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Nous autres, qui ne faisons plus classe

Février 1974

Ceux qui font la guerre

pensent à leur peau. Pas à la guerre.
Ceux qui tuent à la guerre
pensent à leur arme. Pas à l'homme-ennemi.
Ceux qui traquent l'ennemi
oublient les raisons de la guerre.
Ceux qui font la guerre
ont oublié qu'ils étaient contre.
« La technique tue l'esprit. »
Le quotidien efface les raisons d'être.
 
Sur le chemin des Dames, avant d'être frappé, avant, c'est sûr, avant la blessure, Freinet savait et il s'en était fait le serment que « tout cela ne pouvait, ne devait pas se reproduire ». Non ! « Plus jamais ça ! »
Et cette promesse el cette foi — cette loi ! — c'était un idéal né de l'horreur qui suffisait à confirmer un Educateur de celui qui se souvenait que l'attendaient dans son village un torrent et sa chute vivante qui lui permettront bientôt de distribuer la lumière à tous !
Cette promesse et cette foi c'était déjà une lumière qui lui a permis de partir, sitôt la paix, en quête d'une solution populaire, humaine, juste et scientifique — mais d'une science s'inscrivant dans le passé et le vécu des expériences multipliées, une science toute au service de l'Homme avec majuscule — à l'éducation des enfants, centrée sur eux et s'appuyant sur le savoir-faire des mamans.
Cette promesse et cette foi sont les bases, les fondations et le ciment tout à la fois, d'un édifice qui, pour si réel, si matérialiste, si réaliste, si technologique qu'il soit (« Freinet n'est qu'un commerçant ! »), n'en est pas moins nimbé d'une poésie, d'une philosophie, d'une lumière,d'un esprit, d'un idéal qui, absents, tus, effacés, gommés, oubliés, éteints, plongent alors la masse de béton dans l'ombre et n'en font qu'un bloc sombre et repoussant.
Et ceux qui s'enfermeraient dans l'édifice aveuglé, caressant de leurs mains des murs froids et rudes et des outils inertes, ceux qui refuseraient de prendre le recul nécessaire, la lumière — et les reflets de leurs propres regards illuminés qui se dégagent de l'œuvre, son ombre portée dans le soleil, pour entendre d'un peu loin sa rumeur, ceux-là seront dedans comme prisonniers dans un cercueil, trahissant dans le tombeau, la vie dont la formule même est inscrite au fronton !
Non, camarades qui entrez chaque matin dans l'édifice, qui chaque matin « faites la classe »ne plaignez pas, ne bafouez pas, ne rejetez pas ceux qui ont pris le recul et qui, pour un temps, observent, écoutent, contemplent avec les yeux de l'attention, avec la précision de l'analyste, avec la sensibilité d'un spectateur global, avec l'enthousiasme de celui qui est séduit par un vaste panorama vivant, toute la pédagogie chaque jour naissante de ce mouvement coopératif et populaire.
Ne couvrez pas d'indifférence ou de rumeurs désobligeantes, les mots qu'ils tentent de dire pour décrire ce qu'ils voient, ce qu'ils ressentent, ce qu'ils pressentent pour mieux définir le domaine commun — dont ils risquent de n'être en somme, que les gardiens que d'autres nomment aussi les concierges !
Il faut, à l'édifice, dedans comme dehors des gardiens vigilants. Il faut dedans comme dehors des porteurs de lumières : et chacun, en luttant pour porter sa torche contre les vents divers de la récupération, de la malveillance, du doute, de l'indifférence, chacun perpétue ainsi ledésir initial, original, essentiel de celui qui a décidé dans l'ombre que la nuit pouvait finir, la lumière survenir et la vie être !