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Préparons pratiquement le Nouveau Plan d’Etudes Français !

Décembre 1936

 

Notre numéro spécial n 2, consacré au NOUVEAU PLAN D’ÉTUDES, a obtenu un succès sans précédent, non seulement en Belgique, — chose assez naturelle — mais en France aussi, et tant en province qu’à Paris. Preuve certaine que la masse des éducateurs, la masse des jeunes surtout, rebutée parfois par les principes vaporeux de l’éducation nouvelle, sent puissamment la nécessité d’une action pour la rénovation pratique de notre enseignement.

Nous l’avons dit bien des fois : sans sous-estimer l’importance historique des théories, nouvelles ou anciennes, nous nous attachons surtout à être des praticiens plus que des théoriciens. Nous savons par expérience que les prêches, les exhortations, les beaux articles enthousiasmants, s’ils ne sont pas, comme chez nous, LA CONSÉQUENCE d’une action pratique, risquent de contrarier plus que de servir la cause de l’éducation nouvelle.

Rares sont, en effet, les éducateurs qui ont les possibilités, la force, et le temps, de renverser tout un édifice scolaire pour partir à l’aventure dans les champs prometteurs mais encore trop en friche, de l’éducation nouvelle.

Susciter un enthousiasme qui risque de s’évanouir devant des obstacles pratiquement insurmontables, c’est rebuter dangereusement, et parfois irrémédiablement, toutes les bonnes volontés qui comprennent les avantages et la nécessité de l’éducation nouvelle et qui ne restent dans la ligne traditionnelle que parce que nul ne les aide à en sortir.

A tous ces camarades qui sentent — ne serait-ce que quelques velléités d’émancipation pédagogique — notre mouvement se présente comme le seul susceptible de les diriger et de les aider.

 

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Cette tendance est bien marquée dans notre numéro sur le PLAN D’ÉTUDES FRANÇAIS.

Nous ne demandons au gouvernement aucun verbiage : il y en a suffisamment dans les instructions et les programmes actuels. IL NOUS FAUT DES ACTES QUI NOUS PERMETTENT DE FAIRE PASSER DANS LA RÉALITÉ QUOTIDIENNE les idées généreuses inscrites dans les instructions ministérielles de 1923. Nous avons mis en lumière quelques-uns de ces actes dont nous demandons à nos camarades du Front populaire de prendre l’initiative : suppression des manuels scolaires, suppression du C.E.P.E., réorganisation de l’Inspection Primaire, organisation nouvelle de l’Ecole avec décharge des classes, création d’Ecoles expérimentales.

Si ces améliorations matérielles et techniques étaient réalisées, automatiquement les méthodes nouvelles pourraient se développer dans des Ecoles où ne peut pénétrer pour l’instant l'impuissant VERBIAGE D’ÉDUCATION NOUVELLE.

On nous rendra cet hommage que nous n’avons jamais attendu béatement que les gouvernements apportent toutes faites dans nos écoles les améliorations et les transformations que nous souhaitons. Bon pour ceux nui, solidement assis dans le désordre présent, craignent le progrès que nous appelons et que nous préparons, et qui ne se leurrent d’ailleurs pas sur la puissance réalisatrice de leurs revendications verbales.

Etre à l’avant-garde, ce n’est pas partir en tête, drapeau déployé, en hurlant et en chantant, sans se soucier de ceux qui suivent... ou qui restent. C’est, comme nous le faisons, remplir un rôle de PIONNIERS : préparer généreusement les chemins et les ponts, couper hardiment les amarres des traditions et des égoïsmes, afin que, sans efforts héroïques, mais avec sûreté, l’immense masse des éducateurs s’engage enfin dans une voie dont elle comprend l’utilité et sur laquelle elle est certaine de réussir.

Cette besogne de Pionniers, nous la menons depuis plus de dix ans, contre vents et marées, … et il y en a eu de puissamment dangereux, n’est-ce pas, camarades ? Mais nous avons la satisfaction maintenant d’avoir établi la voie sur laquelle des centaines d’éducateurs nous suivent. Mais cette voie est encore étroite et difficile. Nous devons l’élargir et l’aplanir pour que s’y engage toute l’école française.

