Raccourci vers le contenu principal de la page

De quelques-unes des questions essentielles que nous devons étudier cette année

Octobre 1958

Outre l'étude des divers problèmes technologiques correspondant à l'activité de nos 30 commissions, il nous reste à discuter ici de quelques-unes des graves questions dont la solution est pour notre Ecole une question de vie ou de mort,

Je les signale ici pour que vous y réfléchissiez et que nous en préparions ensemble l'examen,

1°- Le problème de la surcharge des classes est au centre de toutes les difficultés croissantes de notre Ecole. Quand le nombre des élèves dépasse le taux normal, les locaux deviennent trop petits, la discipline se complique, le travail devient impossible. L'Education fait faillite.

Plus que jamais nous devons diffuser notre mot d'ordre 25 ENFANTS PAR CLASSE.

2°- LES LOCAUX SCOLAIRES : Les écoles casernes sont-elles une solution d'avenir ou ne faudrait-il pas tout de suite préconiser une autre organisation ? Laquelle ?

3° — L'EQUIPEMENT SCOLAIRE : C'est parce que les instituteurs s'obstinent à travailler en 1958 avec les outils de 1889 que les salles de classe conservent la formule d'il y a 70 ans, avec, pour tout matériel de travail, les bancs, les tableaux, les manuels scolaires. Les architectes continuent à construire pour ce genre d'école, ce qui est un monstrueux anachronisme. Il nous appartient à nous de faire connaître la physionomie nouvelle d’une salle de classe.

Nous espérons exposer à Mulhouse un prototype de classe-atelier moderne.

4°— LA VIE DU MILIEU ; Au lieu d'avoir un milieu aidant, l'enfant contemporain est handicapé par un milieu excitant et déséquilibrant :

- logements étroits, sonores et bruyants.

- manque de place pour jouer ou expérimenter.

- emprise de la rue et des machines.

- Influence très pernicieuse des journaux et revues illustrés et du cinéma.

- mauvaise alimentation avec excès de toxiques excitants, déséquilibrants.

- désagrégation des familles. Enfants sevrés trop tôt d'affectivité.

Il y a là un complexe d’éléments contraires à l'éducation et qui sont une menace très grave contre laquelle il nous faut essayer de lutter. Nous reprendrons notamment notre idée de création autour de l’Ecole de MAISONS DE L'ENFANT, ou, en dehors de 1'Ecole, l'enfant retrouverait un havre de paix et de travail. Ces MAISONS DE L‘ENFANT devraient être en effet équipées en ateliers de travail, avec des professeurs spéciaux ou les instituteurs qui y feraient là les heures supplémentaires rémunérées des études.

Il serait souhaitable que se créent quelques prototypes expérimentaux…

5°- Il nous faut revenir au problème de la DISCIPLINE. La discipline autoritaire a fait faillite. Mais là où ne l’a pas remplacée une discipline personnelle et coopérative, une discipline du travail, c'est l'anarchie qui est parfois pire que la discipline autoritaire.

Cet état de fait a fait poser à quelques personnalités la question de savoir s’il ne nous fallait pas revenir à une DISCIPLINE DE FERMETE. Et l’on sait jusqu’où cela peut mener. Les CAHIERS DE L’ENFANCE ont ouvert une enquête à laquelle nous avons répondu. Nous en rediscuterons ici.

6° Pour ce qui concerne l'activité plus spécifiquement scolaire, nous voulons pousser plus particulièrement à la transformation de 1'Ecole en ATELIER CE TRAVAIL, avec possibilité complexe et multiple d'expériences, avec du matériel et des outils adéquats dont nous devons poursuivre l'étude. Outre le matériel d'imprimerie, de limographie, de BT, d’autocorrection, de gravure, que nous avons réalisé et qui se diffuse à un rythme encourageant, il nous faut développer la production de nos Boites de travail dont la BOITE ELECTRIQUE est le prototype.

Nous nous proposons de réaliser :

- une Boite photo

- une Boite naturaliste

- une Boîte chimiste

- une Boite optique

- un four à poterie marchant sur le courant lumière

7°- Nous allons étudier internationalement le problème des examens, qui conditionnent si défavorablement les programmes et la pratique de nos classes. Nous ne nous contenterons pas de critiquer. Après avoir étudié les systèmes plus progressistes en usage dans divers pays, nous établirons des prototypes d'examens à expérimenter, notamment pour l’entrée en 6ème et le CEP, plus tard pour les enseignements du 2ème degré si nous avons un jour la collaboration tant souhaitée de ce 2ème degré et C.C.

8° Nous devons développer encore nos études sur 1’ART à 1’EC0LE dans tous les domaines. Nous sommes là à l’avant-garde, mais une avant-garde qui suit désormais une masse de plus en plus importante d’éducateurs.

9° - Sur le plan plutôt philosophique, nous aurons à réexaminer L'INCIDENCE DE L’EVOLUTION SCIENTIFIQUE ACCELEREE SUR LA CONCEPTION DE LA VIE ET SUR LA CULTURE.

Voici ce que dit à ce sujet Bertrand Russell, prix international de vulgarisation scientifique Kalinga, dans son discours prononcé lors de la cérémonie de remise du prix :

Si Homère et Eschyle n'avaient pas existé, si Dante et Shakespeare n'avaient pas écrit un seul vers, si Bach et Beethoven étalent restés silencieux, la vie quotidienne de la plupart de nos contemporains, non seulement des Américains et des Européens de l'Ouest, mais aussi des paysans indiens, russes et chinois, serait profondément différente. Or, ces transformations profondes ne font que commencer. Elles affecteront certainement l'avenir encore plus qu'elles n'affectent le présent. ACTUELLEMENT, LA TECHNIQUE SCIENTIFIQUE PROGRESSE A LA FAÇON D'UNE VAGUE DE CHARS D'ASSAUT QUI AURAIENT PERDU LEURS CONDUCTEURS, AVEUGLEMENT, IMPITOYABLEMENT, SANS IDEE NI OBJECTIF. La principale raison en est que les hommes qui se préoccupent des valeurs humaines, qui cherchent à rendre la vie digne d'être vécue, vivent encore en imagination dans le monde préindustriel, ce monde qui nous a été rendu familier et aimable par la littérature de la Grèce et par les chefs-d’œuvre - que nous admirons à juste titre - des poètes, des artistes et des contemporains de l'ère préindustrielle.

