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Plaidoyer pour l'expression libre

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Février 1979
 

PLAIDOYER POUR L'EXPRESSION LIBRE
 

Le titre peut surprendre et même choquer dans une revue ICEM. Comme si l'expression libre avait besoin d'être défendue dans notre mouvement alors que, pour nous situer vis-à-vis de l'extérieur, c'est toujours à elle que nous nous réfé­rons pour témoigner de notre originalité fondamentale! Nous en revendiquons le droit et le respect pour les adolescents dans des manifestes, nous participons à toute défense qui la menace dans un contexte répressif, c'est donc que nous sommes persuadés qu'une éducation efficiente est possible sur la base de la vie des adolescents, qu'elle est techniquement réalisable, non seulement dans quelques conditions privilégiées, mais dans le maximum de classes, MALGRÉ TOUT. Nous ne pouvons défendre verbalement une technique de vie que nous n'aurions pas intégrée à notre pratique quotidienne ou alors il y aurait une sorte de malhonnêteté intellectuelle à conseiller aux autres ce que nous ne faisons pas nous-mêmes avec, sûrement, des raisons tout à fait justifiées d'un comportement que nous tairions, soit pour continuer à nous faire plaisir au nom d'une fidélité philosophique, soit pour nous rassurer à tout prix en raison d'une grande fragilité inavouée.
  
   
Or, depuis plusieurs années, et de façon de plus en plus criante, l'EXPRESSION LIBRE EST MENACÉE AU SECOND DEGRÉ ! Mais j'entends déjà tous les alibis que chacun d'entre nous peut ajouter quotidiennement pour se déculpabiliser ; je sais puisque je la vis, la réalité difficile que le contexte familial, social, politique en général nous impose à tous mais n 'y a-t-il pas encore une bataille politique à gagner contre les erreurs monstrueuses de la scolastique,contre les derniers gadgets "intellectuels" et pseudo-scientifiques qui prétendent "libérer", "débloquer" les individus en se contentant de leur offrir ponctuellement, épidermiquement, à coup d'exercices séduisants, de jeux, fussent-ils poétiques, des simulacres d'expression libre qui les laisseront aveugles et muets, impuissants à rien sortir d'eux-mêmes.
 
"On n'aide pas qui s'est arrêté, immobile, sans aucune raison personnelle d'avancer et de monter"  (1)

Nous ne ferons oeuvre corrective et thérapeutique qu'en permettant aux enfants, aux adolescents, à tous les individus, d'entendre, de dire, de penser, d'agir avec tout leur être qui est à la fois physiologique, technique, sensible, affectif, raisonnable. Il faut lutter pour rétablir les circuits de vie et repartir humblement de la base, du tâtonnement expérimental empirique pour accéder graduellement à la construction d'une personnalité solide, puissante, et, simultanément, aux apprentissages que nous avons la mission de faire acquérir.
 
J'affirme possible L'EXPRESSION LIBRE des enfants et des adolescents parce que je la pratique quotidiennement sans désillusions depuis presque vingt ans, à travers toutes les bourrasques des modes, malgré tous les contextes inhibiteurs qui nous rognent les ailes, lucidement, parce que je lui reconnais une efficience culturelle et une force politique sans égale. Les enfants et les adolescents parlent SI ON LEUR DONNE LA PAROLE. Les enfants et les adolescents écrivent SI ON NE RIT PAS DE LEUR MISÉRE, DE LEUR AUDACE, DE LEUR SENSIBILITÉ QUI ÉCLATE.

Mais n'avons-nous pas peur désormais dans notre mouvement d'échanger, comme si cela faisait un peu vieillot, dépassé, matérialiste, toutes les conditions favorables à l'épanouissement de l'expression libre que nous essayons d'installer dans nos classes ?

Avons-nous toujours assez d'audace, de courage, de jeunesse, pour bousculer les gigantesques barrières de l'indifférence ?

Avons-nous assez de racines pour ne pas devenir, comme les autres, participants d'un univers événementiel où le gadget, le dernier truc à base pseudo-scientifique est gage de succès ?

