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Merci aux bons ouvriers et aux amis de l’Ecole Moderne

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Mars 1962

Actualités de l’Ecole Moderne

 
Merci aux bons ouvriers et aux amis de l’Ecole Moderne
 
Nous voudrions, à l’occasion de l’émouvant élan de solidarité suscité par l’incendie de la C.E.L., rappeler aux jeunes à qui nous passons aujourd’hui notre héritage ce qu’ils doivent aux vieux militants de notre mouvement et à quel point leur exemple mérite d’être considéré et imité.
 
Ils ont été nombreux à nous écrire comme notre cher camarade Lallemand : « Je regrette tant de n’avoir pas encore pu dégager de mon budget handicapé par la construction l’obole que j’aurais bien voulu envoyer comme tant d’autres à la C.E.L. » ; ou comme X... qui, au moment de prendre sa retraite a besoin de se trouver une maison et fait rentrer ce qu’il lui reste en dépôt à la C.E.L. en disant : « Prélevez 50 NF. C’est tout ce que je peux faire » ; ou Péré qui va « redoubler son travail désintéressé pour la C.E.L. » et tant d’autres dont je m’excuse de ne pouvoir citer les paroles émouvantes de solidarité et d’amitié.
 
Et je sais que s’il y avait danger, si je devais lancer un nouveau S.O.S., c’est vers eux encore, vers ceux qui, pendant vingt ou trente ans ont vécu notre vie de travail et de sacrifices pour l’œuvre commune, que je m’adresserais avec la certitude qu’ils répondraient une fois encore à notre appel.
 
C’est à l’intention des jeunes qui continuent heureusement la tradition, qui nourrissent nos commissions et viennent d’adhérer à la C.E.L., que je voudrais dire ce qu’ont fait ces « vieux » camarades qui s’excusent de ne pouvoir donner plus.
 
Lallemand qui voudrait encore envoyer quelques billets de mille collabore depuis trente ans à notre travail. Il a été le généreux ouvrier N°l et l’animateur de nos fichiers auto-correctifs, de nos dictionnaires et il prépare encore aujourd’hui un dico de sens que nous voudrions bien pouvoir éditer. Il n’a jamais perçu aucune indemnisation pour ce travail, et l’idée ne lui est jamais venue qu’il pourrait en recevoir une.
 
Prenez les B.E.N.P., les premières B.T. Vous trouverez là la liste de tous les vieux adhérents qui ont toujours offert, avec enthousiasme, leur travail à l’œuvre coopérative. Je n’ai pas assez de place pour citer ici tous ces noms. Vous les retrouverez aussi dans Naissance d’une Pédagogie Populaire, disparue dans l’incendie et que nous allons rééditer en la complétant encore. Cette naissance et son développement sont une aventure pédagogique sans doute unique qui se suffit à elle seule pour montrer aux jeunes et aux moins jeunes les voies qui nous ont menés, et qui nous mèneront, non pas au succès financier qui n’a jamais été notre but, mais à la réalisation exaltante d’une pédagogie qui nous élève et nous libère.
 
Vous y trouverez aussi relatées les grandes crises au cours desquelles il nous fallait lancer des S.O.S., dont le nombre, je le sais, ne se compte plus : quand nous avons entrepris témérairement nos premières éditions (Fichier Scolaire Coopératif - La Gerbe) et nos livres pour lesquels nous recueillions jusqu’à quatre à cinq cents souscriptions ; quand nous avons acheté les premières machines et notamment nos fondeuses qui furent notre première richesse coopérative ; quand il a fallu acquérir le parc de la C.E.L. et y construire, par nos propres moyens, une maison qui est aujourd’hui notre sécurité.
 
Pour ces réalisations essentielles, des centaines de camarades ont versé sans compter à la C.E.L.
 
Et plus près de nous, quand nous avons subi la crise Rossignol avec un brusque trou de 40 millions d’anciens francs dans notre trésorerie, c’est encore naturellement à nos adhérents, anciens en tête, que nous nous sommes adressés, et ils nous ont versé - en prêt - 17 millions qui nous ont permis de sauver la situation.
 
