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Formation des adultes et pédagogie Freinet

Dans :  un niveau scolaire › Formation et recherche › 
Juin 1977

Revue trimestrielle du Centre de Recherches et d’Echanges Universitaires techniques Freinet n°2

Juin 77 édité par la CEL à Cannes
 
Xavier Nicquevert
 
De tous temps, je crois, on peut dire que bon nombre de militants du Mouvement Freinet ont tenté de trouver « La brèche ». Le milieu plus favorable à une mise en pratique des idées de Freinet, en étant plus libres par rapport aux contraintes de programmes, de hiérarchie, d'examens ou d'écoles-casernes.
On peut expliquer par là le mouvement vers les classes de transition, les classes de perfectionnement, et, plus récemment, les différents types de rééducation ou le "conseil pédagogique". Et nous sommes quel­ques-uns à avoir fondé quelques espoirs dans le domaine de la formation des adultes, lorsque les premiers textes sortirent, organisant ce domaine nouveau au sein du Ministère de l'Education -encore Nationale.
Ces textes sont largement inspirés des idées de Bertrand Schwartz qui fut l'un des principaux artisans de la première grande tentative de formation collective pour adultes dans le Bassin ferrifaire de Longwy-Briey et sont très proches des principes fondamentaux de la pédagogie Freinet.
Il pourrait être intéressant, pour des chercheurs en sciences de l'éducation d'étudier les cheminements assez différents suivis par ces deux éducateurs pour se retrouver, l'un s'intéressant plus particulièrement aux en­fants, l'autre à des étudiants, puis à des adultes, sur les grandes idées de bases.
Je fus, pour ma part attiré avec le même élan par les propositions de l'ingénieur des Mines que je l'avais été quelques années auparavant par la lecture de l'instituteur-paysan :
. tenir compte des besoins et des possibilités de chacun,
. permettre à l'adulte de décider lui-même de son plan de formation, le formateur ayant, avant tout, un rôle d'aide -ce qui ne signifie pas démission de sa part au niveau de l'apport de connaissances et de l’atteinte des objectifs fixés ensemble.
. pédagogie adaptée aux capacités, aux disponibilités de l'adulte,
. prise en compte de son acquis antérieur, qu'il soit scolaire, professionnel, culturel, ou simple acquis dû à l'expérience de la vie, cette école permanente.
.accession à l'autonomie dans toutes ses dimensions .
             -autonomie par rapport à l'acquisition des connaissances,
- autonomie par rapport au formateur,
- autonomie par rapport au groupe d'adultes qui partagent ce moment de formation,
- autonomie dans la prise en charge de sa propre existence de femme ou d'homme, de citoyen, de travailleur, de consommateur, de téléspectateur, de touriste ..
-autonomie, avec ce que cela comporte de droits et d'obligations vis-à-vis de soi-même, de son entou­rage, des engagements et des responsabilités que l'on prend ou que l'on accepte en tant que membre d'une société, d'un groupe, d'une famille, d'un couple
-autonomie de la femme, de l'homme lucides, ,'assumant tels qu'ils sont, avec leur logique et leurs contradictions, armés pour définir, exprimer eux-mêmes leurs besoins, revendiquer leurs droits et leur part dans la gestion de la collectivité, à quelque dimension qu'elle soit, à laquelle ils appartiennent.
J'idéalise ? Oui, sans doute! Mais, quand nous commençons à flancher, à nous demander si ça vaut encore
le coup, quand les instructions précisent un peu plus chaque fois en termes voisins de ceux auxquels nous sommes habitués pour la formation initiale les contraintes administratives par lesquelles il faut passer pour se trouver enfin avec des adultes dans un groupe en formation, quand nous cherchons à évaluer si nous sommes bien encore dans la même voie tracée par les pères de la loi de juillet 1971, si les syndicats de travailleurs sont décidés à défendre effectivement cette "conquête essentielle de la classe ouvrière", ce "tremplin pour nos luttes", alors, j'ai envie de remettre sur le magnétophone les bandes où j'ai enregistré des témoignages d'O.S. ou de femmes, mères de famille, laissés pour compte dans tant de domaines et qui ont vu se reconstruire un sens à leur vie au fur et à mesure que vivait le groupe en formation .
"Au point de vue orthographe, grammaire, ça m'a rappelé tout ce que je savais, mais que j'ai oublié. Et ça m'a redonné confiance en moi. Et je trouve que c'est très important: je ne voulais plus jamais écrire, je donnais toutes les corvées à mon mari".
et les formateurs, eux aussi, voient souvent la formation continue comme la "bouffée d'air" dans leur travail en miettes au CE Sou au lycée :
"Un adulte, c'est pas comme un gosse, c'est très difficile: ils veulent tout faire".
"D'abord, ils ont déjà des connaissances. Il faut utiliser ce qu'ils connaissent. Ils travaillent par plaisir, et font même du travail à la maison qu'on ne leur demande pas",
"Je sens qu'ils ont besoin de contacts en dehors des mathématiques si bien que, quand ça se termine à
7 h 30, je les vois rester assis, alors, bien sûr, je reste assis vers eux et ils se mettent à discuter sur leurs problèmes, ou sur les miens. Ils m'ont même posé des questions que je ne dirai pas indiscrètes, mais enfin... plus intimes : ils m’ont demandé combien je gagnais, combien j’étais rémunéré pour faire les cours, si j’étais content de mon sort, à quel âge était ma retraite ? Enfin, des quetions… Souvent, ça se termine à huit heures et quart. J’arrive à la maison à neuf heures moins la quart, ma femme me demande souvent ce que je fais en cours de la F.C.C. "
"Au début, c'est difficile, parce qu'on a toujours peur de ce que pense le voisin. D'ailleusr, leur première réaction ça a été: Vous avez pas peur de venir nous faire cours ? ".
 
