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Editorial CREU Freinet n°4 3ème trimestre 1977

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Janvier 1977

 

EDITORIAL
 
PREMIER BILAN
 
L'année universitaire 1976/77 s'achève, et déjà se prépare la prochaine. L'expérience du CREU a pu se dérouler sans trop de difficultés sur la base d'un militantisme peut-être excessif, d'un travail scientifique et pédagogique de longue haleine, de l'aide matérielle de la C.E.L. et de l'I.C.E.M., enfin de la sympathie et de la collabora­tion des cent premiers lecteurs et abonnés. A toutes ces parties prenantes d'une expérience qui se poursuivra l'année prochaine dans les mêmes conditions, il est bon de dire que le CREU compte sur elles, à tous les niveaux de travail: celui de la direction de la revue ("toute chose appartient à qui la rend meilleure", disait Brecht -et le comité de rédaction est ouvert à ceux qui veulent y travailler), celui de l'élaboration des arti­cles et des numéros, et celui de la diffusion de la revue. Mais pour demander à tous cet effort à venir, il faut dresser un bilan clair de l'effort de cette année passée.
Le plus important, à nos yeux, est la constitution de sections du CREU dans diverses universités ou institu­tions universitaires: après NICE, GRENOBLE et PARIS ont désormais leurs sections du CREU (à Par1s, le CR EU est intégré dans les projets du Collège Coopératif relié à l'Ecole des Hautes Etudes en Sciences so­ciales et dans le projet d'Université Coopérative Internationale animé par Henri Desroche) ; d'autre part, le CREU dispose de divers correspondants dans d'autres villes universitaires (AIX-en-PROVENCE, L VON, BOR­DEAUX, CAEN, MONTPELLIER, CLERMONT-FERRAND) et à l'étranger (au BRESIL et au JAPON).
 
En rapport avec cette décentralisation, la rotation des responsabilités a pu se réaliser dès la première année, évitant ainsi toute personnalisation de l'entreprise et tout découragement des premiers militants: c'est l'équipe de Grenoble qui, après celle de Nice et Cannes, assurera en 1977-78 la nécessaire coordination des quatre numéros annuels.
 
Enfin, sur le plan théorique comme sur le plan pratique, le CREU a enfoncé de nombreux clous, posés de nombreux problèmes qui dès à présent agissent en profondeur sur le mouvement Freinet comme sur les Universités. L'équipe sortante considère que le problème le plus important posé par le CREU en 1976-77 est celui du sens des mots "coopérative" et "coopération" appliqués au travail intellectuel, au travail de recherche, au travail pédagogique, au travail scientifique, artistique et culturel. Un débat, qui nous mènera loin, a com­mencé, sur la part de la militance, du travail rémunéré, du don, du contrat (et même du potlatch) dans l'ac­tivité universitaire, littéraire et pédagogique. Ce débat ne manquera pas de susciter des remous: il touche aux plus intimes de nos désirs, aux fantasmes de l'argent, de la mort, de l'amour, de la vie, tout autant qu'aux "techniques de vie" et qu'aux techniques de recherche et d'éducation. Nous mènerons ce débat fermement, en profondeur, et sans hâte, conscients que si l'Université de demain à un rôle à jouer dans la société de demain, et si le mouvement de l'Ecole Moderne a un rôle à jouer dans un système éducatif mis au service du peuple, la clarté, la rigueur, mais aussi la douceur et le sourire, seront utiles pour préciser les rapports de la militance, du travail intellectuel, de l'argent, de l'amour et de la vie.
 
