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Janvier 1988
POUR ESSAYER DE COMPRENDRE COMMENT "ça" FONCTIONNE AFIN DE TENTER DE "les" AIDER À APPRENDRE
Toucher et vision, même combat
Monsieur «Bébé» nous surprendra toujours comme le montre cette expérience sur la relation entre le sens de la vision et celui du toucher réalisé par Éliane Vurpillot, professeur de psychologie à l’Université Descartes (Pais V). Dans un premier temps on fait sucer par un nouveau-né d’un mois, mais sans qu’il l’ait vue auparavant, soit une sucette lisse, soit une sucette possédant des aspérités. Dans un deuxième temps, on lui montre les deux modèles. C’est toujours vers la friandise qu’il a sucée (ici une sucette à aspérités) qu’il oriente son regard. Cette capacité de reconnaître visuellement un objet qu’il n’a d’abord connu que tactilement est caractéristique de cet âge (elle disparaît au cours du deuxième mois).. Ce type de reconnaissance joue également en audition et en vision
Nous avons posé à Jean-Pierre Changeux les questions que les non-initiés - vous et moi - ne manquent pas de se poser sur le cerveau de l'homme. Ainsi, qu'est-ce au juste que l'intelligence, l'esprit, la raison?
«Pas une fois je n'ai employé le terme intelligence» dans les six cents pages de "L'Homme neuronal». Donc, je crois qu'on peut se passer du mot. Il porte sur des propriétés globales extrêmement mal définies et très intriquées les unes avec les autres. Pour moi l'usage de ce terme est associé à celui de «coefficient intellectuel», de Q.I. et celui-ci ne s'emploie utilement que dans les cas de débilité grave ou de situations dans lesquelles les performances moyennes cérébrales sont très altérées. "Je ne vois pas non plus la nécessité d'utiliser le terme «esprit» dans la mesure où le mot esprit est opposé à celui de matière, puisque, précisément, nous essayons d'identifier les bases neurales des fonctions supérieures du cerveau»
"Le terme raison me paraît utile et je considère la raison comme une fonction supérieure du cerveau qui apparaît chez les primates supérieurs et se développe chez l'homme. J’accepte également le mot "mental», parce qu'il porte sur des fonctions cérébrales qui correspondent à un niveau d organisation bien défini du système nerveux central. Ces fonctions ne sont pas du tout indépendantes de leur substrat neuronal: elles sont au contraire déterminées par ce substrat, au même titre que les propriétés de la cellule vivante sont déterminées par les molécules qui composent la cellule. Parmi les théories scientifiques qu'on peut aujourd'hui légitimement proposer (dans la mesure où elle peut être mise à .l’épreuve, vérifiée ou non par l'expérience), il y a celle des "objets mentaux» qui, je l'espère, établira le lien entre ce qu'il est convenu d'appeler le neural et le psychique. Une sorte de situation intermédiaire dans laquelle on se propose de trouver les bases neurales des représentations mentales... "
Est-il possible d'imaginer à la limite - demandons-nous au neurobiologiste - qu'on puisse un jour suivre le cheminement d'une pensée abstraite au niveau neuronal? Le cheminement d'un raisonnement mathématique, par exemple ?
"Bien sûr ! Parce qu'une pensée abstraite possède une base concrète qui est l'activité des neurones. Nous sommes encore loin du compte, mais je pense qu'on y parviendra. J'ai eu récemment une discussion avec un éminent collègue à ce propos. II me disait que ;le jour où les neurobiologistes parleraient des bases neuronales des mathématiques devant un parterre de mathématiciens et de physiciens, tout le monde rirait. Je lui, ai répondu: rira bien qui rira le dernier. Certaines lésions du cerveau entraînent des perturbations dans le calcul mathématique et dans certains enchaînements plus complexes d'opérations. Par exemple, le compte par soustractions successives à rebours du chiffre sept à partir du chiffre cent (100 moins 7, puis encore moins 7, puis moins 7, etc. ). Ce calcul mental est lié à l'intégrité des lobes frontaux. Certains sujets n'arrivent pas à effectuer ces séries de soustractions. Ils échouent aussi sur des tests comme celui de " la Tour de Londres " où on demande au sujet de disposer d'une manière définie des combinaisons de boules de différentes couleurs sur des tiges de longueurs variées : un malade atteint d'une lésion du lobe frontal gauche ne réussit pas ce test comme un sujet normal. Il existe donc des bases neurales pour ce genre de performances»
Pourquoi le cerveau de l'homme s'est-il ainsi développé, notamment le néocortex, (la couche de substance grise qui constitua la paroi des hémisphères cérébraux) et en particulier les aires frontales associées aux fonctions cérébrales les plus élevées?