D'autre part, nous savons tous que des éléments du milieu, bien qu'influençant fortement les jeunes, nous échapperont toujours, quels que soient nos engagements divers et nos terrains de lutte. Mais est-ce une raison pour baisser les bras et croire que tout est perdu d'avance ?

Si large est l'éventail des techniques libératrices qu'ont proposé tous les camarades de l'ICEM qui nous ont précédés qu'il est inutile d'aller chercher ailleurs des erzatz de travail libérateur. Ayons d'abord la volonté et le désir d'expérimenter ces techniques à fond avec patience, courageusement, de réfléchir, en les vivant, à leur portée à long terme, aux finalités qui les sous-tendent... Lançons-nous À FOND dans le texte libre, les débats, la correspondance, le journal. Je garantis qu'on en est tout dynamisé, tout ragaillardi, que la JEUNESSE PARLE, que LA JEUNESSE ÉCRIT, qu'ELLE APPREND, qu'ELLE EXISTE, et que tous les exercices proposés dans les manuels à la mode paraissent alors secondaires, deviennent vite dérisoires et ne sont qu'une illusion de formation et de culture.

Il me faudrait trop de pages et de temps pour dire toutes les urgences qui me poussent à écrire cet article.
J'abrège donc car j'ai, comme toujours, le souci essentiel d'être pratique, utile, de dire ce que je fais pour que beaucoup d'autres osent aller jusqu'au bout de l'expression libre, pour que se dissipent les craintes, que tombent les fausses barrières, que l'essentiel ne soit pas caché par le secondaire.

L'ÉQUILIBRE VITAL DE NOS ENFANTS, DE NOS ADOLESCENTS EST EN DANGER ! Ne faisons pas de l'école un autre lieu de plus, impuissant à accueillir ces êtres déracinés, déséquilibrés, surexcités que la société capitaliste de consommation, de dégradation du travail, d'amoralité nous abandonne. Offrons une éducation humaine la plus large possible, soucieuse du comportement de l'enfant et de l'adolescent, au-delà de la linguistique, de la mathématique, du bien lire, du bien écrire...

Depuis la rentrée, j'ai offert l'expression libre à mes trois classes de lettres. A cette veille de vacances de Toussaint nous avons donc pratiqué depuis six semaines le texte libre et le débat; depuis cinq semaines le journal scolaire ; depuis quatre semaines, la correspondance.

 

Voici l'essentiel du contenu de nos chantiers :

En 6e, sur 88 textes libres présentés, 9 ont été mis au point en groupe de 12.

1) Une traversée en bateau

2) Taragnat ou "le bonheur est dans le pré"

3) Si chacun fait un effort, la ville sera et restera plus belle !

4) Quelle peur !

5) Mon ami, le chien

6) Un pique-nique

7) Le réveil de la nature (conte)

8) La corrida portugaise

9) La nuit.

 

Le texte (2) évoquant la joie et la liberté éprouvée dans une maison de campagne, nous avons retenu le thème des résidences secondaires comme débat (voir questionnaire et synthèse).

 

Premier questionnaire :
1) pourquoi y-a-t-il de plus en plus de résidences secondaires à la campagne ?

2) que recherchent les gens de la ville ?

 

Première synthèse

Grâce à un texte de Sylvain évoquant le bonheur dans sa maison de campagne, nous nous sommes interrogés sur les raisons pour lesquelles les gens ont de plus en plus de résidences secondaires.

Depuis que les femmes travaillent, les ressources d'un ménage ont augmenté. Il n'y a plus de problèmes de transports comme autrefois. Presque tout le monde a une voiture. La durée des temps libres a augmenté. De plus en plus de gens vivent à la ville et celle-ci est de plus en plus bruyante, polluée, fatigante.

Les citadins recherchent donc le calme, l'air pur, la solitude, la détente. Ils apprécient le changement de leur rythme de vie, t'espace pour les enfants et pour eux. Certains cultivent un jardin,. recherchent à la campagne une nourriture plus saine. C'est une manière d'être heureux et plus libre !

 Le texte (3) a été la motivation d'un débat sur "la ville".
 

Questionnaire deux :         
1) Est-ce qu'on peut changer quelque chose dans la ville ?

