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La technique de la programmation (suite III)

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Novembre 1963

L'Instruction programmée peut réduire de 30 a 50 % le temps d’apprentissage

 

Nous avons essayé, dam notre précédent article, de justifier psychologiquement et pédagogiquement la programmation qui apparaît trop, à première vue — et certaines applications américaines justifient cette appréhension — comme une formation par conditionnement automatique de robots.

C'est que les Américains, et, en général, tous ceux qui ont étudié le problème des machines à enseigner, ont envisagé seulement l'instruction des individus, l’acquisition de ce qui est mesurable, et sujet donc à une signalisation automatique.

L'avantage, en ce domaine, d'une telle programmation n'est nullement négligeable. Si, par une technique plus intéressante pour les enfants, moins rébarbative, nous pouvons leur faire acquérir tes mécanismes dont ils auront besoin, il y aura progrès. Nous avions déjà remplacé les exercices habituels des manuels d'arithmétique par nos fichiers auto-correctifs, contre lesquels on portait cette même accusation de mécanisation excessive. On fait, et on fera, la même critique à nos bandes d'acquisitions de calcul.

Autrefois, les déplacements se faisaient exclusivement à pied. Cela avait ses avantages, que les philosophes et les poètes ont chanté. Mais la marche à pied ne permettait pas de faire plus de 6 à 8 km heure. Et l'homme, naturellement cherche à se déplacer le plus vite possible. Le cheval — la plus noble conquête de l’homme — et les véhicules à roues marquaient les premières étapes vers le progrès.

On a fait mieux avec les vélos et les autos.

Tout progrès comporte évidemment un risque d'utilisation contre nature. Nous connaissons, hélas ! trop d’automobilistes qui ont désappris à marcher, ce qui est évidemment un danger et une erreur. Mais par contre, l’auto est à 100% favorable à l’élargissement et à l’enrichissement de notre vie, si nous l’utilisons pour faire ce que nous n’aurions pu faire sans la vitesse qu’elle nous permet. Le fait est particulièrement sensible lorsqu’on considère les ascensions en montagne. Si vous n’êtes pas motorisé, vous aurez toujours à parcourir le même chemin qui vous mène du fond de la vallée au pied des pics à gravir. Et quand vous aurez fait ce trajet vous ne serez plus suffisamment disponible pour attaquer les difficultés de la montagne.

L’auto vous mène sans fatigue à pied d’œuvre à même les sentiers d'accès. Et les chalets ou les refuges dont la technique actuelle a permis la construction et l’équipement sont comme des haltes et des étapes dans une sorte de programmation favorable aux conquêtes spectaculaires.

Je crois que, dans cette étude de la programmation, il nous faut distinguer :

— l’acquisition des connaissances, qui peut se faire mécaniquement ;

— les tâtonnements, les recherches et les travaux à incidence formative et éducative, qui dans notre pédagogie, restent essentiels.

Dans cette mise au point préalable que nous voudrions faire ici, nous nous référerons assez largement à des informations sur l’instruction programmée publiée par le Basic Systems Incorporated, une des entreprises américaines qui ont réalisé les premiers et les plus importants travaux.

Tout ce qui y est dit nous paraît d'ailleurs juste et efficient, si nous nous en tenons aux acquisitions mécaniques, notamment en calcul et, partiellement aux sciences (où les acquisitions formelles risquent de prendre bien vite le pas sur l’expérimentation et la culture).

« L'élève expérimenté, qui sait comment étudier avec un livre, improvise une sorte d'instruction programmée pendant qu'il étudie. Il se pose des questions à lui-même et lorsqu'il sent que ce qu’il a appris précédemment commence à devenir vague, il révise. Ces pratiques sont quelquefois appelées « de bons systèmes d’études ». Cependant, très peu d'élèves acquièrent cette habitude au cours de leur scolarité. Dans la plupart des cas, l'élève n'est pas assez qualifié pour programmer la matière qu’il est en train d'apprendre. Il ne sait pas toujours quels sont les points les plus importants. Il perd son temps sur des détails futiles et dépense une grande partie de son énergie à trier l'important de l'insignifiant ».

" Après de nombreuses expériences, les experts estiment que l'instruction programmée peut réduire de 30 à 50% le temps d'apprentissage. La raison principale de celte économie est l'élimination de la perte de temps due à la confusion, à l'attention prêtée aux détails peu importants, et au fait que l'élève n'assimile pas certains points. Une autre raison de l'accélération de l’apprentissage obtenue par un programme de bonne qualité, est l'organisation psychologique du contenu du programme. Les nouveaux concepts étant introduits dans un ordre logique, l'élève parcourt plus aisément le chemin menant vers la maîtrise du sujet ».

La programmation pour l'acquisition des connaissances comporte :

— la réalisation d'une sorte de fichier mental auquel l’enfant a accès pour retrouver les informations qu’il a antérieurement assimilés ;

— l'utilisation des exercices de discernement pour prévenir l’oubli qui est dû à la confusion de concepts similaires ;

— une révision systématique où une même réponse sera demandée dans différents contextes ;

— le fait que, si une matière est mieux apprise, elle sera mieux retenue.