Au cours de l'évolution paléontologique, répond Jean-Pierre Changeux, l’encéphale a augmenté de volume relativement au volume du corps avec pour conséquences un accroissement des performances du cerveau dans ses interactions avec l'organisme, mais surtout avec le monde extérieur. Le sujet peut explorer davantage de possibilités, anticiper sur l'évolution de ce qui l'entoure... -
Donc, ces propriétés confèrent un avantage sélectif aux organismes qui les possèdent il faut donc imaginer d'une part des mécanismes génétiques qui agissent sur 1’ensemble des causes déterminant la structure du cerveau, et d'autre part imaginer des mécanismes de sélection. I1 est clair qu'à ce stade, l'interaction sociale a été importante. C'est-à-dire que ce cerveau déjà très performant a permis d'autres réciprocités d'actions. Vous savez que Jacques Monod et quelques autres ont proposé la thèse selon laquelle l’apparition du langage avait été un facteur de sélection. L'autre conséquence de cette évolution, par l'accroissement de la surface du cortex cérébral a été d'accroître la capacité «d'apprentissage». Du fait que l'enveloppe génétique s'ouvre, en quelque sorte, à une interaction avec le monde extérieur, il y a dés lors une sorte de "prise en charge" de l'évolution génétique parce que j'ai appelé une «épigenèse» -par stabilisation sélective de synapses.
Que cachent ces termes compliqués? Une «épigenèse" est, en quelque sorte, l'apparition chez l'être en développement, d'une forme nouvelle sans faire intervenir de modification du matériel génétique. Selon Jean-Pierre Changeuz, des sélections de synapses ont lieu au cours du développement, lors de l'interaction avec le monde extérieur. Le mécanisme ne s'exerce plus au simple niveau de la cellule, mais à celui des ensembles de cellules nerveuses. Il n'a plus pour origine la seule carte d'identité des gènes exprimés par chaque neurone, mais la topologie générale du réseau des connexions qui s'établissent entre neurones au cours du développement. II s inscrit, dit Jean-Pierre Changeux dans la multiplicité des figures géométriques qui se dessinent dans les trois dimensions de l'espace, lors de la formation du réseau. Ainsi, apprendre, c'est stabiliser des combinaisons synaptiques préétablies. Mais c'est aussi éliminer les autres. On ne saurait donc comparer le cerveau humain à un ordinateur, même sophistiqué. Un ordinateur est programmé, le cerveau ne l'est pas.
« Cette conception du cerveau-ordinateur" est une erreur que font beaucoup de personnes un peu trop soumises à la métaphore de l'intelligence artificielle. Le langage, -par exemple, n'est pas un e programme " qu'on met dans le cerveau »
LIRE
• L'Homme neuronal •. Jean-Pierre Chanqeux I983
Collection Temps des Sciences, chez Odile Jacob
INFOS EN VRAC
Le Minotaure de Picasso
La Tour Eiffel de Delaunay
Deux nouveaux titres de la collection l'Art en jeu, une série de livres pour faire aimer l'art aux enfants (à partir de sept ans). Le Minotaure de Picasso, par Danièle Giraudy. «Si l'on réunissait par un trait tous les endroits où je suis passé dans ma vie, cela dessinerait peut-être la forme d'un Minotaure», déclarait Picasso qui s'est toujours identifié au Minotaure. Celui-ci devient le prétexte d'une course-poursuite sur les traces de l'imagination créatrice du monstre sacré- La Tour Eiffel de Robert Delaunay, par Milos Cuach et Sophie Curtil. Jeux de couleurs et jeux de formes font comprendre comment Delaunay a attrapé la Tour Eiffel avec ses pinceaux. 22 pages. Format 20 x 20 cm. 65 F.
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Extrait de French Cancans n°0 de janvier 1988
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