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les devoirs et l'école

Les devoirs à la maison
histoire d'un malentendu

 

Les devoirs à la maison

1.1.1. Une interdiction constamment réaffirmée

Les textes officiels relatifs aux devoirs à la maison présentent une triple caractéristique :

  • ils sont unanimes à en prescrire l’interdiction ;
  • ils sont très nombreux, sans doute faute d’avoir été généralement appliqués :
  • ils sont le plus souvent articulés à des instructions relatives aux études dirigées ou surveillées, d’une part, aux horaires de l’école d’autre part.

Les principaux textes relatifs aux devoirs sont les suivants :

Circulaire du 29 décembre 1956

: « Aucun devoir écrit, soit obligatoire, soit facultatif, ne sera demandé aux élèves hors de la classe. Cette prescription a un caractère impératif ».

Circulaire du 28 janvier 1958

: « [...] En ce qui concerne la suppression des devoirs à la maison ou en étude, je vous prie de bien vouloir rappeler à tous les instituteurs de votre département le caractère impératif des prescriptions de ma circulaire du 29 décembre 1956 ».

Circulaire n° 64-496 du 17 décembre 1964

: « Je tiens à préciser que l’interdiction formelle de donner des travaux écrits à exécuter hors de la classe s’applique également aux élèves des cours préparatoires et vise, d’une façon plus générale, l’ensemble des élèves de l'école primaire ».

Circulaire n° 71-38 du 28 janvier 1971

: « Il reste interdit, dans l’enseignement élémentaire, de donner des travaux écrits à exécuter à la maison ou en étude ».

Circulaire n° 94-226 du 6 septembre 1994

: « [...] Les élèves n’ont pas de devoirs écrits en dehors du temps scolaire. A la sortie de l’école, le travail donné par les maîtres se limite à un travail oral ou à des leçons à apprendre ».

Lettre ministérielle n° 579 du 7 juin 1995

: « [Dans la logique de la mise en œuvre cohérente des études dirigées] la suppression des devoirs à la maison, à l'école élémentaire, trouve sa pleine justification ».

Il faut noter que l’ensemble de ces textes interdisent aussi les devoirs durant les études (surveillées ou dirigées), dès lors que celles-ci prennent place hors du temps scolaire, c'est-à-dire hors des 30 puis 27, 26 et désormais 24 + 2 heures d’enseignement.

(Extrait du rapport de l’inspection générale, intitulé « Le travail des élèves en dehors de la classe, État des lieux et conditions d’efficacité », octobre 2008)

LOI n° 2013-595 du 8 juillet 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République

: « Cette réforme des rythmes va permettre de rendre effective l'interdiction formelle des devoirs écrits à la maison pour les élèves du premier degré. »

 

Au-delà de la question réglementaire, on voit bien que l’usage a fait depuis longtemps jurisprudence : les devoirs sont la règle depuis toujours. En conséquence, ils sont perçus par la majorité comme étant une condition de la réussite scolaire. Il ne s’agit donc pas de les remettre en question mais bien de les proposer systématiquement. A noter que la morale éducative est en lien avec les comportements acceptables par la société et ses lieux communs. Elle sera toujours source de malentendu étant donné que rien de cela n'est écrit. Chacun s'affirmera dans son bon droit et la raison sera rarement convoquée.

 

Qu’en est-il réellement de leurs effets et des malentendus que cela génère ?

  1. Donner des devoirs à la maison avant le collège c’est rompre le pacte républicain égalitaire entre les parents citoyens et l’école. Ce pacte garantit une égalité de moyen et une équité dans l’adaptation pédagogique par une pratique différenciée tenant compte des différences individuelles. Proposer des devoirs à la maison, c’est contredire un des principes directeur du service public

    [1]

    qu’est l’école : l’égalité. « Ce principe interdit la discrimination entre les usagers du service tant vis-à-vis des prestations que des charges. » Dans la problématique du travail à la maison, un enseignant ne peut être garant de conditions de travail égales qui devraient être, à priori, profitables à chaque enfant.

 

  1. Donner des devoirs, c’est substituer sa responsabilité d’enseignant à celles des parents en postulant que chacun d’entre eux sera en capacité de faire la même chose, c'est-à-dire entendra la même chose, contextualisera la même chose sur le travail attendu.

 

  1. Donner des devoirs, c'est prendre le risque de banaliser le geste pédagogique en reconnaissant à tout éducateur la capacité à traiter une information qu'a priori seul un enseignant professionnel pourrait comprendre.

A quoi bon scolariser les enfants si tout un chacun peut prétendre aider méthodologiquement son propre enfant ? Les parents ne délèguent pas leur rôle de parent en confiant leur enfant à l'école. Ils ne peuvent s’assurer qu'un seul enseignant serait en capacité de répondre à leur attente éducative, personnalisation qui, dans ce cas, devrait être la règle pour chaque enfant inscrit à l’école.

Ce qu'un parent est en droit de demander à l'enseignant c'est de faire au mieux, d’assurer la sécurité physique et affective de son enfant et de mettre en œuvre des moyens pédagogiques pour permettre à son enfant d'apprendre et de maîtriser ce qui est inscrit dans les programmes officiels.

  1. Donner des devoirs, c'est se convaincre de l'illusion que chaque enfant profitera, de façon égale, du travail proposé, qu'une approche pédagogique égale ou équivalente marquée au coin du bon sens leur sera proposée à la maison.

Il n'y a qu'un seul endroit où peut être garantie une égalité de traitement, de moyens : c'est l'école, c'est la classe. Attention à ne pas imaginer que cela conditionnera la réussite. Si on ne peut garantir la réussite, en revanche l'égalité de moyen doit l'être.

