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Le flot qui coule (les dits de Mathieu)

Mars 1966

La langue, ce n’est en aucun cas un assemblage de mots ; c'est un flot qui coule et qui, par son irrésistible dynamisme, emporte peu à peu tous les obstacles, vers son naturel aboutissement.

L’enfant ne commence pas par dire des mots mais par chanter sa mélodie dont seules les mamans savent com¬prendre le sens mystérieux. Il est certes, comme dans la vie, tous les tempéraments : du petit homme qui rumine longuement ses discours, « la petite bonne femme de quatre ans qui bavarde déjà comme une commère, et que rien n'arrête, si des mots lui manquent, elle les invente. Il faut que le flot défile parce que tel est le mode d'expression de tous les humains.
C'est l'école qui, artificiellement, établit prématurément des barrages. Le torrent dévalait les pentes, tantôt ga¬zouillant, tantôt grondant. Il semblait invincible. Mais les hommes ont construit des barrages qui coupent le cours, arrêtent le flot, brouillent gazouillis et grondements. Les pierres s'accumulent près de la retenue, le gravier s'étire sur les bords. Le torrent enchaîné est devenu triste et muet.
Ne serait-ce pas le danger qui menace aussi nos enfants gazouillants ou prolixes qu'on coupe dans leur élan, dont on brise le flot, qu'on heurte par des barrages, dont le cours s'ensable jusqu'à dénaturer le flot vivant qui se morcelle et se désagrège parfois définitivement ?
Et l'on se demande ensuite pourquoi tels enfants ânonnent à l'école et ne parviennent pas à lire couramment d'une façon naturelle et pourquoi le petit dyslexique semble souffrir d’une coupure de sa pensée impuissante à s'ex¬térioriser!
Ce qu'on appelait autrefois le verbe, c'est le flot qui coule.