Raccourci vers le contenu principal de la page

Le texte documentaire - Essais de problématisation à partir d'expériences sensibles

 

Les dernières Journées d’étude ont fonctionné sur un implicite : l’étude du milieu serait assimilée avant tout à l’observation /analyse d’un milieu réel ou imaginaire. Un aspect pourtant très présent dans nos classes a été totalement occulté, ou quasi : la recherche documentaire vers la réalisation d’exposés ou conférences d’enfants. Il en a bien été question rapidement dans les groupes de travail « situations de classes » mais nous l’avons juste effleuré en tant que technique d’étude du milieu parmi d’autres.

J’ai donc envie de lui redonner une petite place ici, à l’aune modeste de mon approche  de cette technique en classe et de ses évolutions récentes.

J’ai longtemps pratiqué cette technique selon une approche Freinet classique. Un (ou deux) enfant(s) s’intéresse(nt) à un sujet quelconque, issu de centres d'intérêt personnels ou de la vie de la classe (entretiens, échanges avec les correspondants…). Il(s) écrivai(en)t dans un premier temps ses (leurs) conceptions initiales et ses (leurs) questions sur le sujet. Ce premier jet était présenté à la classe qui disait ses remarques, accords, désaccords éventuels face à ce qui avait été prononcé, avant d’y ajouter ses propres questions, où l’incongru n’était pas exclu (en tous les cas, au lancement de la recherche). La liste de questions, parfois (trop) longue, à laquelle j’ajoutais les miennes avec le souci de confronter l’(les) enfant(s) à des aspects du sujet que je jugeais essentiels, était transcrite sur une fiche-guide de recherche. L’(Les) enfant(s) entreprenai(en)t ensuite la recherche documentaire proprement dite, avec l’obligation première de vérifier ou non ses (leurs) conceptions initiales et de répondre au maximum de questions posées. Avec  mon aide si nécessaire, il(s) devaient réorganiser les réponses trouvées  en énoncé structuré (avec paragraphes sous-titrés autant que possible) en vue de l'exposé final, avec mon aide.

Ce protocole, tel que je l’analyse désormais, tenait son intérêt dans le travail spécifique de lecture documentaire, de tri, organisation, comparaison des données recueillies mais en restait pour l’essentiel au stade de la réponse (ou de la non-réponse, en cas d’incongruité de la question posée ou de défaut de documentation appropriée. Dans ce cas, il n’était d’ailleurs pas inutile de questionner collectivement les raisons de ces non-réponses, à l’issue de l’exposé).

Mais, avec le recul, cette approche présente deux grandes limites, au moins, au regard de nos attendus pédagogiques et politiques. Premièrement, on en reste au stade de la simple réponse, quand bien même on a cherché à croiser les sources, comme il se doit normalement dans ce genre d’exercice. Ce qui n’est déjà pas mal. Et deuxièmement, une liste de questions très souvent convenues, impersonnelles en ce qu’elles ne font pas écho à l’expérience sensible, vivante de l’enfant (et encore moins des deux enfants quand c’est le cas, les deux n’ayant de fait pas le même degré d’implication dans le sujet).

Non que je proscrive désormais ce genre de travail, qui garde son intérêt quant à des savoirs de base sur le thème en jeu dans l’exposé. J’y apporte d’ailleurs le plus souvent un prolongement personnel, avec les instructions officielles en filigrane, ce que certains appellent « la réponse du maître ». Mais il me semble que, dans le cadre d’une méthode naturelle d’étude du milieu (des milieux), on doit placer l’ambition à un autre niveau, avec ancrage autant que possible dans l’expérience sensible, vécue de l’enfant, et le souci de décentration, transformation ou mieux encore problématisation des données premières.

Quand un enfant a un projet de recherche documentaire, surtout si c'est en lien avec une expérience qu'il a vécue réellement, je lui propose d'écrire un « texte documentaire » (le terme « pré-texte documentaire » serait sans doute plus approprié) où il relate ce qu'il a vécu, ressenti, retenu et appris d'important dans cette expérience. Celle-ci étant de fait personnelle, les enfants se lancent plutôt désormais dans des recherches individuelles. Je ne proscris  toujours pas les recherches à deux mais je ne les encourage pas non plus, le sujet mobilisant souvent plus un enfant quand le second n’y met pas forcément le même sens et du coup le même investissement.

Le texte initial présenté à la classe ouvre à des questions et remarques parmi lesquelles je vais suggérer des questions problématiques, en tâchant de coller au plus près des faits et informations relatées dans le texte (voir les deux exemples ci-dessous). Le but est aussi que les enfants se familiarisent avec ce type de questions, s'en emparent pour en formuler à leur tour.

