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Travail prescrit, travail réel

Octobre 2006

Préparer la classe, c’est recueillir l’expression brute des enfants pour la façonner collectivement, l’organiser, la structurer, pour que chacun polisse ensuite sa propre pierre.
C’est un champ que la sociologie du travail a exploré il y a quelques années de cela. Il existe en effet un écart irréductible entre le travail prescrit par une demande et la réalité du travail effectué par celui qui l’effectue. La tâche éducative et la préparation de la classe n’échappent pas à cette règle ! En bons praticiens que nous sommes, nous avons toujours constaté que la quotidienneté de la classe résiste toujours aux belles théories, aux grands préceptes, à la difficulté à mettre en place les textes officiels. Et dans ce même sens, les pédagogies coopératives ne sont pas exemptes de cet écart entre le dire et le faire !
Mais qu’en est-il plus précisément de la préparation de la classe ?
J’ai toujours été un peu mal à l’aise avec ce que nous nommons communément « fiche de prép ! » qu’on nous apprend à réaliser en formation initiale : quelques belles colonnes bien tracées, détail de chaque phase, déroulements,matériel, consignes, temps, formes de travail… Et surtout objectifs opérationnels, objectifs spécifiques, objectifs notionnels… Qui a dit que la pédagogie par objectifs n’avait plus cours ? Ah ! J’oubliais ! La colonne « observations »… Irrémédiablement vide !
Et puis, comment ne pas évoquer le bien triste et pénible cahier journal, sans compter la liste des chansons et récitations ainsi que les progressions mensuelles, le tout bien affiché visiblement, et lisiblement, sur un panneau, derrière le bureau !
Et après quelques années de ronron, une fois tous les trois ou quatre ans, quelques jours avant que Monsieur l’Inspecteur ne vienne nous monter d’un généreux quart de point, on se surprend à « gratter » quelques fiches de prép pour remplir son classeur, à mettre à jour son cahier journal, à rafraîchir de vieilles progressions, sans oublier les calculs de pourcentages d’absents et de présents sur le registre d’appel !
Bien sûr, tout ceci n’est que pure fiction !
Le travail réel ne s’oppose pas au travail prescrit, il est davantage une adaptation à la réalité,un signe d’intelligence en actes face à l’imprévu,au sensible,au vivant !
Préparer la classe,c’est peut-être tout d’abord penser l’espace pour que les enfants puissent dire, lire, écrire,mathématiser, chercher mais aussi dessiner, sculpter ou encore penser. Préparer la classe c’est mettre à la disposition des enfants des outils pour leur faciliter le travail. Préparer la classe, c’est offrir aux enfants des matériaux (y compris intellectuels) qui leur permettront de construire leurs propres outils, pour leurs propres chantiers. Préparer la classe, c’est, pour reprendre une expression de Philippe Perrenoud,penser pour l’action, penser dans l’action,penser
sur l’action.
La préparation traditionnelle de la classe insiste en priorité sur « pour », sur l’anticipation.
Les deux autres temps (« dans » et « sur ») sont beaucoup moins évoqués.
Ils constituent pourtant à mon sens l’une des plus importantes postures professionnelles de l’enseignant. Il doit en effet observer et noter en temps réel, dans la vivance de l’instant pédagogique, mais aussi analyser a posteriori le travail des enfants pour que sa préparation soit en prise directe avec les besoins de la classe et des enfants.
Dans les corporations de métiers, la préparation d’un chantier est déterminante pour la bonne réalisation du travail. Tel un Compagnon,la première tâche de l’enseignant est de préparer LA classe, en véritable chantier des apprentissages. A lui également de savoir rendre compte du véritable travail effectué, bien au-delà de la prescription.