2) Qu'est-ce qu'on peut respecter ?


 

Synthèse deux

A la suite du texte de Philippe nous avons cherché ce que chacun pourrait faire pour embellir la ville.

- Chaque particulier pourrait fleurir son balcon, ses fenêtres, devant chez lui; veiller aussi à la propreté de son trottoir.

- Dans la rue chacun peut utiliser les nombreuses poubelles et ne pas jeter de papiers à terre; chacun doit respecter les espaces verts, les fleurs, les pelouses des parcs publics qui aèrent la ville, la rendent plus gaie, plus agréable à vivre, plus saine.

- Tous, nous pouvons respecter les bâtiments publics, les monuments qui donnent une âme .1 la ville en nous parlant de son passé, en nous annonçant son avenir.

Si les automobilistes respectaient les piétons, surtout les personnes âgées, la ville serait encore plus humaine !

Le texte (4) a provoqué une heure de confessions sur les peurs éprouvées avant de nous permettre de synthétiser quelques éléments.

Questionnaire trois :         
1) As-tu déjà eu peur ? Quand ? Pourquoi ?

2) Qu'as-tu ressenti alors ?

3) Qu'est-ce qu'on peut faire pour maîtriser sa peur ?

 


 

Synthèse trois

  Il est arrivé à chacun d'entre nous d'avoir peur,surtout la nuit où tout devient suspect, insolite, fantomatique : les bruits, les ombres des objets, les lumières... même à l'intérieur d'une maison familière car il règne de plus en plus une psychose du cambrioleur, et surtout dans la rue, dans des couloirs, des sous-sols, des escaliers, des caves.... qui nous inquiètent même le jour car nous imaginons toujours une présence méchante.

Les menaces utilisées par les parents pour obtenir quelque chose des enfants, comme celles du loup, du policier, d'une vieille sorcière, du père Fouettard, d'une plante qui fait mourir, de la mère "la braise"... peuvent effrayer de longues années. Certains films d'épouvante vus à la télévision, au cinéma nous font aussi faire des cauchemars.

Quelques-uns d'entre nous sont impressionnés par le docteur, le dentiste et leurs costumes blancs, par l'ambiance d'un hôpital et appréhendent même si c'est ridicule, une visite.

D'autres ont peur de ne pas bien exécuter une tâche demandée ou ronfiée, peur dans l'attente d'une note qui peut amener à être grondé.

D'autres encore ont peur dans une épreuve physique: skate-board, escalade, ski, vélo... Mais nous avons aussi peur de la solitude quand nous avons des problèmes à résoudre seuls, des décisions à prendre.

Cependant, la peur la plus angoissante est celle que l'on éprouve quand quelqu'un de notre famille est gravement malade, que l'on ne sait pas exactement ce qu'il a et qu'on craint le pire.

La peur donne des frissons, serre la gorge, fait battre le coeur très vite, supprime la réflexion, nous fige parfois sur place.

Mais nous avons compris au cours du débat, que nous grandissions notre peur par la peur d'avoir peur et qu'il fallait petit à petit apprendre à nous maîtriser de diverses façons : maîtriser son imagination - analyser le ridicule de sa peur - surpasser son angoisse en cherchant les raisons - se raisonner - réfléchir après une peur, la raconter à quelqu'un qui nous aidera à la comprendre, qui nous soulagera.

- Le mot "psychose" a été proposé et expliqué par Sylvain qui le connaissait très bien.

 

Le texte (5) a servi de prétexte à un débat sur l'amitié de l'enfant et du chien.

Questionnaire quatre :      
1) As-tu un chien ? Le considères-tu comme ton ami et pourquoi

  2) Les grandes personnes considèrent-elles les chiens comme des amis ?

  3) Ne préfères-tu pas un enfant de ton âge comme ami ?

 


 

Synthèse quatre

  Les 2/3 des membres de notre groupe qui ont participé à la mise au point du texte de Danièle ont un chien.

  Nous considérons notre chien comme notre ami, car il est gentil, affectueux.

