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Relations école-famille : cultiver la confiance

Quand le thème de ce numéro du Nouvel Educateur a été annoncé, je me suis rappelé avoir écrit un article sur le même sujet il y a plusieurs années[i]. Presque vingt ans plus tard, la problématique reste la même pour notre équipe Freinet, qui exerce en milieu scolaire hétérogène au sein d’un quartier populaire. Comment faciliter la coopération école-familles, avec une attention particulière aux familles socio-culturellement distantes de l’école ? Ce numéro est donc l’occasion de faire le point, de cerner les permanences et continuités, et leurs raisons, mais aussi de distinguer les évolutions, les changements, voire les ruptures.

La coopération est le principe actif qui anime le quotidien d’une école travaillant en pédagogie Freinet. Au-delà du système-classe, il apparaît incontournable de penser son extension à la relation école-parents, non parce que c’est de bon ton mais parce que cela s’avère généralement indispensable à une bonne intégration scolaire des enfants.

 

 

 

La confiance a besoin de proximité

Une école centrée sur la vie ne saurait être une « école sanctuaire », coupée radicalement de l’environnement extrascolaire des enfants. Or les parents font partie cet environnement au premier chef. Pour une coéducation parents-école en bonne intelligence, il faut évidemment une confiance réciproque. Et comment construire celle-ci si on n’a pas la possibilité de se côtoyer régulièrement ?

A bien y regarder, la confiance élémentaire est avant tout générée par une constante de notre école (de toutes les écoles Freinet, à ma connaissance), une action toute simple, bien qu’elle se heurte à la règlementation de l’école élémentaire française : la possibilité pour les parents d’entrer quotidiennement dans la classe de leur enfant, aux heures d’entrée et de sortie. Dès lors, l’école devient un espace familier pour tous. Pour commencer, comme le dit un collègue,  «il faut cultiver la bonne humeur. Le sourire du matin et le bonjour, c’est déjà un premier pas vers la reconnaissance mutuelle. »

L’exposition d’œuvres ou réalisations diverses des enfants prend aussi plus de sens, le lieu de vie scolaire étant offert au regard quotidien des familles.

On peut régler quelques questions au jour le jour et éviter qu’elles ne prennent trop d’ampleur. Il devient plus facile d’échanger des informations et de solliciter certaines familles. Des parents volontaires peuvent donner un peu de leur temps en aidant des enfants de cycle 2 dans leur lecture du matin, une institution de notre école… La liste n’est pas close des effets positifs d’un lieu de vie publique qu’on veut approprié par le plus grand nombre de ses acteurs. Mieux, quand ils en deviennent les auteurs en faisant des propositions pour les usages de l’école, à l’instar de ces parents qui ont aménagé le hall de l’école pour mettre mieux en valeur les expositions.

 

Le dialogue école-parents est facilité aussi par la volonté de l’équipe pédagogique d’insister  sur le positif d’abord, quand on fait le point sur chaque enfant, périodiquement. Le point d’appui concret est ici le « cahier de progrès », mis en place dans toutes les classes depuis quelques années qui valorise d’abord les réussites des enfants, dans l’esprit et la filiation des Arbres de Connaissances, et qui tient lieu désormais de livret d’évaluation. Le problème est alors de parler de réussite aux parents  sans masquer les difficultés et les besoins d’aides extérieures éventuelles. Problème d’équilibre qui trouve en partie sa résolution dans la volonté de se concentrer d’abord sur le positif.

Pour autant, proximité ne veut pas dire promiscuité. L’école, lieu de vie, n’est pas une « auberge espagnole ». Elle est soumise à certaines exigences, visant l’intégration réussie de tous les enfants. Cela peut entrer parfois en contradiction avec l’intérêt de parents centrés d’abord, et c’est naturel, sur leur(s) propre(s) enfant(s). L’école publique subit une montée de la pression consumériste, conjuguée à des comportements individualistes, et qui se traduit par une implication moindre ou moins désintéressée dans des collectifs tels que l’association de parents de l’école. Des initiatives telles que les fêtes de connaissances ont aussi pour but de venir interpeller en actes, voire contrarier ce type de comportements.

A nous, enseignants, de trouver aussi la bonne distance, avec le souci premier de l’intérêt des enfants. Pour certains d’entre eux, étouffés par le cocon familial, il peut être bon de maintenir les parents à distance physique de l’école. Cela se négocie bien sûr et c’est plus facile quand on a eu le temps de faire connaissance auparavant.

Il nous faut aussi rester vigilants sur un autre effet indésirable, bien que très ponctuel, de cette ouverture de l’école, quand nous devons intervenir pour éviter l’immixtion intempestive de parents dans des conflits entre enfants. Le traitement de ceux-ci est l’affaire de l’école. Les parents concernés en comprennent généralement très bien l’explication de notre part. Qui sait ? Ça peut même participer à leur construction de parents, aptes à distinguer ce qui est de leur ressort dans l’éducation de leurs enfants. Une autre dérive enfin, qui appelle notre vigilance, tient des effets de connivence avec certains parents, souvent ceux des classes moyennes qui s’investissent aussi le plus dans la vie de l’école. Cela peut créer, à notre corps défendant,  des distinctions entre parents mal ressenties par ceux qui sont plus distants.