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On a cru — et nous y revenons — que nous étions partisans d’une école où l’enfant ne fait que ce qui lui plaît, en négligeant parfois des acquisitions que la société juge à bon droit essentielles.

Nous voulons, au contraire, une école plus efficiente que l’école traditionnelle où tant d’efforts se dépensent en vain. L’Ecole actuelle n’est adaptée ni aux moyens que nous offre la civilisation actuelle, ni au mode de vie contemporain, ni aux buts sociaux qui évoluent à un rythme accéléré.

Il faut réorganiser l’enseignement sur des bases plus rationnelles.

C’est le but de notre technique.

Il fut un temps où l’Ecole n’était pas exigeante : les notions à acquérir étaient réduites et ne risquaient pas de déborder la capacité d’un cerveau d’enfant.

On a tellement accumulé depuis quelques décades que nous sommes aujourd’hui dans cette impasse dont nous parlions dans un récent numéro. Il nous faut organiser et rationaliser l’éducation et l’enseignement.

Mais rationaliser l’acquisition, ce n’est pas, comme le pratiquent certains charlatans de la pédagogie, trouver le moyen de bourrer toujours davantage le cerveau des enfants. Ce serait procéder comme un Etat qui produirait des millions d’automobiles qui ne trouvant pas d’acheteurs, encombreraient le marché et immobiliseraient inutilement des forces vives. Le problème de l’acquisition ne saurait être séparé de celui de l’enrichissement et de l’harmonisation des personnalités, harmonisation qui doit être le résultat d’une organisation technique rationnelle adaptée aux exigences sociales de l’heure.

Nous ne sous-estimons pas le problème de l’acquisition : mais nous disons d’une part, que cette acquisition est conduite de nos jours selon des procédés qui ne donnent qu’un bien minime rendement. D’autres part, l’instruction, dans l’Ecole actuelle, n’est jamais sérieusement accrochée aux individus ; elle ne fait pas partie d’eux-mêmes ; elle s’en sépare donc facilement. Et c’est ce qui explique l’ignorance incroyable de recrues pourtant instruites pendant 5 et 6 ans dans nos écoles primaires.

On pratique actuellement comme des dirigeants de la production automobile d’un pays qui produiraient de façon intensive les pièces détachées de leurs machines, mais qui les entasseraient dans leurs entrepôts, n’ayant pas trouvé le moyen de les agencer harmonieusement, rationnellement, scientifiquement, pour leur donner vie et utilité.

Il nous faut des matériaux, et d’excellente qualité, que nous devons apprendre à produire dans les meilleures conditions. Il nous faut aussi les utiliser pour créer et enrichir la vie.

C’est ce double problème qu’il nous faut mener de front, et selon les mêmes principes scientifiques et humains.

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On voit alors l’importance conditionnée que nous accordons à l’acquisition.

Tenant compte de ces considérations, il faudrait nous mettre d’accord sur la qualité et la quantité de ces acquisitions.

L’Ecole actuelle procède comme si ce même directeur de production automobile fabriquait intensivement des pièces quelconques qui s’entasseraient ensuite sur la machine, sans savoir lesquelles sont utiles, lesquelles inutiles, lesquelles nuisibles. Le chef du rayon des carburateurs a exagéré la production, mais les pistons sont mal ajustés et on manque de caoutchouc ou d’essence pour donner vie à la machine — chacun ayant exagéré sa spécialité sans se soucier de l’ensemble, de la synthèse dont son effort n’est qu’un élément.

Il en est ainsi à l’Ecole, hélas ! Chaque manuel accentue les exigences du programme ; chacun voudrait faire rendre au maximum sa spécialité ; le C.E.P.E. contrôle la production de chacune de ces spécialités. Mais lorsque, sitôt l’examen passé, on essaye d’utiliser l’acquis de l’école, on s’aperçoit que nous avons enseigné beaucoup de notions inutiles, que nous avons ainsi usé en vain les rouages indispensables et que nous avons oublié l’essentiel qui est la synthèse de vie de la machine humaine. Alors, il faut tout redémonter, éliminer les malfaçons ou les pièces inutiles, forger patiemment ce qui manque. Rares sont hélas ! ceux qui en viennent à bout !