  Il vit toujours avec nous, il nous connaît, se fait comprendre comme s'il parlait. Quand nous sommes joyeux, il saute autour de nous, fait le fou. Quand nous sommes tristes, il se couche près de nous, nous lèche et nous regarde de ses grands yeux tristes. Notre chien nous aime et on l'aime.

Ceux qui n'en ont pas en voudraient bien mais ils habitent dans un immeuble et craignent que leur chien ne soit malheureux.

Beaucoup d'entre nous préfèrent l'amitié de leur chien à celle d'un enfant de leur âge car le chien est plus docile. On se chamaille moins. C'est un ami sûr, comme un frère !

 

Le texte (6) nous fait réfléchir sur le pique-nique.

 

Questionnaire cinq :         
1) Pourquoi les gens piquent-niquent-ils au lieu de manger à la maison ?

2) Quelles sont les joies du pique-nique ?


Synthèse cinq

  Renaud a écrit un texte racontant un pique-nique. Après l'avoir entendu, un groupe a recherché les raisons pour lesquelles les gens piquent-niquent, quelles joies ils éprouvent et les problèmes qui se posent. Les gens aiment changer d'air, d'habitudes et profitent d'un temps ensoleillé pour s'éloigner de la ville, du bruit, de la pollution. Ils ont besoin de plus d'espace, de plus de liberté et de prendre parfois le temps de vivre !

Ça coûte aussi moins cher que de manger au restaurant.

En pique-nique, on peut s'ébattre, se reposer, écouter les oiseaux, les bruits de la forêt. Quand on est enfant, on peut grimper dans les arbres, construire des cabanes, inventer de grands jeux, se rouler dans l'herbe.

Mais de plus en plus de gens piquent-niquent et il est parfois difficile de trouver un endroit calme, éloigné des autres. D'autre part, beaucoup laissent leurs déchets dans la nature par négligence, par égoïsme. C'est grave !

 

Le texte (8) a provoqué un débat informel après lecture du texte où se sont confrontés les points de vue.

Ces synthèses jointes disent l'éventail des sujets sociologiques, affectifs, psychanalytiques abordés. Le fait même de chercher à aboutir à des synthèses témoigne d'un outil de pensée qui se met en place progressivement.

Les neuf mises au point de textes ont permis déjà de déblayer pas mal de problèmes d'expression écrite, ont commencé à imprégner les enfants d'une méthodologie d'écriture. Je ne donne, faute de temps pour tout recopier que deux textes très différents en guise de documents pour témoigner de l'acte éducatif fécond que représente la mise au point collective en groupe.

 

 


Document 1                        Quelle peur !

 

 

Au cours d'un week-end prolongé, mes parents, mon frère et moi, nous sommes allés à Béziers rendre visite à nos cousins. Après une promenade dans un jardin public, nous avons rencontré des joueurs de pétanque : à partir de cet instant j'ai quitté mes parents pour regarder la partie. Quant à eux, ils sont allés goûter chez mes cousins. Une fois la partie terminée je pris le chemin de la maison toute proche.

 

 

Me voilà arrivé. Je me trompe d'ascenseur car il y avait celui des appartements pairs et celui des appartements aux nombres impairs. Vous pensez bien qu'arrivé en haut je panique totalement. Mes jambes tremblent, mon coeur bat très fort. Mes parents de leur côté commençaient à s'inquiéter sérieusement.

 

 

Je reprends l'ascenseur pour redescendre, frappe à n'importe quelle porte et une infirmière très gentille, devinant mon affolement, m'ouvre et me demande ;"Où habites-tu ? - Chez mes cousins. - Comment s'appellent-ils ? " Même leur nom de famille avait disparu de ma mémoire ! Finalement, après quelques explications, elle me conduit chez eux. Désastre ! Mes parents n'étaient pas là. Eux, de leur côté me cherchaient partout mais en vain.

Soudain, j'aperçus deux silhouettes familières. C'étaient papa et maman !

 

 

Mes yeux se brouillèrent et il y eut un moment de silence. Enfin, la joie éclatait dans la famille!

 

 



 

 

Document 2                         LA NUIT

 

 

Dans le grand silence bleu de la nuit, la chouette ébouriffée, aux fragiles yeux de verre, hulule sur la branche fourchue, surveille les lapins inoffensifs ou les serpents audacieux qui se risqueraient dans les parages.