Du coup, on se concentre sur quelques questions seulement, avec la nécessité pour l'enfant de creuser certaines informations, les relier entre elles. Il peut être amené à faire des interprétations, suppositions, hypothèses qu'il livrera ensuite au débat du groupe lors de son exposé (qui peut prendre la tournure d'une conférence). Parmi les sources dont il devra faire état en fin d'exposé, il peut y avoir de fait ses parents, sa famille qui seront alors sollicités et impliqués dans la recherche. Cela n'évacue pas les questions qui ouvrent à des réponses simples, purement informatives mais celles-ci ne sont plus systématiques. Elles peuvent constituer une toile de fond qui permet de situer le cadre, le contexte. Je ne m'interdis pas d'apporter ces informations, à l'occasion de l'exposé/conférence ou dans son prolongement, avec le souci d'apporter les éléments de compréhension, pouvant aider à aborder les problèmes soulevés.

Apprendre à poser des problèmes sur les réalités abordées, c'est apprendre à penser, en chemin vers l'émancipation. Le but recherché est bien de faire acquérir aux enfants le sens du problème, de poser sur le(s) milieu(x) qui les entoure(nt) un regard distancié, ce langage de secondarisation qui permet de s'extraire de l'expérience et des perceptions premières.

Et le maître n'est pas exempt d'apprentissages en la matière, avec la nécessité de se former aussi dans les disciplines concernées mais aussi sur le terrain clinique, avec une écoute la plus fine possible de ce qui advient ou survient.

Pierrick Descottes  - octobre 2014

Le Canada

Au Canada, nous avons vu les chutes du Niagara à Niagara Falls. C'était magnifique. Je suis allée à Toronto et j'ai nagé dans le grand lac Ontario. Nous sommes aussi montés dans la Tour CN la plus haute du monde qui mesure 457 m.

Nous sommes aussi allés au village des pionniers à Blue Mountains. Dans ce village, on montre comment les canadiens vivaient avant. Comme métiers, il y avait : cuisinier, couturière, médecin, femme au foyer, fermier, etc.

Sara (10 ans)

 

Voici les questions issues des échanges suite à la lecture de ce pré-texte, avant le lancement de la recherche documentaire :

Pourquoi parle-t-on anglais au Canada ?

Pourquoi à Toronto, y a-t-il du français et de l'anglais ?

Qui étaient les pionniers qui ont construit ce village ?

Quelles différences as-tu vues entre la vie d'autrefois dans ce village et aujourd'hui ?

 

Vous imaginez bien que ces questions ont ouvert des portes sur la période des grandes découvertes et en particulier sur Jacques Cartier, natif de Saint Malo, et donc figure locale encore très présente dans notre région.

D'autres questions problématiques auraient certainement pu émerger comme : « Pourquoi a-t-on voulu construire une tour aussi haute à Toronto ? » La Tour CN a été une découverte marquante qui a occupé une place certaine dans l'exposé final de Sara. Cette question l'aurait sans doute bien mobilisée.

 

Ma Turquie

En Turquie, il fait très chaud en été et en hiver il fait très froid. En Turquie, il y a des familles très pauvres et il y a aussi des riches, Et il y a beaucoup d'immeubles. Pendant la nuit, des serpents peuvent nous mordre. Mon papi turc a un grand jardin et il a fait une grande cabane. Des abeilles ont envahi la cabane. Il y a des problèmes d'électricité dans toutes les maisons. Dans les champs, il y a des vieilles maisons un peu en ruine.

Elif (8 ans)

Questions issues des échanges après la lecture de ce pré-texte :

Dans quelle région de la Turquie vas-tu en vacances ? Comment sont les paysages de cette région ?

Quel est le métier de ton papi turc ?

La Turquie est-elle un pays riche ou pauvre ?

Comment les gens font-ils pour se protéger des serpents dans leur maison ?

Pourquoi fait-il très chaud en été et très froid en hiver ?

 

Autres questions qui auraient pu émerger, avec sollicitation possible des parents d’Elif :

Y a-t-il beaucoup d’immeubles comme en France ? Où vivent la plupart des gens ? Quelles sont les ressemblances et les différences avec le vie des gens en France ?

 

Voir le contenu des exposés finaux en fichiers joints.

 

Article extrait du Nouvel Éducateur n°222

Fichier attachéTaille
le_canada_texte_final.pdf86.38 Ko
expose_la_turquie.pdf224.68 Ko