Quelles sont par ailleurs nos carences, et les points où nous avons été insuffisants ? Aux lecteurs de nous le dire. Dès à présent, il nous semble que la correspondance individuelle, les échanges de lettres avec les lecteurs ont été insuffisants, faute de temps de la part des quelques militants qui se sont engagés à animer la revue en 76- 77. D'autre part, le contact a\tec l'enseignement du second degré et avec La Brèche au se­cond degré ne s'est pas encore assez développé, toujours faute de temps. Enfin, le contact avec les univer­sitaires des "sciences exactes", des sciences mathématiques, physiques et de la nature, ne s'est pas non plus suffisamment approfondi. C'est pourquoi, l'année universitaire prochaine commencera avec un numéro assuré par des mathématiciens (Martin Zerner, Monique Guyot et des enseignants et étudiants de mathématiques de l'université de Nice nous ont promis tout un dossier sur leurs expériences) ; un autre numéro sera pris en charge par les Collèges Coopératifs et Groupes de Recherche-Action animés en France et dans le monde par Henri Desroche et d'autres camarades; un autre numéro pourra être consacré à l'expérience du Corps- Texte... Mais c'est aux lecteurs et aux sections du CREU de proposer le contenu des prochains numéros: qu'ils sachent seulement que les projets ne manquent pas, et qu'ils se hâtent de réserver leur place pour les deux années qui viennent. Du Brésil peut nous parvenir aussi la matière d'un nouveau numéro élargissant singulière­ment les perspectives spécialisées du numéro 1 du CREU d'octobre 1976.
 
Avant de laisser, dès ce numéro, la parole aux lecteurs, nous la confions successivement au Comité Directeur du mouvement Freinet, qui indique ce qu'il attend du CREU en 1977-78, puis à Jean Roucaute, le futur coordinateur du CREU pour l'année qui vient. Il faudra aussi prévoir une liaison entre le CREU et la série"Recherches" diffusée par la C.E.L. : les projets de cette série, qui a déjà publié trois volumes, incluent un livre sur les Techniques Freinet dans les Universités (reprenant certains articles du CREU de l'année qui s'achève), et un livre sur "Les mots qui font vivre de Paul Eluard", fruit d'un travail de groupe animé par les techniques Freinet. Le CREU comme la série "Recherches" sont à la disposition des universitaires, ensei­gnants et étudiants, désireux de résoudre coopérativement les problèmes de la diffusion de leur travail. Le numéro 4 du CREU en 1976-77 a pour objectif de donner le maximum d'information aux universitaires fran­çais qui voudront pratiquer entre eux l'échange et le travail coopératifs.
 
Voici donc, pour commencer et continuer, le point de vue du Comité directeur de l'I.C.E.M., sous la plume autorisée de René Laffitte :
 
CE que L'I.C.E.M. ATTEND DU C.R.E.U.
 
"Lorsqu'au congrès de Nice, les militants du l'I.C.E.M. se sont vus présenté Michel Launay, professeur d'Uni­versité, leur réaction n'a pas été celle de la surprise. Simplement celle de la satisfaction de voir que ce qu'ils faisaient, ce que nous faisions, intéressait des gens dont la notoriété semblait acquise: Professeur d'Université !
Ce n'était pas la première fois que des chercheurs, des savants, des écrivains, s'intéressaient à l'I.C.E.M. et en disaient du bien.
Satisfaction d'être validé, d'être cautionné par la présence et la bienveillance d'une autorité: réflexe tentant pour des marginaux de la "base" :
-la base de la hiérarchie sociale et institutionnelle: salariés appliquant des consignes
    -la base de la hiérarchie culturelle, intellectuelle: de "simples instituteurs".
Les choses n'étaient quand même pas si simples :
Certes, cette hiérarchie, intériorisée très tôt, peut conduire à des résultats surprenants et opposés :
    -refus caractériel du langage, de l'échange, du dialogue avec les présumées autorités, et reniement du faux frère peu modeste qui prétend sortir du rang ;
-admiration béate et crédulité aveugle envers ces mêmes autorités. Ce n'est que lorsque ces réactions sont le fait de la même personne, que leur sens réel apparaît: intériorisa­tion et soumission à une hiérarchie globale.
 
Mais les militants de l'I.C.E.M. s'étaient tout de même rendu compte, au cours de leur histoire collective, que la recherche en éducation n'était pas si lucide et si "avancée" qu'il n'y paraissait.
Des pans entiers du processus d'éducation, du champ de la pratique quotidienne, non pris en compte, à peine soupçonnés, témoignaient du chemin à parcourir. De même, le "niveau" de la formation officielle, fût.elle le fait de l'Université, ne leur paraissait pas de nature à résoudre les problèmes qui se posaient (et se posent) au praticien, même si ces problèmes n'étaient pas posés.
 