Tant qu’on ne peut pas garantir que les conditions matérielles et humaines équitables sont réunies, s’assurer qu’il existe une pièce calme, loin de la rumeur ambiante, loin de la télévision, de l’agitation domestique, loin des frères et sœurs, tant qu’on n’est pas assuré que tous les parents pourront accompagner leurs enfants de façon équitable, tant qu’on n’est pas assuré que tous les parents ont bien compris ce que l’enseignant attendait d’eux, tant qu’on ne peut pas s’assurer que tous les parents sont disponibles pour répondre à la demande et aux intentions des enseignants, on ne peut pas proposer du travail à la maison. Sinon, notre responsabilité sera pleinement engagée dans le constat des inégalités scolaires renforcées par le travail donné à la maison.

  1. 5.     

    Être capable d'effectuer un travail personnel à la maison suppose avoir atteint une certaine maturité pour ne pas répondre uniquement à l’attente et la satisfaction de l’enseignant. C'est être capable de travailler pour soi, de comprendre les attendus, la méthodologie envisagée.

Il me semble qu’il faudrait travailler cela de façon systématique en classe, dès la 6ème et pas avant, pour qu’au bout de 2 ans les enfants emportent à la maison du travail compris dans ses attendus avec un savoir-faire maitrisé. Mais dans ce cas il s’agit de former les enseignants à former les enfants. Ce travail doit se faire avec méthode si on veut réduire les écarts entre les enfants.

Et pourquoi pas avant la 6ème ? La maturité des enfants ne garantit pas que chacun soit en capacité de faire le travail demandé de façon autonome. De plus, entre le collège et l’école élémentaire il n’y a pas d’homogénéité dans les pratiques. Ce qui se ferait à l’école pourrait être différent ou inadapté au collège.

Quand viendra le temps des devoirs, il s’agira pour chaque établissement de mettre à disposition des espaces, des lieux pour les élèves dont les conditions matérielles domestiques ne seraient pas satisfaisantes.

 

  1. 6.     

    Dernier point et non des moindres : le temps. Le temps de l’école n’est celui de l’enfant. S’il est si difficile pour les enseignants de différencier le travail en tenant compte des capacités et de la disponibilité de chaque élève, le temps de réalisation d’un travail pour chaque élève en général le même pour tous, peut se révéler très discriminant.

Au-delà de la compréhension de la tâche à effectuer, le temps de réalisation de celle-ci peut se montrer très hétérogène. Or si on corrèle tous les éléments précédents qui font obstacles à l’ambition du travail à la maison, à celui de la durée inégale d’un élève à l’autre dans la réalisation de la tâche, il est peu de dire que donner du travail à la maison est discriminant et creuse profondément, s’il en est, les inégalités sociales.

Sur cette question, il suffirait, pour s’en convaincre, que chaque enseignant soit dans l’obligation d’indiquer pour chaque tache à faire à la maison une durée maximale de réalisation. Je suis convaincu que le résultat serait édifiant et que très rapidement des parents alerteraient les enseignants pour leur signifier que la durée indiquée est très sous-évaluée. Mais on pourrait m’opposer le fait qu’en classe la durée pour effectuer un travail est la même pour tous… ce qui est parfaitement injuste. Ce qui se fait en classe et qui est inégalitaire ne doit pas être la règle et s’appliquer pour les devoirs.

Les examens, les concours, en ce sens, tel le baccalauréat, sont d’une injustice contraire à l’ambition de notre république qui défend le principe d’égalité. « Les distinctions sociales ne peuvent être fondées que sur l'utilité commune. » (art.1 déclaration des droits de l’homme et du citoyen 1789, préambule à notre constitution)

Le baccalauréat crée des distinctions sociales mais aussi des discriminations liées à la nature de chacun non fondées sur l’utilité commune.

Quand on y réfléchit bien, très peu de métiers conduisent des personnes à faire chez eux du travail en plus de celui réalisé durant la journée. Faire des devoirs ne prépare en rien à l’avenir les élèves pour leur future vie professionnelle sinon à penser la société comme constituée d’une élite dont la vie et le travail se confondent, avec pour victime première les personnes qui partagent leur vie privée.

A vrai dire, l’ambition de l’école est peut-être celle-là : faire de chaque élève une élite sociale potentielle.

[2]

janvier 2024

 



[1]

Principes directeurs du service public

La continuité qui implique que le service doit être assuré régulièrement, sans retard dans le temps, sans discontinuité gênante ou pénalisante pour l'usager. Ce principe a donné lieu à la confrontation avec l'exercice du droit de grève dans le service public ;

La mutabilité qui désigne l'adaptation des services publics à l'évolution des besoins collectifs et aux exigences de l'intérêt général.

L'égalité qui interdit la discrimination entre les usagers du service tant vis-à-vis des prestations que des charges : des situations identiques doivent être traitées de la même manière. Mais inversement, des traitements différents peuvent être réservés à des situations différentes.

 

[2]

Contrairement à une idée reçue, l’école en France a d’abord été conçue pour les notables avant de l’être pour le peuple. En effet, le premier type d’établissements – outre les grandes écoles, conçues après la période révolutionnaire – est le lycée. Créé en 1802, il est, avec les facultés, le seul établissement que l’État central contrôle et prend en charge financièrement. Les écoles élémentaires sont laissées à la charge des communes aussi bien pour le personnel que pour les bâtiments. (L’élitisme scolaire, Bruno Poucet, 2016, n°40 de la revue Après Demain)