 

 

Souris et mulots, ignorants du danger, vont peut-être mourir ; le jeune lièvre se fait prendre au collet du braconnier, les hérissons surpris par les phares des voitures, risquent d'être écrasés. Pauvres petites bêtes de la nuit au grand silence bleu !

 

 

Les étoiles filantes sèment du pollen doré derrière elles. Un bruit clair de ruisseau se brouille au bruit sec des arbres qui craquent.

 

 

La nature marie solennellement les échos au grand silence bleu.

 

 

Toutes les questions des préparations de débats sont des propositions des enfants, propositions organisées rapidement en groupe dans le sens d'une simplification.

Textes mis au point et questionnaires ont été envoyés à nos correspondants de 6e de Sainte-Maure de Touraine. Voici une de nos lettres :

 

 



 

 

Chamalières, le 19/10/78

 

 

Chers camarades,

 

 

Nous venons de découvrir votre premier envoi avec beaucoup de plaisir. Nous vous remercions de votre carte postale et vous demandons d'avoir la gentillesse de nous en faire parvenir quelques autres afin de mieux vous situer et de réaliser un panneau sur votre ville. La première vue aérienne nous laisse supposer que la campagne est toute proche, que votre région est calcaire à voir la teinte blanche de l'église qui contraste avec le gris sévère de notre pierre de Volvic ; nous remarquons aussi que les toits des maisons sont en ardoise bleue, ce qui nous change des tuiles rouges de chez nous.

 

 

Nous avons écouté votre débat sur la "corrida", lu vos arguments qui nous semblent justes. La majorité d'entre nous est contre pour les mêmes raisons que vous avez évoquées.

 

 

Nous vous proposons les questionnaires de deux débats afin que nous puissions comparer nos synthèses dans quelques jours. Nous lirons peut-être des romans de M. Pagnol que certains connaissent. Travaillez-vous avec des fiches ?

 

 

Il a déjà neigé sur le Puy de Dôme mais pas à Chamalières !

 

 

A bientôt ! Les 6èmes D

 

Le texte (7) nous a donné l'occasion d'entamer des échanges avec des classes de cours élémentaires du Puy-de-Dôme. Voici notre lettre. Nous attendons leurs réactions avec vraisemblablement un album.

 


18/10/78                                                                                                                                             Aux C.E. de Beaumont

 

 

Chers camarades,

 

 

Nous sommes des élèves de 6ème du collège d'enseignement secondaire de Chamalières et, comme vous, nous écrivons des textes libres. Parmi tous les textes libres depuis la rentrée, nous pensons que le conte de Danièle vous fera plaisir. Nous serions bien contents de savoir si l'histoire vous a plu. Voulez-vous nous écrire ? Nous n'avons pas eu le temps de faire des dessins. Voulez-vous l'illustrer à notre place ? Avez-vous déjà inventé des contes ?

 

 

Au revoir chers petits amis.

 

 

Bonjour à votre maîtresse et à votre maître...

 

En quatrième: sur soixante et un textes présentés, sept ont été mls au point.

1 ) La nature

2) Le cordonnier

3) Pourquoi autant de langues dans le monde ?

4) La chambre de mes rêves

5) L'enfance

6) Pas d'idées! Je suis dérangée...

7) Le vieil homme.

 

Le texte (2) a servi de point de départ à une enquête-interview réalisée par quatre élèves.

 

- Questionnaire 1 :

1 ) depuis combien de temps exercez-vous ce métier ?
2) où l'avez-vous appris ?

3) avez-vous beaucoup de clients ? Quel type de clientèle avez-vous ?

4) combien d'heures travaillez-vous chaque jour ?

5) prenez-vous des vacances ?

6) que pensez-vous des chaussures d'aujourd'hui ?

7) quel est l'avenir de votre métier ?

8) quelles études faut-il faire pour être cordonnier?

 

Synthèse 1

 

Nous avons interviewé quatre cordonniers dont trois artisans et un employé de grand magasin afin de mieux connaître ce métier que Christine avait évoqué dans un texte libre.