Praticien... le théoricien n'est pas loin. Et voilà lâchés les mots fatidiques. Surgissent alors des personnages bien connus, fantastiques, dûment identifiés... même s'ils ne sont pas réels, et qui provoquent les réflexes, bien connus également, d'auto-défense, de repli, de couverture, de non dialogue. Autant laisser tomber.
 
Ce n'est que lorsque Michel Launay et d'autres, venus ensuite, et plus nombreux que ce qu'on aurait pu le croire, ont manifesté leur intérêt non seulement pour l'étude de la pédagogie Freinet, mais aussi pour sa pra­tique, que nous avons dressé l'oreille.
D'abord parce que notre vieux rêve: "La pédagogie Freinet de la maternelle à l'université", menaçait de ne plus être un rêve, ensuite parce que la barrière redoutable et imaginaire entre théoricien et praticien laissait apparaître ses barreaux cassés et ses méandres incertains. Pratiquer la pédagogie Freinet à l'université: d'emblée ces camarades neufs et inattendus nous accrochaient. Il fallait avant tout un certain culot, un certain courage pour cela. Qualités qui, traditionnellement, forcent notre sympathie.
Et puis, nous pouvions, étonnés, discuter avec eux de problèmes qui nous étaient jusque là réservés: condi­tions de travail, difficultés, nécessité de se grouper ...Bref, le dialogue était réel, possible, des mythes tom­baient, des personnages vrais apparaissaient, des possibilités se faisaient jour...
 
Cet imparfait est devenu présent. Ce champ de recherche et de pratique est toujours ouvert et le CREU, né quelques années plus tard, est devenu ce chantier de "l'Education des adultes" fédérant des praticiens qui, de ce fait, peuvent s'entendre avec d'autres praticiens.
Le CREU est donc ce CREUset coopératif où "ceux qui savent à force d'avoir essayé (profs et étudiants) confrontent lelJrs expériences.
C'est un élément de sa raison d'être et de ce que nous attendons de lui.
 
Est apparu un deuxième élément. Plus flou, plus difficile à cerner. Ou plutôt est réapparu. L'université n'est pas qu'un lieu possible d'éducation. C'est aussi un lieu possible de recherches. Le CREU nous permet de le découvrir, de le redécouvrir. Les expériences passées de coopération avec des universitaires ou d'autres "cher­cheurs" ont toujours été ponctuelles et parcellaires. Pour des raisons que nous avons en partie évoquées plus haut.
Aujourd'hui nous voyons plus nettement se dessiner ce terrain de coopération.
Il suppose d'abord que l'opposition théoricien/praticien (ainsi que ses corollaires, langage de théoricien/langage de praticien, travail de théoricien/travail de praticien etc.) soit démystifiée complètement. Il convient de poser, avec d'autres, des questions plus saines.
 
-le (la) prof d'université qui écrit des livres et enseigne la sociologie,
-l'étudiant(e) qui écrit une thèse et travaille dans un établissement d'éducation,
- l'instituteur(trice) qui établit des stratégies éducatives, met au point outils et techniques, témoigne de ses
expériences,
- le (la) psychiatre qui s'occupe d'enfants inadaptés,
-le (la) prof de psychologie qui a peur de certains de ses étudiants ou est amoureux d'un(e) étudiant(e),
-le moniteur (trice) de colonies de vacances qui échange ses expériences avec d'autres...
sont-ils des théoriciens ou des praticiens ? Des chercheurs ou des non-chercheurs ?
 