Si nous procédions plus rationnellement ! Si nous essayions d’abord de savoir quelles pièces sont nécessaires pour nue la machine marche harmonieusement, nous pourrions établir avec sûreté ensuite la besogne de tous les spécialistes et le développement normal des disciplines qui doivent concourir à la synthèse vivante et profitable.

Autrement dit, il nous faut prévoir des Plans.

Nous n’avons pas de Plan de travail maintenant parce que nous sommes dans un régime où seuls ont un Plan ceux qui organisent l’Economie mondiale pour la plus grande somme de bénéfices ou de dividendes. Nous sommes dans la société qui produit des automobiles que les usagers éventuels ne peuvent acheter, des fruits qu’il faut jeter, du vin qu’il faut brûler, du blé qu’on doit donner au bétail.

A l’école actuelle, même activité désordonnée et inconsidérée : on passe de longues heures à enseigner … selon des techniques vieilles de cent ans parfois — l’histoire, le calcul, la géographie, les sciences compliquées et livresques. Et puis, à l’usage, on s’aperçoit qu’il y a eu maldonne, que la vie a d’autres exigences et qu’il faut, à nos risques et périls, remonter la machine.

Pour sortir de la crise les gouvernements ont dressé des Plans rigoureux d’activité.

Si nous voulons travailler méthodiquement, effectivement, productivement dans nos écoles, il nous faut de même notre Plan de Travail.

Mais ce PLAN DE TRAVAIL, il faut l’établir.

On pourrait nous objecter qu’il existe bien à ce jour des PLANS DE TRAVAIL qui sont les programmes officiels, détaillés et élargis dans les manuels scolaires. Mais ce sont des Plans de travail capitalistes, nés de la fantaisie ou de l’intérêt de leurs initiateurs. Ils n’ont rien à voir socialement et humainement parlant, avec les PLANS DE TRAVAIL méthodiquement établis que nous préconisons.

Ces plans de travail ne peuvent pas être l’œuvre des seuls spécialistes. Il faut d’abord connaître quelles sont les notions, qui, de l’avis des usagers eux-mêmes, sont nécessaires à l’enfant aux différents âges et plus spécialement à l’enfant qui quitte l’école à 13-14 ans.

Il nous faut, par une vaste enquête, interroger nos anciens élèves et leurs parents, leur demander quelles sont, parmi les notions que nous leur avons enseignées, celles qu’ils ont reconnues indispensables, celles dont ils n’ont aucune utilisation et qu’ils ont laissé tomber. Il faut qu’ils nous signalent les trous, les insuffisances qui se sont révélés à l’épreuve de la vie.

Le résultat de cette enquête sera un élément pratique essentiel, car l’Ecole est faite pour préparer l’individu social ; son rôle véritable doit être d’aider l’enfant à s’intégrer à la société pour y tenir utilement son rôle. Tout doit être subordonné à cette fin que nous tâcherons d’ailleurs de mieux connaître et de préciser.

Nous interrogerons ensuite les dirigeants des grands groupes humains de défense et de travail, les militants de syndicats et de coopératives, les petits artisans et aussi les chefs d’entreprise sympathiques, en tenant compte cependant que ceux-ci jugent la formation des individus en fonction des frais d’exploitation qui sont leur seule raison d’être.

Nous aurons là le point de vue de la société qui attend du travail de l’homme une utilisation effective et profitable.

Tenant compte de ces deux ordres d’éléments, les spécialistes que sont les instituteurs et les inspecteurs établiront alors les plans de travail définitifs.

Ils pourront éliminer tout ce qui, dans notre enseignement, est inopérant et inutile, tout ce qui devra être acquis plus tard mais qu’on tenterait en vain d’inculquer prématurément aux enfants. Il y aura des élagages — et sérieux —à faire en histoire, en géographie, en sciences. Nous trouverons alors le temps de travailler pratiquement pour les choses essentielles ; nous aurons le temps de faire de la gymnastique, de chanter, d’utiliser radio et phono, et de nous mêler à la vie sans être obsédés par cette acquisition intensive, aux fins d’examen, que nous savons, nous, éphémère et nuisible.

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Munis de ces plans, nous pourrons alors aller plus avant dans le sens de nos techniques.

Technique de travail libre des enfants, avons-nous dit. Mais encore faut-il savoir dans quel sens exercer cette libre activité.

