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Accumulations - Installations d'objets

Dans :  Arts › Principes pédagogiques › 

 


Revue en ligne CréAtions n° 254 "Le Millefeuille aurait voulu être un artiste"
annoncée dans le Nouvel Éducateur n°254 - Publication : octobre 2021

Classe maternelle multi-âges - École de Guerlédan, Saint-Aignan (Morbihan) - Enseignante : Marie-Noëlle Robin-Decayeux

 


Accumulations 
Installations d'objets

Je propose aux enfants de se mettre par deux, un grand avec un plus petit. Je leur donne un support (plaque de bois, carton rigide) pour délimiter une surface de base réduite, éviter qu’ils ne s’étalent et parce que je souhaite implicitement qu’ils travaillent en volume.
Je distribue à chaque groupe une barquette avec des objets de la classe : Kaplas®, crayons de couleurs, bouchons, ciseaux, dinosaures en plastique, pinces à linge, maisons récupérées dans un jeu de Monopoly
®, couverts de la dinette.

 

Je leur demande de trouver une bonne idée pour les installer. Pendant ce temps, une dizaine de minutes, je me déplace dans chaque groupe pour voir leur travail.


Dans certains groupes, c’est le plus grand qui mène la barque mais pour d’autres groupes la coopération est vraiment très forte : certains petits sont très investis. L’utilisation d’objets permet de les rendre acteurs. Manipuler leur donne l’impression d’être dans le jeu plutôt que dans une production personnelle. Je constate que les enfants travaillent plutôt en surface et en mode création mathématique plutôt qu’artistique.
Je les incite en vain à produire en volume. Les productions finales restent de type "créations géométriques, symétriques..."

 

Nous prenons le temps de regarder les photos au vidéoprojecteur. Les enfants font des remarques, disent ce qu'ils voient : "On dirait un bonhomme", "On dirait une barrière pour les chevaux", "On dirait une chenille", etc. Puis je leur demande de décrire comment le travail s'est construit, en essayant de nommer les actions : "Ils ont travaillé à plat, ils ont fait autour, ils ont rangé, etc."  

Je leur montre alors des photos des œuvres d'Arman. Ils repèrent tout de suite que l'artiste a travaillé sur l'empilement, la répétition, l'organisation dans l'espace, en volume, etc.

 

 

Les enfants se remettent au travail avec beaucoup de plaisir.


 
Cette fois, ils empilent, montent en volume ce qui entraîne des chutes et des bonnes rigolades.

 

Nous faisons ensuite une projection des photos de cette deuxième série de productions. Elles sont en volume, plus artistiques, moins géométriques.

Je constate que le matériel choisi modifie implicitement la production. Le fait d’utiliser les mêmes matériaux pour des ateliers à objectifs différents brouille un peu les pistes. Je trouve cependant très intéressant d'avoir ce matériel en commun, même s'il est vrai que cela ne facilite pas les choses pour les plus jeunes.

Cela leur permet de s'interroger sur ce que sont les mathématiques, ce qu'est l'art. Ils en expérimentent les spécificités essentielles alors qu'avec des matériaux différents, ils pourraient rester dans la superficialité des disciplines. Ils prennent conscience aussi qu'il existe un espace commun aux deux domaines.
Certains enfants pointent de manière systématique les symétries, d'autres repèrent  les orientations dans l'espace : couverts ou crayons dans le même sens, mais il y a peu de remarques d'ordre artistique si ce n'est du genre "C'est joli." ou "On dirait un moulin.".

 

"Historiquement des liens de nécessité
 Dans le sens commun on oppose fréquemment le mathématicien rigoureux et l'artiste rêveur. La hiérarchie des domaines d’enseignement en témoigne : on n’a jamais vu doubler une année de classe pour une faiblesse en dessin ou en musique. Et si cette dichotomie n’avait pas lieu d’être ?
La géométrie n’est pas née seulement de la nécessité de retracer les limites des champs après les crues de l’Euphrate et du Nil. Depuis la nuit des temps, l’art rupestre, les pierres gravées découvertes sur différents sites, les poteries du néolithique décorées de motifs géométriques reproduits par translation, symétrie, et même homothétie, tout montre que arts et mathématiques ont toujours eu des liens étroits. Les architectes des palais et des temples ont depuis des millénaires construit en conjuguant l’esthétique aux nécessités fonctionnelles, ces bâtiments devant frapper et inciter à la grandeur, au respect, à la dévotion autant qu’obéir aux lois de la pesanteur et de l’utilité. Les œuvres du Moyen-âge et de la Renaissance témoignent elles aussi de la présence continue des mathématiques : construction des cathédrales, composition des tableaux, tracés de perspectives, etc. De nos jours beaucoup d’artistes, et pas seulement les architectes, utilisent les mathématiques pour produire leurs œuvres, voire même placent les concepts mathématiques en préalable de leurs œuvres. Les musiciens Tom Johnson, Pierre Boulez, Yannis Xénakis… , les plasticiens Victor Vasarély, Irène Rousseau, M.C. Escher, François Morellet, etc. Si les artistes utilisent les mathématiques, à l’inverse celles-ci sont redevables des arts. La revue Cosinus1 montre par exemple que certaines équations du 3ème degré trouvent une solution grâce à l’Origami et de façon très lointaine on peut penser que la nécessité de reproduire le même motif sur des poteries de différente taille à pu faire germer les lois de l’homothétie dans la tête de l’artiste du néolithique.
Les arts et les mathématiques sont donc historiquement liés et continuent à s’apporter mutuellement."

Rémi Jacquet


  

 
  Le Millefeuilles aurait voulu être un artiste