Leur ancienneté dans le métier est respectivement de 19, 40, 49 ans pour les artisans, de 22 ans pour l'employé.

Les trois artisans ont appris leur métier dans une fabrique de chaussures et "sur le tas"; l'employé de grand magasin dans un centre de formation. Tous ont une importante clientèle, soit de toutes sortes de gens pour deux d'entre eux et dans le grand magasin, soit une clientèle plus bourgeoise pour l'autre qui s'offre des chaussures qui durent.

La durée de travail journalière varie de 10 à 12 heures pour les artisans; elle est de 8 heures pour l'employé.
Un des artisans ne prend jamais de vacances, en dehors du dimanche. Les deux autres prennent de
15 jours à 3 semaines ; l'employé a 4 semaines de congés payés.

Tous déplorent le manque de qualité des chaussures actuelles bien qu'il y ait un renouveau du cuir. L'avenir est incertain si le plastique est trop employé car les gens jettent souvent ces chaussures-là au lieu de les faire réparer. D'autre part, il y a un manque de main d'oeuvre jeune. Pourtant les études ne sont pas difficiles. Ce qu'il faut c'est apprendre sérieusement le métier !

 

Cette enquête n'est pas close. Nous essayons de savoir discrètement les salaires de chacun qui expliqueraient certaines de nos questions en suspens...

Le texte (4) a servi de prétexte à un débat fécond.

Questionnaire deux :        
1) Comment imagines-tu la chambre de tes rêves ?

 2) Le fait d'avoir une chambre personnelle n'est-ce pas déjà un rêve réalisé ?
  3) Pourquoi y a-t-il tant d'écart entre le rêve et la réalité ?

 
Synthèse 2


 

Imaginer la chambre de nos rêves comme Béatrice dans son texte libre nous a conduits à des projets farfelus extravagants comme le fait de pouvoir faire de la moto dans sa chambre, d'avoir un mur en chocolat pour manger quand on a un creux à l'estomac, un miroir créateur de choses ou de paysages fantastiques, un sol inclinable de gauche à droite pour être bercé le soir.

D'autres rêves fort coûteux ne sont plus utopiques : une fosse pour faire de la gymnastique - un lit escamotable, avec chaîne stéréo - une piscine - une bonne insonorisation - un écran de cinéma - une climatisation...

D'autres rêves d'enfants imaginatifs sont à la portée de presque tous ceux qui possèdent une chambre : un arbuste - un mur vitré - du papier doré aux murs - des fauteuils en mousse pour s'y lover - un mur bibliothèque plein de livres - des murs avec un décor de palmiers - une bougie comme lumière - un lampadaire en forme de soleil - des niches secrètes dans les murs - un réfrigérateur pour mettre des glaces - un mur tendu de papier blanc pour dessiner - des gadgets pour faire des farces...

Enfin, il y a aussi le rêve d'avoir d'abord sa chambre personnelle. Beaucoup ne l'ont pas encore réalisé, ce qui ne les empêche pas de rêver à une chambre imaginaire.

Il y a toujours beaucoup d'écart entre le rêve et la réalité car, d'une part, le rêve coûte extrêmement cher et la vie est difficile; d'autre part, l'enfance imaginative sera toujours en avance sur la technologie de l'homme.

 

Le texte (5) nous a invités non seulement à nous interroger nous-mêmes, mais à interroger beaucoup d'adultes.
Questionnaire trois :         
1) Es-tu pressé de grandir ? Pourquoi ?

2) Pourquoi beaucoup d'adultes regrettent-ils leur enfance ?

3) Comment expliques-tu cette contradiction ?

 
Synthèse 3

 

Le groupe qui a mis au point le texte de Michèle s'est interrogé sur le désir fréquent des enfants de devenir adultes, sur le regret des adultes d'avoir perdu leur enfance et a essayé de s'expliquer cette apparente contradiction.

En fait, 65 % d'entre nous ne sont pas pressés de grandir. Ce qu'on voit et entend nous laisse pressentir des ennuis, des soucis, un travail pas toujours plaisant, des risques de chômage, des contraintes administratives et sociales.