Nous en aurions eu autant maintenant s’il l’avait fallu. Ce qu’il nous fallait aujourd’hui plus que l’aide en argent qui n’est jamais négligeable, c’est l’ardeur et la solidarité nouvelles pour reconstruire, des adhésions massives à la C.E.L. qui pourra ainsi, avec plus de sécurité, continuer sa route, des ouvriers pour nos éditions, des travailleurs qui honorent nos techniques en montrant dans leur classe ce que pourrait être, ce que sera demain l’Ecole laïque quand nous lui aurons insufflé cet esprit de libre coopération, de recherche et de travail dans des perspectives sociales et humaines qui donnent un but à nos efforts.
 
Notre appel a été entendu. Notre Congrès de Caen sera le Congrès du renouveau. L’argent n’est qu’accessoire. Nous en avons toujours trouvé quand nos entreprises le nécessitaient. Ce qui est plus délicat à faire naître, à épanouir et à promouvoir, c’est le travail créateur qui nous redonne sécurité et dignité, et joie.
 
Car c’est sur ce dernier aspect que nous insisterons en terminant : tous ces vieux camarades nous disent et vous diront que ces sacrifices qu’ils ont fait tout au cours de leur vie ont été largement récompensés. Ce n’est pas la C.E.L. ou l’Ecole Moderne qui leur est redevable ; ce sont eux qui se sentent redevables à l’Ecole Moderne pour ce qu’elle leur a apporté d’unique, non seulement dans leur métier, mais dans leur vie.
 
C’est tout un livre collectif qu’il nous faudrait écrire pour que la masse des éducateurs pliés à une tâche dont le moins qu’on puisse dire c’est qu’elle est sans satisfactions profondes et sans horizon, prennent conscience des conditions regrettables où ils sont confinés. Nous dirions, nous, comment nos techniques, nos conditions nouvelles de travail, le climat de notre classe, au sein du climat général de notre mouvement, transforment notre métier et notre vie, en leur donnant cette lumière intérieure et ce soleil sans lesquels un homme ne saurait remplir les fonctions indissociables d’homme et d’éducateur.
 
C’est cette flamme que, ensemble, nous avons fait briller, et c’est là notre essentielle conquête. Tout comme dans nos classes d’ailleurs : qu’importent méthodes et techniques, l’essentiel est qu’y brille le soleil. Nous vous apportons pour continuer notre oeuvre, nos secrets majeurs que vous saurez exploiter et magnifier.
 
C’est un devoir aussi pour nous d’associer à cet hommage, nos vieux ouvriers et employés C.E.L. : notre cher Paignon qui partira en retraite en octobre prochain et qui a été non seulement le spécialiste de la fondeuse, mais aussi le type exemplaire de l’ouvrier dont l’intelligence a su passer dans les mains, dans le sens qu’il a de la recherche et de la création et qui nous a aidés magistralement par un long tâtonnement, pour la mise au point de nos outils les meilleurs.
 
Et nous n’oublierons pas davantage nos anciens et anciennes employés dont la C.E.L. est la maison pour laquelle ils travaillent avec tant de cœur, et nous les en remercions.
 
Une mention toute spéciale enfin, doit être faite à l’aide permanente que nous avons toujours trouvée dans le mouvement coopératif : Banque Centrale de Crédit Coopératif qui ne s’est pas contentée de voir en nous, comme le font les autres banques, un client, mais un Coopérateur qui a droit à l’aide permanente des organismes coopératifs ; Caisse Centrale de Crédit Coopératif, qui finance nos achats de machines ; SACEM, organisme d’assurance qui nous a conseillé notamment pour le règlement du récent sinistre.
 
Que tous les amis enfin, que nous savons si nombreux qui nous ont manifesté l’intérêt qu’ils portent à nos travaux : instituteurs, inspecteurs, directeurs d’Eccles Normales, élèves-maîtres, professeurs, élèves de nombreuses écoles, libraires, éditeurs, administrateurs, fournisseurs, parents d’élèves, veuillent bien trouver ici nos plus vifs remerciements pour non seulement l’aide matérielle, mais plus encore le réconfort moral qui nous encourage toujours davantage à poursuivre une oeuvre dont on comprend désormais la portée et les bienfaits.
 
C. FREINET.