L'avantage que nous avons peut-être avec les adultes, c'est qu'en mots simples et directs. ils savent exprimer ces changements qu'en eux la formation a suscités. Ces changements. nous pouvons les observer souvent immé­diatement par le comportement dans le milieu de vie et de travail, quand ils nous annoncent qu'ils vont continuer à lire ou à se réunir une fois le stage terminé, quand nous les voyons suivre les réunions du conseil municipal de leur cité, critiquer une émission de télé ou un film, participer à une action pour l'amélioration des conditions d'habitat, dialoguer avec leurs représentants syndicaux qui reconnaissent: "dans cet atelier, où il y a eu de la formation, on discute maintenant".
Quand elles nous disent :
"Moi, j'ai un fils qui va au lycée, y a beaucoup de choses que je peux discuter avec lui. L'autre jour, j'ai été voir ses professeurs, j'ai pu me permettre de discuter avec eux. Avant je n'osais pas".
"Moi je voyais faire un peu de grammaire, un peu de calcul, essayer de se sortir un peu de notre coin de cancre de v'là longtemps, et c'était tout...
-au début, on était réticentes, on disait: "le professeur va se moquer de nos bêtises, il nous a acceptées telles qu'on était':
"Pour moi, ça a été une réponse à un tas de besoins que je ressentais plus ou moins bien, mais que j'ai découverts au Centre Promotionnel; ce contact des unes avec les autres: on s'apportait les unes aux autres, parce que, si il nous manquait des choses au point du vue scolaire, on a tout de même une expérience de la vie; et cette expression orale et écrite qu'on avait perdue, parce qu'on était trop restées chez nous':
"Elles se sont rendu compte qu'elles pouvaient s'organiser. Elles ont pris du recul par rapport à leurs pro­blèmes personnels':
Alors on se rend compte que la Formation permanente, ça peut aussi être une réalité, une conquête à proté­ger et à amplifier, dans le sens de la continuité et de la globalité chères à Freinet.
 
Xavier NICQUEVERT