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La diffusion mondiale de notre technique

Octobre 1936

 

Je rentre d’un rapide voyage à Oslo (Norvège), et c’est dans le bateau qui me ramène, tout enthousiasmé encore du chaleureux accueil dont j’ai été l’objet, que je rédige ces quelques notes.
A la suite de mon cours de Cheltenham, une des auditrices, Mlle Froyland-Nielsen a parlé avec sympathie en Norvège des avantages de notre technique ; elle a su notamment convaincre Madame Anna Sethne, présidente du Groupe Norvégien d’Education Nouvelle et animatrice inlassable de tout le mouvement pédagogique de ce pays, qui a décidé et organisé ma venue à Oslo.
Outre une conférence spéciale dans une salle de l’Université d’Oslo, je devais faire un cours tous les soirs pour initier nos camarades à la technique de l’imprimerie.
Disons d’abord que les organisateurs avaient fort bien fait les choses : tout avait été prévu, et nous n’avons eu qu’à nous soumettre, de fort bonne grâce, certes, aux! touchantes attentions de tous ceux que nous avons eu le plaisir d’approcher.
Constatons ensuite que, tout comme à Cheltenham, notre cours a obtenu un franc succès.
C'est que ce cours diffère essentiellement des conférences théoriques que des professeurs plus ou moins éminents sont parfois appelés à donner. Non pas que notre technique, et surtout nos réalisations, n’autorisent actuellement de longues controverses psychologiques et pédagogiques. Nous aurons bientôt fort à faire dans ces domaines.
Mais nos nouvelles conceptions pédagogiques ne doivent point sortir toutes faites de spéculations théoriques ; elles doivent être la résultante d’une technique de travail qui, en changeant les rapports entre milieu social, milieu scolaire, enfants et éducateurs, bouleverse les enseignements de vingt siècles de scolastique.

C’est cette technique de travail, c’est la nécessité subséquente de ces rapports nouveaux que nous nous appliquons plus spécialement à susciter, DANS LA PRATIQUE DE NOS CLASSES POPULAIRES.
Besogne relativement facile pour nous puisqu’il suffit de dire par le menu les progrès pédagogiques réalisés au sein de notre groupe pendant ces dernières années, de montrer le fonctionnement pratique de l’imprimerie aux divers degrés de l’école et l’adaptation des diverses disciplines aux intérêts fonctionnels révélés et extériorisés par nos techniques. Nous nous appliquons toujours, et tout spécialement à faire sentir le sens nouveau de l’école ainsi comprise, à expliquer profondément la forme originale d’une pédagogie qui part enfin, réellement, de l’enfant, qui ménage en lui les forces vives qu’annihilaient les méthodes traditionnelles et qui confie à l’école et à l’éducateur le soin d’apporter aux élèves les matériaux aptes à satisfaire leur curiosité et leur soif de connaissances ainsi que les techniques adéquates aux formes nouvelles de travail.
Comme toujours l’idée du FICHIER SCOLAIRE COOPERATIF — de CARTOTHEQUE comme disent nos amis norvégiens — a eu un succès particulier et nous sommes persuadés que si le nombre des adhésions à nos techniques reste, au début, relativement réduit, nombreux seront par contre les éducateurs qui introduiront dans leur classe, sans tarder, l’idée du Fichier Scolaire sous toutes ses formes.
Nos éditions, et notamment nos ENFANTINES, ont été fort appréciées.