Ce divorce entre la science et la Culture est un phénomène moderne.

Cette évolution accélérée de notre inonde fou repose d'ailleurs d'une façon parfois angoissante le problème de la destinée, si proche, par atavisme peut- être, de celui de la religion et de l’art.

Ce qu'il y a de certain, c'est qu’il faut que nous redonnions une âme à notre éducation. Nous le pouvons puisque nous avons, dans une large mesure, redonné une âme aux éducateurs qui bénéficient aujourd’hui de nos techniques.

10° - Et cela nous amènera au problème général d'une CONCEPTION MODERNE DE LA VIE. Nous avons pour cela une infinité d'erreurs à redresser, suscitées et perpétrées par le scolastique, exploitées ensuite par la presse et la radio.

Nous reprendrons l’étude de notre psychologie que nous placerons hardiment à la base de notre Education du travail.

11°- Nos efforts seront enfin quelque peu canalisés vers l'étude du thème de notre prochain Congrès, que nos camarades du Haut-Rhin préparent de mains de maîtres à Mulhouse pour Pâques prochain.

Ce Congrès aura lieu, comme toutes les années dans la semaine qui précède Pâques et que nous vous demandons de réserver à ces importantes assises.

Dès maintenant prévoyez le voyage, groupés par autos ou par cars. Vous ne le regretterez pas.

Nous avons choisi comme thème :

" L'ECOLE FACE A L’EVOLUTION MODERNE "

Ce thème, on le voit, synthétise et les discussions de nos précédents congrès et les préoccupations multiples dont nous venons de dire l'urgence.

Polytechnisme, rendement, discipline, réforme des examens, doivent être prévus en fonction du milieu que devra affronter et maîtriser, l'enfant de demain.

Nous aurions pu tout aussi bien rééditer notre mot d'ordre de toujours : UNE ECOLE 1959 POUR L‘ENFANT DE 1959.

Il devient aujourd'hui superflu de dire que l'Ecole est dangereusement en retard sur le monde ambiant, qu'elle travaille avec du matériel, des outils, une installation, des méthodes du début du siècle, et qu’elle ne prépare donc pas à la vie.

Pour répondre aux besoins de cette vie, nous allons, dès notre prochain numéro, lancer des questionnaires qui nous permettront de connaître les besoins; ce qu'attendent de l'Ecole; les parents, les chefs d'entreprise, les chefs d'établissement et les professeurs des divers degrés, les instituteurs et les enfants eux- mêmes.

Nous ne nous contenterons pas d'épiloguer sur le résultat de cette enquête nationale et internationale. Nous présenterons des solutions, et des solutions longuement expérimentées qui sont dès maintenant applicables. Le congrès présentera ces solutions qui matérialiseront les expositions technologiques, techniques et artistiques (prototype de classe moderne - installations d'ateliers, boites d'outils, matériel de peinture etc…)

C’est dans la mesure où nous présentons des solutions valables, que nous contribuons à poser les problèmes et à faire avancer la pédagogie. C'est là notre rôle essentiel, le rôle de notre équipe dynamique de plusieurs centaines de travailleurs, de montrer les voles possibles. Et nous sommes réconfortés par les résultats déjà obtenus.

-notre idée d’Ecole du travail, d’Ecole atelier progresse incontestablement,

- notre campagne - téméraire au début - de 25 enfants par classe, a déjà porté ses fruits. Si le nombre des classes surchargées n’a pas diminué, un fait est du moins acquis : parents et éducateurs se rendent compte que cette surcharge est une calamité dont ils ne doivent pas accepter la permanence.

- notre action des années passées pour une discipline plus humaine a porté devant le public le drame des fosses aux ours et des écoles casernes. Le monde pédagogique est en attente de solutions valables.

- Nous avons contribué à poser plus humainement le problème de l'affectivité que nous solutionnons par nos techniques.

-nos techniques, notre matériel pénètrent chaque année davantage dans les écoles. Le succès des peintures d'enfants est particulièrement typique.

Nous n’avons pas la prétention de penser que nous sommes obligatoirement les Deus ex machina de toute évolution pédagogique. Nous pensons humblement que notre effort de trente-cinq ans trouve aujourd'hui des résonances de plus en plus fertiles. Si le nombre des écoles modernisées ne s’accroit pas à un rythme accéléré, contrarié qu’il est en permanence par les conditions sans cesse aggravées de notre Ecole, il n'en reste pas moins que des TEMOINS existent désormais, éloquents et décisifs, des rayons de soleil qui font apparaître plus obscurs et plus menaçants les recoins d’école traditionnelle,

Nous avons lancé des prototypes, des techniques de vie scolaire et de travail nouveau sont en train de naître et d'évoluer ; des modes apparaissent. Notre pédagogie est en mouvement. Nous y sommes sans doute pour quelque chose. Quand nous disons NOUS, nous voulons dire les milliers de camarades qui depuis trente ans se sont dévoués à une œuvre dont ils peuvent aujourd'hui avoir la fierté de la voir porter ses fruits et de s'inscrire, par la pratique dans l’histoire de notre pédagogie.