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Le parcours de Lucile - Qu'est ce qu'elle gagne en liberté ?

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Revue en ligne CréAtions n° 259 "En chemin..."
annoncée dans l'Éduc' Freinet n°259 - Publication : octobre 2022

Collège Coberguer - Bergues (Nord) - Enseignant : Hervé Nuňez

 



Le parcours de 

 

Qu'est ce qu'elle gagne en liberté ?

 

1/ Aller vers l’expression libre est un travail.

"Tout homme peut peindre comme tout homme peut parler." dit Jean Dubuffet dans L’étoile à tout front. Mais même pour les plus assidus, cette « manie » est un travail.

Bruno Latour abonde en disant "J’ai toujours écrit, tout le temps, depuis l’âge de 12 ans. J’ai commencé à cette époque où les enfants [...] notaient ce qui leur passait par la tête. C’est une expérience un peu bizarre, devenue assez étrangère aujourd’hui, que Sartre a bien décrite dans Les Mots [1963].
Au début, vous notez des banalités, bientôt ce que vous écrivez devient intéressant, et vous finissez par découvrir qui vous êtes. Moi je notais tout, les choses de la vie quotidienne, la visite d’un oncle, la naissance d’une amourette [...]
Aujourd’hui, j’ai 218 carnets, classés par années."


Écrire, écrire, écrire... dessiner, dessiner, dessiner..., la voie la plus naturelle pour aller vers une expression personnelle est connue. Mais tout le monde n’a pas l’envie de s’engager dans ce travail ou de s’astreindre à avoir cette rigueur.


La plupart des élèves qui arrivent en 6e ont eu une pratique de l’écriture ou des arts plastiques limitée, parfois ils n’en ont aucune ou restreinte à l’imitation ou au coloriage, ils n'ont pas de quoi "partir à la rencontre de soi-même" comme le préconise Jean Astier.

 

Cela semble une gageure mais, pour ceux et celles qui en acceptent les règles à raison de cinquante-cinq minutes par semaine sur les quatre années du collège, la pratique de l’expression libre permet, me semble-t-il, d’atteindre certains objectifs d’émancipation.

2/ Le travail à mener sur la liberté est présent à chaque étape du processus créateur.

On l’a vu dans les articles précédents, Lucile a commencé par la figuration : La vie en cuisine, Le mur de Berlin revisité... Très vite, elle franchit une étape en décidant de se consacrer à la non figuration en partant du constat qu’elle ne sait pas dessiner. Elle aurait pu décider d’apprendre, d’insister sur ce point mais cela n’a pas été son désir avec certainement le sentiment que son parti était ailleurs. Elle montre dans certaines de ses productions qu’avec la non figuration, elle se confronte par choix à des problématiques de figuration, de l’espace notamment.

A-t-elle gagné en liberté ?

Il semble que la progression dans son travail permet de l'affirmer.

Cependant, comme le dit Célestin Freinet dans Naissance d’une pédagogie "Il y a parfois arrêt dans le progrès, quelquefois même régression et l’on a alors l’impression que l’enfant a donné tout ce qu’il pouvait donner. Mais bientôt se manifeste une nouvelle explosion, un nouveau bond en avant qui stupéfie et émerveille...".
Si ces arrêts contrarient la marche vers plus d’autonomie, plus de liberté, l’enseignant va devoir se remettre à l’ouvrage, c'est la part du maître.
Cela atteste du fait que rien n’est joué d’avance. Il faut garder confiance car cela s’inscrit dans un processus naturel de la relation pédagogique accompagnée de recours-barrières*.

Ainsi, dans certaines productions de 3e, notamment celles produites en groupe, comme Bonnes
vacances, projet de décembre ou Happy Pâques, il semble au professeur que la belle mécanique de l’expression libre ait été contrariée .

En fait, peut-être que ces productions fonctionnent plus, en cette dernière année de collège, comme un désir de partager avec le reste de la classe alors que celle-ci, recomposée en début d'année, n’est ni bienveillante ni fortement impliquée.

La discussion s’instaure et les élèves décident alors de proposer d'écrire Bonnes vacances dans le désordre pour "donner du travail à celui qui lit" et de faire en avril une installation d’œufs de Pâques au plafond de la salle, bien visibles, à hauteur de vue, afin d'interroger la magie de la quête.

 

L’expression libre est un chemin et il se construit patiemment à cet âge et à d’autres avec les pairs, le professeur, les camarades, la famille.
En effet, il est plus facile de suivre un ordre déjà construit (un sujet, un style de dessin, une technique, etc.), il est moins aisé d’inventer ses propres règles. Il manque à présent à Lucile, ce qui est plus difficile encore, de suivre un ordre sans essayer de le définir a priori. On peut parier que la dynamique, enclenchée grâce aux outils acquis, la fiche projet, la recherche, la mise en commun, si elle se poursuit après sa troisième, l’amènera vers une expression personnelle et singulière.

* Dans l'Éducateur de Mars 1954, C. Freinet par une métaphore définit le "recours-barrière" : très souvent, à la campagne, des barrières bordent les chemins. On peut s'y appuyer le cas échéant, comme à une rampe, pour franchir une fondrière ou
un bas-fond luisant de glace. [...] L'individu avance dans la vie entre ce que nous appellerons les recours-barrières qui conditionnent toute l'éducation et dont la nature et la fonction constituent en définitive tout le secret de la réussite.

                                                                                                                                 
 
                         

  En chemin ... https://www.icem-pedagogie-freinet.org/node/64708