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Mais partout la réaction veille.
Le bateau n’était pas encore amarré au port d’Oslo que surgissent reporters et photographes, les uns sympathiques, les autres — nous le saurons demain — ennemis de nos progrès, et sans doute d’ailleurs renseignés et prévenus sur la portée libératrice de nos techniques.
Toujours est-il que le lendemain, grand scandale à Oslo. Le journal fasciste « Tidens Tegn » publiait une longue et prétendue interview intitulée : LA POLITIQUE EST MAUVAISE MAIS LE PÉDAGOGUE EST BON.
Dans cet article savamment tiré de nos publications, découpées et commentées à la mode fasciste que nous connaissons, le reporter peu scrupuleux nous faisait affirmer que nous faisons de la politique à l’école et que, par notre pédagogie nous préparons directement l'ère révolutionnaire.
Il a suffi, pour ma défense, de citer la fin de mon article leader du n° 1 de « l’E. P. », dans lequel je précisais d’avance la position de notre mouvement en face des questions sociales et politiques urgentes — nullement contrarié d’ailleurs de voir un journal fasciste dénoncer l’influence libératrice de nos techniques.
L’événement serait peut-être passé inaperçu en période normale. Mais le lundi suivant les électeurs norvégiens étaient appelés à nommer leurs députés. Comme dans tous les pays, socialistes et communistes mènent là-bas une lutte active pour essayer de conquérir la majorité au Parlement. Et les fascistes ne restent pas inactifs. Rien n’est si dangereux et si délicat en de telles périodes que la position de ceux qui, comme les dirigeants du Groupe d'Education Nouvelle, voudraient rester au-dessus de la mêlée.
Nous avons quant à nous, et sans aucune restriction, affirmé notre position de toujours : nous sommes contre tout bourrage de crânes à l’Ecole; nous pensons que notre besoin d’aller vers la vie ne doit pas nous faire redouter les discussions sincères sur les questions politiques et sociales, mais nous nous en voudrions de pousser nos enfants, par un enseignement dogmatique, vers une orthodoxie de quelque couleur qu’elle soit. Nous nous élevons au nom des mêmes principes sur l’obligation qu’on fait actuellement à l’école publique de servir passivement — et hypocritement — la morale et l’idéologie d’une classe au pouvoir. Le seul fait de prétendre former des hommes — et d’y parvenir dans une certaine mesure, postule aussi que nous préparons nos enfants à prendre demain leur place dans la grande armée de ceux qui réclament et qui luttent pour le triomphe de la démocratie prolétarienne.
Ceci concerne l’école et notre position pédagogique avec les enfants.
Mais, en dehors de l’école, les instituteurs restent des citoyens. Dans les graves conjonctures présentes, ils doivent être parmi les plus clairvoyants des citoyens. Nos amis Norvégiens, paisiblement passionnés à des luttes électorales hors de l’atmosphère tragique qu’est la nôtre, s’étaient quelque peu émus de notre formule : « VAINCRE OU MOURIR ». Il nous a fallu leur expliquer que l’avènement du fascisme serait notre mort physique et la fin de notre œuvre et que, face à cette alternative, il nous était impossible, en tant que citoyens, de ne pas prendre position et de ne pas affirmer, même hors de France, LA NÉCESSITÉ PEDAGOGIQUE ET HUMAINE DE LA LUTTE ANTIFASCISTE.
Nos amis, tout en regrettant que nous, paisibles et constructeurs, en soyons réduits à d’aussi regrettables extrémités, ont compris du moins la rectitude de notre attitude et n’en apprécierons sans doute que mieux la portée générale de notre technique.
Qui dit école nouvelle d’ailleurs ne dit-il pas pédagogie tournée vers le progrès, vers la démocratie, vers la libération sociale, préparation définitive de la libération intellectuelle et morale ? Il y a là un aspect de la pédagogie nouvelle que nous devons, partout et toujours, mettre en lumière. Les pays fascistes, destructeurs impitoyables de toute tentative de libération pédagogique, nous montrent d’ailleurs la nécessité, pour l’éducation nouvelle, de choisir son milieu et de prendre socialement position. 
J’ai dit librement ces choses, tant à l’occasion de mes cours que durant une causerie faite à l’Université à des étudiants norvégiens étudiant le Français sous la direction de M. Gunnar Host. Que les éducateurs qui auraient pu être quelque peu inquiets de cette attitude en fassent responsables les implacables événements dont nous subissons plus qu’eux les dures conséquences.

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A l’issue de mes cours, un Groupe Norvégien a été constitué. Plusieurs commandes de matériel ont été enregistrées en attendant que nos camarades puissent s’approvisionner sur place comme nous le souhaitons. Grâce au dévouement et à l’activité de Mme A. Sethne, le travail va commencer sans retard. Nos adhérents peuvent dès maintenant demander des correspondants norvégiens. Je puis les assurer qu’ils rencontreront dans ce pays de touchantes sympathies.
Je donnerai d’autre part un résumé de quelques constatations pédagogiques faites en Norvège. Je dois ici, avant de terminer, remplir un agréable devoir en remerciant les animateurs du Groupe Norvégien de l’accueil qu’ils nous ont réservé. Bien qu'il soit dangereux, en pareille occurrence, de taire des personnalités, nous devons une gratitude spéciale à Mme Sethne qui a tout prévu, tout organisé et qui, avec une vigueur d’esprit que tant de jeunes pourraient lui envier, montre en Norvège la voie de l’éducation nouvelle libératrice — et Mlle Froyland-Nielsen qui a si parfaitement compris notre technique qu’elle a pu, avant même notre venue à Oslo, préparer admirablement l’atmosphère dans laquelle notre besogne a été tellement facilitée.
Ce voyage et cette série de leçons et de conférences nous ont, de plus, fortifiés dans l’idée que notre technique, ayant terminé sa lente et difficile mise au point, est maintenant en mesure d’être divulguée, d’être comprise et acceptée par tous ceux que nous pouvons initier à l’esprit pédagogique nouveau. Puisque l’étranger s’intéresse avec une telle puissance à nos techniques, il faut que s’intensifie en France la propagande qui nous fera connaître à des centaines et à des milliers d’éducateurs, en attendant que l’école publique accepte officiellement, sinon notre technique intégrale, du moins les prémisses de rénovation que nous avons préconisés dans notre dernier numéro.
Ce numéro spécial sur le NOUVEAU PLAN D’ÉTUDES FRANÇAIS a eu auprès de tous nos lecteurs une faveur que n’avaient jamais connue aucune de nos publications — preuve certaine que nous touchons là un des points essentiels de notre action pédagogique urgente. « Votre ” Educateur Prolétarien ’’ du 15 octobre est merveilleux, nous écrit une institutrice de la Dordogne. Le Nouveau Plan d’Etudes belge et celui que vous proposez pour nos écoles sont enfin imprégnés d’un profond sentiment humanitaire. Merci d’avoir publié l’un et l’autre. Merci de nous sortir d’une routine mortelle. »
Nous pourrions citer de nombreuses opinions aussi favorables, même si elles sont souvent plus laconiques. De presque tous les départements nous sont parvenues des demandes de numéros pour envoi aux parlementaires et aux officiels. Intensifiez partout cette action. Profitez de ce numéro pour nous faire connaître parmi les jeunes surtout, au cours des réunions diverses du début d’apnée. Nous continuerons à vous envoyer gratuitement tous les documents propagande que vous nous demanderez,
Agissez également au sein des syndicats et des diverses associations pédagogiques afin que la publication de notre numéro spécial ne soit pas un ordinaire feu de paille que, autour des propositions concrètes que nous avons formulées se crée en France une atmosphère de discussion, une atmosphère d’attente, prélude des réalisations que nous osons malgré tout espérer.