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logo blog Le projet d'Eole Le projet d'école comme fabrique de vent

En PJ, le Guide et le Tableau 

 

 

 Le projet d'Eole

Le projet d'école comme fabrique de vent

 

« Le management hypermoderne s’avère l’instrument privilégié de l’asservissement des esprits et des corps, de l’attaque de la pensée et des liens et s’affirme de plus en plus clairement viser la normalisation des comportements. »

Diet Emmanuel, Management, discours de l’emprise, idéologie et désubjectivation.1

 

Tous les quatre ans environ, notre administration nous demande de reformuler notre Projet d'Ecole.  Avec la loi d'orientation de Jospin, en 1989, nous mettions naïvement nos doigts, nos esprits et notre libre-arbitre pédagogique dans l'engrenage infernal du new public management. A l'origine, nous étions appâtés par des financements conséquents. Nous nous soumettions au rituel du projet pour améliorer l'ordinaire de l'école. Aujourd'hui, il ne reste presque rien de cette manne céleste, seulement l'obligation de nous soumettre docilement, hypocritement, au Projet d'Ecole. Nous fonctionnons. Au fil du temps, notre hiérarchie nous a même contraints à passer, dans la forme, d'une dissertation qualitative d'idées pédagogiques singulières au carcan  bureaucratique d'une technologie informatique imposant à toutes les écoles les moules du tableau, du quadrillage et des cases à remplir. Excel y excelle. Primeur est accordée au quantitatif même si les indicateurs sont contestables ou erronés. Aveuglément, nous contribuons à entretenir l'illusion néolibérale de notre compétence à mesurer la réussite scolaire. La palme du ridicule va sans doute à l'évaluation de la citoyenneté à travers le taux de réussite à l'attestation de première éducation à la route (APER). Les théo-fascistes qui sèment la terreur avaient-ils échoué à l'APER ?

Aucune rédaction n'est sollicitée. Implicitement, en éliminant le récit, le tableau Excel évince toute réelle réflexion pédagogique. Toute approche organique doit être remplacée par des données chiffrées. Les décisions pédagogiques doivent découler des résultats aux évaluations en mathématiques, en français, du taux de réussite en APER, en informatique, en anglais ou en natation, du taux d'absentéisme, du nombre de bagarres et d'accidents. Les petits humains disparaissent dans une forêt de chiffres sans vie. Le tableau excel est l'outil idéal de la déclinaison néolibérale de la gestion de l'école organisée autour du socle et du projet. Il impose un cadre uniformisant. Le guide au projet en fournit la nomenclature. Il en offre la panoplie complète, de la réforme, au pilotage par le résultat en passant par les bonnes pratiques. Dans notre société malade, la recherche, la santé et l'Education Nationale sont aliénées à la gestion mécaniste de l'humain calquée sur la performance de la productivité économique2.


Projet d'école 2016, ses "dimensions indissociables et interdépendantes" et ses "six axes du référentiel de l'éducation prioritaire".

Le glossaire du guide méthodologique définit notre novlangue : cœur du projet, compétences, diagnostic, fluidité  et sécurisation des parcours, indicateurs, modalités d'évaluation, etc. Le guide, le vocabulaire et l'outil technologique obligent les équipes pédagogiques à se glisser dans le sillon tracé. Aucun pas de côté n'est autorisé. Le support et la forme ne peuvent être contestés, la question de l'efficacité d'une telle méthode de travail ne peut être posée. Les « quatre dimensions » et les six axes sont incontournables. Aucune remise en cause n'est possible, ni du projet, ni des programmations, ni des progressions. La pédagogie programmée est un postulat. La rédaction du projet d'école induit implicitement une pratique traditionnelle de l'enseignement. 

Par la forme quadrillée d'Excel et par le vocabulaire imposé, les récits singuliers des écoles sont moulinés pour se dissoudre dans la bouillie du tableau. 

Le volontarisme du guide est déconnecté de la réalité. Le projet dématérialise l'action éducative. « Développer l'offre et l'usage du numérique à l'école », quand nos parcs informatiques sont désuets, en sous-nombre et sans espoir d'amélioration.