 

L’espace-parents, aménagé en 2008 par la Ville de Rennes dans les locaux de l’école, illustre cette tension, entre proximité et promiscuité. Voulu d’abord comme espace d’accueil des parents, notamment les plus éloignés de l’école, nos limites en surfaces disponibles en ont fait un lieu partagé avec la salle des maîtres. Du coup, cet espace n’est pas autant investi par les parents que nous le souhaiterions pour des actions éducatives spécifiques (partages de connaissances notamment). Nous réfléchissons à en faire un lieu mieux dédié au

 

 

 

Des liens école-parents centrés sur l’action

En 1995, l’école publiait régulièrement le journal Press’citron qui rassemblait des écrits d’enfants, de parents et d’enseignants. A cette époque, le directeur réunissait de temps à autre, sur son temps de décharge, des parents pour traiter ensemble de questions éducatives pouvant avoir une influence sur la scolarité des enfants… La coopération tournait alors beaucoup autour du dire et écrire.

Dans les années qui suivirent, l’équipe fit le constat que ce mode de relation école-parents avait des limites quand il s’agissait de toucher certaines familles distantes culturellement de la forme scolaire. C’est ainsi que nous avons réorienté peu à peu la relation vers le faire et le voir.

L’organisation de « fêtes de connaissances » réunissant enfants et adultes de la communauté éducative (le terme prend sens ici, je pense) est née de cette réorientation et dans la continuité des actions inspirées par les Arbres de Connaissances. Ces grands marchés de connaissances organisés hors temps scolaire permettent de valoriser des savoirs qui ne le sont pas habituellement dans la sphère scolaire. Toutes les cultures trouvent une place et une dignité dans ces moments conviviaux qui concourent à l’ambiance générale de l’école[ii].

Plus récemment, reprenant l’idée ailleurs, nous avons instauré « L’heure des parents » où chaque classe invite ses parents à venir assister à la présentation de réalisations diverses sélectionnées par les enfants. Temps de valorisation des œuvres, organisés le mercredi en fin de matinée ou le vendredi juste après les cours. Moments de fierté pour toutes les familles, en même temps qu’elles confortent l’image de l’école à leurs yeux. Ces moments sont « aussi parlants que la réunion de rentrée qui, avec sa présentation du fonctionnement, noie certains parents ne maitrisant pas la langue. »

La « semaine des parents » mise en place depuis quelques années, en collaboration avec la coordinatrice ZEP du secteur[iii], permet aux parents qui le désirent d’assister à des moments de classe et d’échanger ensuite avec les maître(sse)s sur ce qu’ils ont vu. Une ouverture sereine à tous les parents passe par notre capacité à leur expliciter ce que l’on fait, en connaissance de cause.

 

 

 

 

 

Autre époque, autres rythmes

Il y a vingt ans, notre ambition était plutôt tournée vers les familles et des coopérations voulues avec les structures de quartier, dans le sens d’un espace éducatif permanent et coordonné. Aujourd’hui, nous nous centrons plus sur un travail avec les parents, et au sein de l’école. Ce recentrage, avec une approche peut-être plus normative, a sans doute différentes explications (sociales, sociétales et politiques) qui mériteraient d’être développées dans un autre article.

La réforme récente des rythmes scolaires vient renforcer cette tendance. Une partie de notre effort dans la relation aux familles porte désormais sur l’articulation entre temps scolaire et périscolaire, au sein même de l’école. Pour certains enfants, il en va de leur bonne intégration à l’école.[iv] Nous avons bien conscience aussi que ces actions risquent de renforcer malgré nous des comportements consuméristes et cela appelle une réflexion pour introduire plus de coopération sur ces temps périscolaires (partages de connaissances par exemple : nous le faisons déjà avec les animateurs du midi mais pourquoi pas en proposant à des parents de s’y investir aussi, au moins de temps en temps ?).

Pour conclure, on peut dire que les relations sont sereines et coopératives avec la très grande majorité des familles. Mais cette confiance, nous en sommes conscients, passe aussi par les résultats. Une adaptation convenable des enfants au collège, même si nous ne sommes pas obnubilés par ça, en est une condition.  En tout cas, nous nous plaisons à considérer que le projet de collège-lycée Freinet, impulsé par des parents de l’école désireux de prolonger l’expérience pour les enfants dans le second degré, exprime une large adhésion à nos pratiques.

Pierrick Descottes – Ecole élémentaire Léon Grimault, Rennes

Article extrait du Nouvel Éducateur n° 220



[i] Voir l’article « Ecole et familles : le rapprochement qui s’impose », paru dans le Nouvel Educateur n°80 de juin 1996, consultable sur le site de l’ICEM http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/14684

[ii] Voir l’édition ICEM n°55 qui retrace les débuts de l’expérience des Arbres de Connaissances dans et autour de notre école http://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/807

[iii] Notre école bénéficiait du dispositif CUCS ces dernières années.

[iv] Il y a beaucoup à redire sur la mise en place des nouveaux rythmes à Rennes mais nous sommes dans une configuration où le périscolaire bénéficie de moyens financiers importants. Ce qui n’est pas le cas partout, comme on le sait.