Et c'est en somme là la base de nos recherches pour l’établissement de bandes auto-correctives d’acquisitions mécaniques.

Peuvent être ainsi programmées « toutes connaissances ou aptitudes qui peuvent être déterminées ».

Nous entrerons dans le détail de cette programmation dans un prochain article.

PEUT-ON PROGRAMMER LES TECHNIQUES ÉDUCATIVES?

La question ne s’est pas même posée aux auteurs de programmes. L’éducation est une affaire trop délicate pour qu’on puisse l’analyser et la « déterminer ».

Mais la notion de techniques éducatives est toute nouvelle et c’est nous qui l'avons intégrée dans notre pédagogie.

La pédagogie américaine — et avec elle toute la gamme des pédagogues qui ont cours dans le monde — part du principe sur lequel est basé toute notre école traditionnelle : c'est la connaissance qui est éducative. Apprenez à vos enfants à lire, à écrire, à compter, à connaître l'acquis actuel des sciences, de l'histoire et de la géographie, et du même coup, ils seront meilleurs, ils seront davantage hommes.

Nous rappelons toujours le vers de Victor Hugo :

« Tout enfant qu'on enseigne est un homme qu’on gagne ».

Or, l’expérience du monde contemporain montre que cette affirmation, peut- être valable il y a cent ans, à l'origine de l'extension de l’Ecole, n’est absolument plus juste aujourd'hui. On peut être instruit, et même savant, et n’avoir aucune personnalité, être d’une moralité douteuse, et commettre, pour du prestige et de l’argent, des actes éminemment coupables.

On peut, de ce point de vue, programmer les acquisitions traditionnelles en sciences, en histoire et en géographie. Ce ne sera qu’un moyen peut-être plus efficace d’apprendre, « d'assimiler » comme disent les soviétiques, le riche contenu des manuels actuels. Mais ce progrès technique ne changera absolument rien à la méthode de formation du scientifique, du géographe et de l’historien.

Une bande programmée américaine comportera par exemple l’exercice suivant :

Une solution est meilleure conductrice d'électricité (saline ou sucrée)

qu'une solution

(saline ou sucrée).

L'enfant pourra donner la réponse juste s’il « étudie » la question. Mais il peut fort bien l’avoir étudiée et connaître la réponse juste sans en avoir compris les fondements et les raisons.

Ou bien :

Les fongus vivent dans des cellules mortes de la peau, des cheveux et des ongles. On peut donc dire que ………….., ……………., et ……………… sont les endroits infectés dans les cas de mycose superficielle.

Et l’opuscule ajoute : Un étudiant, sans même connaître le français, pourrait deviner que les trois espaces laissés en blanc se rapportent à la série des trois mots dans la phrase précédente. Il ne ferait donc que copier les mots peau, cheveux et ongles.

C’est là un exemple typique de ce travail que nous réprouvons pour l’apprentissage des sciences.

Nous ne préparerons pas de bande semblable dont nous savons la totale inutilité pour la culture qui est le but ultime de l’éducation.

Pour l’établissement de nos bandes programmées autres que les bandes auto-correctives pour les acquisitions mécaniques, il nous faut donc chercher autre chose et créer notre propre pédagogie de la programmation que nous appellerons intelligente, par opposition à la pédagogie de la programmation mécanique que nous n'utiliserons donc que pour les acquisitions mécaniques.

Pour les sciences, le calcul profond, l’histoire et la géographie, nous partons exclusivement du tâtonnement expérimental dans les recherches, l’expérimentation et l’invention.

J’ai tenu, au préalable à bien délimiter l’esprit et la forme de notre travail, le premier qui soit établi dans le monde pour une réforme profonde de notre enseignement.

Et ne nous étonnons pas si nous ne parvenons pas vite au but.

En Amérique, la préparation des programmes est déjà devenue une entreprise commerciale. On a calculé qu’il faut « environ 100 heures de travail d'un programmeur pour produire une heure de programme utilisable. Différentes analyses, consultations, tests, rédactions, services de productions ajoutés au temps passé par le programmeur portent le prix d'un programme à environ 1 500-2500 dollars (environ un million d'anciens francs) par heure d'enseignement. Cependant, après cet investissement initial, l'heure d'enseignement est réduite à environ 0,50 dollar par étudiant ».

Nous sacrifierons nous aussi beaucoup de temps et d’argent pour la préparation de nos bandes programmées. Mais, lorsqu’elles seront établies elles nous vaudront un meilleur rendement de nos efforts.

Nous pouvons en apporter dès maintenant la certitude.

Nous étudierons dans un prochain article l’utilisation de ces bandes programmées :

— par des livres nouvelle formule, dont nous allons commencer nous-mêmes l’édition ;

— par des machines à enseigner complexes ;

— par la plus simple des machines à enseigner : notre Boite enseignante.

C.F.