Que dire de « L'articulation du temps scolaire et périscolaire dans le cadre notamment de la mise en place des nouveaux rythmes scolaires. » lorsque l'on connaît l'état de désorganisation du temps d'activités périscolaires, les conséquences néfastes de cette réforme sur les rythmes biologiques des enfants, les difficultés d'organisation pour les familles et la dégradation du service public d'éducation ?

Pourquoi est-il question de culture seulement lorsqu'elle est accolée à l'Art, au sport et à l'humanisme ? A l'école, la mathématique et l'écrit ne seraient pas des activités culturelles ?

Comment traiter sérieusement de la cohésion éducative de l'école avec ses partenaires (parents, mairies, associations), sans espace pour (dé)poser l'émotion suscitée par le tourbillon de psychose collective dans lequel sombre l'école dans son Etat d'Urgence ?

Quel sens aurait notre projet s'il continuait à clamer la nécessité d'ouvrir l'école aux familles, au quartier à l'heure où l'on nous intime l'ordre d'en fermer et d'en surveiller les issues ? Quelle signification aurait le renoncement au primat du lien social en éducation ? Quels tons délavés prendra notre carnaval interdit de défilé, interdit de bal sur la place devant l'école ? Un carnaval sans fête. Un carnaval de temps de guerre. Et pour quelle durée ?

De quelle  inclusion  des enfants en difficulté parle-t-on, les RASED supprimés, les 7 mois sur liste d'attente au CMP et les AVS sans formation et au salaire de misère ?

L'objectif essentiel du Projet d'Ecole est l'amélioration des résultats et non pas l'attention à l'épanouissement de chacun pour le bien de tous ? Pour quelle réussite ? Réussir ses études ? Réussir dans la vie ? Réussir dans la guerre capitaliste du tous contre tous ? Y a-t-il une différence de sens, de conception de la réussite selon la classe sociale ?

La légitimation par l'école des inégalités sociales a été mise à jour, il y a maintenant plus d'un demi-siècle. Cependant, elle perdure, elle aurait même tendance à s'accentuer. Comment pourrait-il en être autrement dans un monde où les fractures sociales prennent des airs d'abîmes ? On demande à l'institution scolaire seulement de diminuer les inégalités, de les rendre finalement plus humaines. Leur disparition n'est pas à l'ordre du jour. On connaît aussi depuis plus d'un demi-siècle la dialectique liant le destin de l'école à celui de la société. Aucune volonté ne préside à la disparition des injustices. Les moyens accordés à l'école pour combattre la reproduction sociale de l'échec ont été insuffisants. Pourtant, on poursuit dans la même voie. La refondation n'a pas eu lieu. Les classes conservent leurs effectifs en surcharge. Le moment n'est pas encore venu d'éduquer existentiellement à la vie, en nous centrant sur ces défis déjà actuels de l'humanité, qui occupent nos esprits et nous brûlent les lèvres : la fraternité gouvernera-t-elle nos initiatives face aux migrations de populations pour cause de misère économique, de mondialisation des conflits, et bientôt, d'impératifs climatiques (sécheresses, terres immergées) ? Que peut faire l'école dans ces domaines ? Que fait-elle ? Comment recueille-t-elle ces enfants ayant survécu à la traversée ?

Le remplissage obligatoire des cases du tableau Excel dépossède les équipes, les enseignants, d'un projet pour leur école.  Il en empêche une appropriation organique. Le Projet n'est pas porté par une équipe, c'est un document administratif conforme à la demande institutionnelle. Le meilleur projet pour l'école ne serait-il pas de la faire sortir du carcan du scolaire ? De remettre l'enfant au premier plan. L'enfant c'est-à-dire l'individu singulier porteur d'une histoire et d'une culture. Accorder la priorité à la vie harmonieuse dans la classe, dans l'école, dans le quartier, dans la ville, dans le Monde. Le plaisir d'être là, de vivre et de construire ensemble. Permettre à chacun de trouver sa place et d'évoluer parmi d'autres. Apprendre par et avec les autres.

 

 

 

 

 

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