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Essai d’une synthèse de la discussion sur la réforme de l’orthographe

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Janvier 1989

Faire une synthèse des discussions sur une éventuelle réforme de l'orthographe n'est pas facile compte tenu des différents points de vue et du caractère souvent passionnel qu'entretien cette discipline clef de l'institution scolaire.
Notre mouvement n'y échappe pas.
Personne dans le mouvement ne se déclare opposé à une possible réforme .
Les points de vue sont divers et gravitent autour de trois grands thèmes:
- une approche historique de l'orthographe.
- la nécessité d'utiliser un code graphique "normalisé".
- le contenu et l'utilité d'une telle réforme.

Annie Dhënin remarque encore que, passée la période pour laquelle l'orthographe a un rôle sélectif et ségrégatif, la tolérance envers le code est beaucoup plus grande et ne pose plus problème pour ceux qui utilisent une secrétaire ou d'autres subalternes chargés de soigner la forme. (sans parler du nombre de fautes dans les copies d'agrégation !!!).
Elle conclut donc que l'orthographe n'est pas le problème de l'écrivain mais celui de "l'éditeur", c'est à dire celui qui veut communiquer un écrit. Ce qui pose le problème d'un code commun.
1 Quelques points d'histoire.
Pour Paul le Bohec le "malaise" qui secoue l'école à. propos de l'orthographe a une explication historique. Autrefois, dans une société stable où l'écrit était l'unique moyen d'information, l'orthographe était le thème central des apprentissages. Beaucoup de temps, d'énergie, d'attention et d'implication affective y étaient consacrés par les maîtres et la société en général, mais aussi par les enfants privés d'autres stimulations venues de l'extérieur.

2 Faut-il un code de l'écrit.
Claude Guilhaumé s'inquiète d'une orthographe libre pour les uns qui permettrait à d'autres de conserver leur pouvoir d'initiés.
Annie Dhénin, bien que rejetant l'orthographe comme moyen de sélection et acceptant toutes les graphies, reconnaît avoir besoin d'un code. Cela lui paraît indispensable pour faciliter la compréhension des élèves qui ne sont pas de bons lecteurs. Une codification multiforme défavoriserait les enfants qui ont déjà des difficultés.
3 Quelle réforme et pour quoi faire ?
Aujourd'hui, le temps et l'attention sont pulvérisés par et pour une myriade d'activités et d'événements. Il n'est donc pas étonnant de rencontrer des difficultés dans cet apprentissage d'un code aussi exigeant par sa complexité.
Annie Dhénin, dans une longue lettre s'interroge sur le rôle social de l'orthographe sur le plan historique. Cette codification de la graphie a eu pour origine la généralisation de la lecture et elle n'est pas liée (du moins dans un premier temps) à la pratique de l'écrit. De tout temps, les écrivains se sont montrés souvent peu soucieux de la rigueur de la norme graphique. C'est au 19° siècle, que la bourgeoisie a décidé cette codification. La complexité de ce code était aussi une façon d'en imposer.
Ce rôle ségrégatif de l'orthographe qui a pour conséquence objective une inhibition de l'expression par écrit pour les enfants issus de milieu populaire est une opinion partagée par tous.
C'est sur ce point que les opinions (pas forcément opposées) apportent des points de vue différents. Pour beaucoup. "on en a rien à foutre de la réforme'. (Je ne citerai pas la réaction de Jacques Terraza parce qu'il dit des gros mots). Nombreux sont ceux qui souhaitent accepter toutes les orthographes.
Philippe Bertrand constate que la simplification envisagée par certains (Lecomte et Cibois ) reste dans une logique de transcription phonétique :
C'est à dire dans une logique de "dictée". Pour Christian Bizieau cette réforme doit aller le plus loin possible et aboutir à une écriture quasi phonétique.
Paul le Bohec pense qu'elle ne résoudra rien mais que son éventualité est intéressante dans la mesure où elle pose le problème de la tolérance à 1a norme. Il faut abandonner le carcan d'un vieux code, mais il nous en coûtera à nous aussi d'écrire "farmacie" ou "pome". (A. Dhénin)
J'ai gardé la contribution de Denis Roycourt pour la fin car elle me parait résumer (du moins je le pense) la sensibilité du mouvement au sujet de l'écrit.
Dans un article envoyé à Libération, intitulé "Ne pas sa tromper une fois de plus de combat", Denis R. dénonce le caractère ségrégatif de l'orthographe et son rôle inhibiteur de l'écrit. (Une enquête prouva que très peu d'adultes sont à l'aise avec l'écrit). Il éloigne ce problème de son aspect fantasmatique et le replace dans son cadre quotidien. C'est l'importance que l'on attache à l'orthographe en temps d'enseignement qui empêche l'école de remplir sa vraie mission. (En CM 69% du temps consacré au français est consacré à : orthographe, grammaire, conjugaison -enquête malheureusement parcellaire-)
Le premier souci de l'école doit être de concentrer tout l'effort à la formation de la pensée et son expression par la langue écrite ou orale.
La position qu'il défend par rapport à une éventuelle réforme est que tout temps gagné sur l'acquisitions de subtilités, telles que "chariot" prend un seul "R", pourra être consacré à l'expression écrite (Malheureusement ce n'est pas sûr que le temps libéré serve à cela. Il pourrait être utilisé à l'étude de manuels d'anglais)
Cette priorité à l'expression de la pensée est partagée par tous. L'intérêt d'une éventuelle réforme n'est envisagée que dans ce sens.

4 Deux ou trois idées personnelles
* Et si la solution était institutionnelle?
Peu de réflexions ont abordé le problème de la dictée, outil institutionnel d'évaluation. Est-ce un sujet tabou? Cette forme d'évaluation influe fortement la didactique de l'apprentissage de l'orthographe et de l'écrit. C'est peut-être en obligeant les enfants à différencier "mon" et "m'ont" qu'on les habitue à les associer et à les confondre.
L'institution scolaire pourrait très bien se passer de la dictée évaluation. Le contrôle de "l'orthographie» peut être fait autrement.
* Et le code?
Et si Freinet avait raison? Partir de la pensée écrite des enfants, accepter dans un premier temps toutes les orthographes, prouver aux enfants que la socialisation de leurs écrits nécessite un code graphique commun à tous.
* Redonner la vie à une langue.
Plus que l'idée d'une norme ou d'un code, c'est sa complexité, sa rigidité et son immuabilité qui posent problème. Avons-nous le pouvoir d'agir sur ces trois points. Si l'objectif est de favoriser l'écrit de tous (es enfants quelque soient leurs instituteurs, c'est aux trois «Bastilles' que l'on doit s'attaquer. Comment faire?

Jany Gibert
pour le secteur Français
Septembre 1989

 

 

MON ENFANCE

Mon enfance
Je l'ai enfermée dans une jolie petite boîte
Que j'ouvre quand j'ai du chagrin
Et dedans cette boîte
Je vois des choses merveilleuses
Je revois la ville de mon enfance
Qu'elle était belle ma ville
Avant cette affreuse guerre
Où l'on risque toujours
D'être nuit et jour
Tué pas des bombes
Qui ont été déposées partout
Vraiment qu'elle était belle ma ville
Au temps de mon enfance

Jérome Carrera

 

Extrait de French Cancan n°1

Revue du secteur de français de l'ICEM

16 numéros parus de 1988 à 2000

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