne juge les déficiences de sa vieille charrue qu’en fonction de ce que lui promet la nouvelle mécanique.

Les insuffisances de notre École n’apparaîtront de même au grand jour qu'à la lumière aujourd’hui probante de l’École Moderne.

Je vous envoie, avec mes meilleurs souvenirs et affections, nous écrit une maman d’élève, des nouvelles de Pierre, mon fils (qui a passé deux ans à Vence). Il n’a pas oublié l'Ecole et il nous en parle souvent : « Nous, à l'Ecole Freinet, on fait... » Comme s'il devait y repartir après-demain... Il travaille bien : brillant en français, en latin, en langues, en histoire, en géographie, en sciences naturelles... Je vous en sais le plus grand gré, car c'est chez vous qu'il est sorti de son enfance maladive...

Et Pons me rappelait l’observation d'un vieil original de son village qui lui disait : « Parmi la bande de gosses qui sortent à midi, le reconnais ceux qui sont vos élèves ».

Vous avez certainement autour de vous des observations et des attestations semblables. Il faut les recueillir, les solliciter au besoin et nous les faire parvenir. Elles seront le bouquet de témoignages qui fera réfléchir, bien plus que toutes les justifications pédagogiques que nous pourrions apporter.

Je demande à nos Groupes Départementaux d’organiser des séances spéciales sur ce thème et j’attends une masse de documents.

NOTRE ÉCOLE N'A PAS LE RENDEMENT QUE NOUS SOUHAITERIONS.

Mais que souhaiterions-nous, au juste? Que devrait rendre cette École? Quelles sont ses insuffisances flagrantes ? Sur quels points devraient porter les premières reconsidérations ?

Il nous faut pour cela, consulter les usagers de l'Ecole.

Nous demanderons aux adolescents et aux adultes de détecter ce qui, dans l'École qu'ils ont suivie, leur a semblé utile, insignifiant ou nuisible.

Nous sollicitons tout particulièrement l'opinion des personnes qui n’ont pas réussi à l'École — et elles sont hélas ! nombreuses. (Nous pourrions même essayer d'établir des proportions).

Nous nous méfions des témoignages d'intellectuels qui, particulièrement doués, avec une excellente mémoire, des prédispositions favorables nées du milieu ont été, malgré le système scolaire, des têtes de classes qui n’ont que très relativement souffert des rigueurs traditionnelles.

Mais ces têtes de classes, qui auraient beaucoup mieux rendu avec une autre forme d'École, ne constituent que 10 ou 20 % des effectifs scolaires. C’est du témoignage des 80 % restants que nous avons besoin.

Nous invitons également les parents d'élèves à regarder vivre et travailler leurs enfants, à noter leurs échecs et leurs succès, à écouter leurs plaintes, Leurs attestations nous seraient précieuses.

Les employeurs, enfin, donneront de même leur point de vue sur la qualité des apprentis et des ouvriers qu'ils emploient et sur la formation qu’ils souhaiteraient, non seulement au point de vue technique, mais aussi pour leurs aptitudes à résoudre les problèmes complexes des entreprises contemporaines.

C'est pour savoir ce que nous devons demander à l’École et à la pédagogie de 1959, que nous lançons la grande enquête ci-jointe.

Nous demandons à tous nos adhérents et à nos Groupes Départementaux d’assurer la diffusion de ces questionnaires — et leur rassemblement, bien sûr — d’en préparer l'insertion dans les Bulletins Syndicaux et les journaux régionaux et locaux,

Nous examinerons, dans les prochains numéros, quelques-unes des réponses qui nous sont déjà parvenues.

Sur simple demande, par carte postale, nous adressons gratuitement le nombre d’exemplaires demandé de ces questionnaires. (Les enregistrements magnétiques seront les bienvenus).

LE PROBLÈME AINSI ÉQUITABLEMENT POSÉ, nous nous appliquerons à présenter les solutions que nous avons déjà acclimatées dans nos classes et celles dont nous aurons à poursuivre l’étude.

Car le Congrès de Mulhouse — comme les précédents — ne sera qu’une étape vers cette recherche coopérative d'une pédagogie susceptible de préparer en 1959, l'homme qui, dans cinq ans ou dans dix ans, devra, mieux que nous ne l'avons fait, dominer les difficultés d’un monde hallucinant et asseoir, sur de nouvelles bases, la société de liberté, d'égalité et de fraternité dont nous rêvons.