Il nous semble qu'un adulte a beaucoup de responsabilités, n'a plus assez de temps de vivre, de se distraire.
D'autre part, nous avons peur d'accumuler en nous, comme beaucoup d'adultes, une foule d'idées toutes faites, peur de perdre aussi notre pouvoir de rêve et d'imagination. Les autres souhaitent grandir assez rapidement pour avoir leur indépendance, donc une plus grande liberté d'action, surtout vis-à-vis de leurs parents. Ils ont hâte de gagner leur vie, d'exercer un métier qu'ils espèrent choisir. Ils pensent qu'être adulte, c'est vivre une aventure, entreprendre des choses plus périlleuses, plus intéressantes.

La majorité des adultes interviewés regrettent leur enfance un peu pour les mêmes raisons qui nous font appréhender l'âge adulte. Cette constatation ne peut que freiner notre élan pour devenir adulte. nous déçoit un peu mais nous espérons ne pas penser comme la majorité quand nous aurons de réelles responsabilités.

Nous souhaitons que notre expérience d'adulte soit réussie, heureuse et ne nous entraîne pas à regretter une
enfance impossible à revivre.

 

Le texte (6) a soulevé beaucoup de questionnements au cours du débat.

 

Questionnaire quatre :      
1) D'où proviennent les multiples dérangements quotidiens ?

2) Quels effets produisent-ils sur nous ?

3) Quelles en sont les conséquences ?

 
Synthèse 4

 Pas d'idée ! Je suis dérangée !

 

Anne-Marie a raison de souligner les multiples bruits quotidiens qui nous dérangent sans cesse quand nous voulons écrire, réfléchir, nous concentrer sur un travail.

En effet, les bruits de la rue: voitures, motos, travaux divers, enfants qui jouent et crient... les bruits de la maison: téléphone, télévision, radio, disques, voisins sans gêne, visites, frères ou soeurs bruyants, travaux ménagers, discussions familiales... Tout cela gêne considérablement pour faire un travail suivi, sérieux.

Nous ne tardons pas, dans un semblable environnement, à être distraits, inattentifs, énervés, fatigués, voire même agressifs. Tous ces effets se répercutent sur notre travail qui est alors négligé, bâclé, superficiel. Nous multiplions les fautes d'orthographe dans un travail écrit, les ratures. Nos leçons sont mal apprises. Nous ne trouvons plus d'idées pour des textes, des recherches qui demandent de la réflexion. L'envie de se distraire, de ne rien faire nous gagne comme l'envie de s'exprimer bruyamment parfois pour certains d'entre nous. Et l'habitude du bruit agrandit le besoin d'en faire et d'élever le niveau sonore, ce qui aggrave encore les conséquences.

Le jeudi 26 octobre 1978, une brève lecture de textes a déclenché deux sujets de débats, dans cette quatrième, que nous avons programmés pour le 7 novembre et le 8 novembre. Je joins les questionnaires, signes de l'évolution des idées et le questionnement tous azimuts qu'instaure l'expression libre.

 

 

 

 

Questionnaire cinq : à partir d'un texte "Un monde différent"

1 ) Peux-tu donner des exemples de manifestations d'indifférence dont tu as été victime, témoin, acteur ?

2) Dans quels lieux se manifeste l'indifférence ?

3) Quelles en sont les causes ? Les conséquences ?

4) Qu'en penses-tu ?


 

 Questionnaire six : à partir du texte "l'argent"

1 ) Recherche toutes les occasions où tu as besoin d'argent

2) Quelle importance les jeunes accordent-ils à l'argent ?

3) Et les adultes ?

4) L'argent est-il nécessaire pour être heureux ?

 
Toutes les synthèses jointes précédemment permettent à chacun de mesurer les sujets abordés et ce que chaque sujet véhicule avec lui de questionnements sur notre société, sur nous-mêmes.

Il faudrait joindre tous les textes. En voici au moins un : L'EN FANCE.

 

 


 

 

L'ENFANCE

 

 

L'enfance nous paraît loin et pourtant elle est juste derrière nous. C'est la meilleure période de notre vie car nous sommes inconscients, innocents et peut-être moins réalistes.