Il faut que l’enfant travaillant librement sache où il va, qu’il ait conscience des acquisitions souhaitables, qu’il voie l’ensemble, qu’il sente que son effort intègre à un Plan au service de la communauté. L’idéal serait que l’enfant dresse lui-même son plan d’activité qui stimulera, régularisera et harmonisera son effort quotidien.

Ce Plan de travail, nous l’avons dit, existe actuellement. C’est celui des manuels où l’effort demandé est débité en tranches très marquées par mois et par trimestre. Mais ce plan, outre qu’il n’a rien de rationnel, est imposé aux enfants qui se contentent de s’y conformer sans le vivre pour se l’assimiler.

A temps nouveaux, techniques nouvelles, plan de travail plus efficients.

Nos techniques — et le Plan d’Etudes belge s’oriente également dans ce sens — font une place essentielle à l’intérêt spontané, accidentel ou permanent des enfants, aux activités déterminées par le milieu, par les saisons, par les péripéties de la vie ambiante. Mais à suivre ainsi exclusivement le fait personnel on risque — et nous le sentons tous — de négliger des acquisitions indispensables ou de tourner parfois dangereusement autour des mêmes préoccupations, sans considérer la synthèse sociale et humaine qui nous impose ses lois.

Nous établirons alors, en nous basant sur nos Plans Généraux de travail dont nous préparons la réalisation, des Plans annuels de travail pour chaque discipline et pour les divers degrés d’enseignement. Sur ces plans, les élèves — et les éducateurs aussi, —marqueront de façon visible, à mesure qu’ils les étudient librement, les divers points mentionnés. Ils auront ainsi constamment sous les yeux un tableau des activités possibles et souhaitables ; ils connaîtront les trous et les insuffisances et pourront éventuellement y parer.

Ces plans seront donc des guides et des stimulants. Avec eux, nous réaliserons des normes nouvelles d’acquisition et d’éducation parce que nous ferons appel à des éléments nouveaux d’activités susceptibles de remplacer avantageusement la discipline aveugle des manuels, liberté dans le choix et l’exécution selon l’intérêt et les besoins du moment, tableaux de travail, normes d’activité qui stimulent l’effort et la compétition, guides méthodiques qui donnent à l’enfant l’impression qu’il sait où il va, ce qui lui manque et quel effort il doit fournir.

L’expérience commencée dans notre école nous a montré que nous sommes là à l’aube d’une activité nouvelle qui pourrait bien nous apporter la clé de techniques de travail vivant et pourtant ordonné et méthodique. Nous en continuons la mise au point. Nous avons voulu seulement aujourd’hui en signaler l’essentiel pour bien faire comprendre toute l’importance technique que nous attachons aux PLANS D’ÉTUDES dont nous préconisons la mise au point.

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Et maintenant à l’œuvre :

Nous disons de ce Plan d’Etudes ce que nous disions jadis du Fichier Scolaire Coopératif : IL SERA UNE ŒUVRE COLLECTIVE OU IL NE SERA PAS.

Il faut qu’il soit !

Cette œuvre collective, nous seuls en France sommes en mesure de la mener à bien. Et nous y pourvoirons, Nous prouverons ainsi que nous continuons notre tradition d’un mouvement pédagogique coopératif capable d’enthousiasmer des centaines de camarades à la préparation de voies nouvelles que les théoriciens avaient parfois entrevues et que nous sommes les premiers à réaliser.

C. FREINET.

Nos Questionnaires

Il nous faut prévoir 4 genres de questionnaires, quatre plans d'activité :

  • Pour les enfants,
  • Pour les parents,
  • Pour les employeurs et les dirigeants,
  • Pour les techniciens.

Nous publions ci-dessous des projets de questionnaires. Nous demandons à nos camarades :

1° de critiquer profondément ces projets pour mise au point avant la large enquête que nous diffuserons ;

2° de s'offrir pour telle besogne qui les intéresserait dans la mise au point des pièces essentielles de notre Plan.

Quand nos questionnaires seront définitivement établis — et nous vous engageons à faire vite — nous en ferons des tirages à part que nous demanderons à nos camarades de répandre dans les syndicats, dans les associations pédagogiques, dans les patronages, dans les Comités de Front Populaire et dans la presse amie.