 

 

Enfants, nous voulons être comme les grands. Mais, lorsque nous sommes grands, nous trouvons l'enfance merveilleuse. Et c'est vrai qu'elle l'est car c'est un pays de rêves fabuleux où les idées toutes faites des grandes personnes ne sont pas admises, où l'on se donne une liberté de penser, de créer, d'exister sans compromis, où l'on confie ses petits secrets, même les plus intimes, à ses camarades, souvent à sa maman ou à son papa.

 

 

Enfants, nous vivons dans un paysage clair, ensoleillé avec beaucoup de fleurs, de papillons, de copains, de bonbons, de glaces, de jouets et d'éclats de rire. Nous sommes toujours avec notre dinette, nos voitures, nos poupées, nos poupons et nous les faisons vivre et parler comme si c'était nous-mêmes.

Et pourtant, on regarde déjà les grands, on les admire et ne veut-on pas déjà aussi les imiter ?

 

 

Ces textes libres mis au point et questionnaires de débats ont été envoyés à d'autres élèves de quatrième. Les échanges s'amorcent...

Parallèlement, mais les documents ne sont pas transmissibles actuellement, en symbiose avec les textes libres, les débats, les ateliers du journal se sont mis en branle : équipes de recherches d'illustrations, de mises en page, de pochoirs, fonctionnent. Il n'y a plus que nous qui sommes en retard pour \a frappe des stencils que nous assurons.

Simultanément, nous avons nourri nos premières approches de parole et d'écriture libres de la lecture de deux romans en sixième : "Tistou, les pouces verts" qui remet en question pas mal d'idées toutes faites et que les parents tout frais dispos des sixièmes lisent avec profit ; "L'enfant et la rivière" riche d'aventure enracinée. C'est moi qui ai proposé ces livres. Ils en ont lu ou dévoré d'autres, à leur gré !

En quatrième nous avons exploité "Poil de carotte" et "Le coeur sous la cendre"; volontairement l'enfance et le troisième âge. Pour nous dérider maintenant nous entamons "Le petit Nicolas". C'est encore moi qui ai proposé ces ouvrages. Ils en ont lu individuellement bien d'autres.

En imprégnation poétique, en sixième, beaucoup de Prévert lu, dit en choeur parlé, écouté en chansons, du Guillevic, du C. Roy...

En quatrième, des liaisons avec la collègue amie qui fait histoire. J.C. Renard et une longue lettre qu'il avait écrite à d'autres quatrièmes, ce qui nous a fait nous engager vers les définitions en poèmes de l'acte poétique.

Voilà ma dernière part.

Mais toute la part vitale, chaleureuse, essentielle est venue des productions des enfants de sixième ou des adolescents de quatrième: "II faut offrir aux jeunes, comme nous l'avons offert aux enfants du premier degré, un véritable travail, motivé, à la mesure des personnalités, et répondant à leurs besoins, susceptible de leur redonner cette confiance en soi et cette dignité qu'ils ont perdue.

Il se peut même que ces jeunes ne puissent pas être tous radicalement récupérés. On les a dégoûtés du travail dans la famille et à l'école; il nous sera difficile de leur prouver, théoriquement, qu'il y aune solution possible à leur inquiétude. Mais peu à peu, en partant de la base, nous remonterons la pente.

 

 

Il ne saurait y avoir de remèdes miracles pour guérir un mal que nous avons laissé inscrire en lettres brûlantes dans le comportement des jeunes générations. Mais les solutions à plus ou moins longue échéance sont à notre portée ; il les faut comprendre d'abord, pour les vouloir et les imposer ensuite dans la complexe évolution de l'éducation du peuple" (2)

Si des camarades ont envie, besoin d'échanger en profondeur sur l'organisation pratique du travail, sur les finalités de l'expression libre, sur la part du maître dans cet épanouissement, j'aurai beaucoup de plaisir à le faire.

Janou LEMERY CLERMONT-FERRAND Le 3 Novembre 1978

 

 






(1) Extrait de "La santé mentale de l'enfant" C. Freinet (Ed. Maspéro).

 (2) Extrait de "La santé mentale de l'enfant" C. Freinet (Ed. Maspéro)