La réponse est finalement secondaire, car nous savons tous, pour ce qui nous concerne, que nulle théorie
sous-tendant une pratique efficace ne peut être issue que de cette pratique.
La théorie, une théorie, ne peut être qu'une intellectualisation, une conceptualisation partielles d'une pratique et de ses effets, issue d'une analyse de cette pratique par des gens qui savent de quoi ils parlent. Ceci pour mieux comprendre "ce qui se passe" , afin d'une part de pouvoir éventuellement l'infléchir, et d'autre part de pouvoir le transmettre: objectif modeste et immense à la fois, quand il s'agit d'éducation, de construction de personnalité.
Certes, l'Université nous a déjà fourni de l'aide, au niveau des outils d'évaluation, de quantification, de vérifi­cation. Outils à critiquer. à améliorer, et à s'approprier pour certains. Outils qui nécessitent une formation.
Mais restreindre là l'aide que peuvent nous apporter les chercheurs extérieurs à l'I.C.E.M. universitaires ou
pas, c'est les assimiler à un corps de géomètres, et prétendre soigner un être vivant avec les seuls instruments de mesure. Que la pédagogie soit un art ou une science exacte, peu importe, ce qui est sûr c'est que le pra­ticien, chaque jour doit tenir compte de certains phénomènes, vit certaines réalités capitales pour la construc­tion de l'individu, qu'il cherche à mieux les connaître et pour cela recherche l'aide de tous ceux qui travaillent dans le même sens que lui, donc en mesure de pouvoir communiquer.
Et c'est là le deuxième élément de la raison d'être du CREU :
-favoriser l'étude et l'analyse de nos pratiques, marginales, que la Science officielle ne daigne étudier, car
non statistiques, en perpétuelle évolution
-améliorer qualitativement cette analyse de "ce qui se passe", en favorisant la coopération avec ceux qui, de par leur pratique, sont en mesure de nous aider .
 
Ce qui suppose au moins :
-connaître ce dont on parle: soit par sa propre pratique, soit en se déplaçant et en vivant avec ceux et ce
qu'on cherche à mieux comprendre. On ne peut faire l'économie d'une certaine implication.
-se servir des expériences et des acquis d'autres praticiens ou de praticien "d'autre chose que la classe".
Leur expérience pratique et théorique.
 
Ainsi arriverons-nous à forger ou améliorer les concepts aptes à mieux traduire ce qui se passe et ce que nous faisons. Le CREU pourrait être un lieu d'analyse pour cela. On voit bien que, pour cela, quel que soit leur degré de lucidité par rapport à notre pratique ou par rapport à la leur, c'est de praticiens dont nous avons besoin, non de pratiquants (ceux qui ne font qu'appliquer) ou d'exégètes purs et éclairés. Nous avons besoin de gens qui nous aideront à mieux produire une pratique lucide et efficace, une "pratique théorique", et c'est bien cela la raison d'être de l'I.C.E.M.
 
Le Comité Directeur de l'I.C.E.M.-C.E.L.
 
Enfin, pour "terminer", et préparer la rentrée d'octobre, voici le point de vue de Jean Roucaute, coordinateur du CREU en 1977-1978 :
 
PERSPECTIVES ET PROJETS DU CREU
 
1. Dans la trace des "Techniques de vie. » Freinet, le C.R.E.U. est un lieu d'échanges entre "éducateurs de majeurs. » : universitaires, formateurs de cadres, animateurs de formation continue et d'éducation permanente et éducateurs de tous statuts.
-Pour faciliter leur coopération en recherches-actions, en particulier pour élaborer des outils et techniques
conceptuels sur :
.les conditions de recherches communes entre praticiens et chercheurs
.les formes de collaboration entre universitaires et éducateurs de tous ordres
.les résistances de la société et des individus à l'Ecole Moderne
.les obstacles de communication dans les échanges entre les éducateurs.
 
2. La revue du CREU est conçue pour faciliter ces échanges et recherches par :
.de brèves notes sur les entreprises pédagogiques en cours
.des analyses plus détaillées de certaines d'entre elles
.des approfondissements conceptuels autour de thèmes, bases de réflexion ou comptes rendus de débats
.des présentations bibliographiques.
Nous faisons appel aux universitaires et étudiants, ainsi qu'aux militants du mouvement Freinet et aux lecteurs du CREU, pour qu'ils prennent en charge une rubrique régulière ou une part de la rédaction d'un
numéro du CREU .
 
Secrétaire de rédaction: Jean ROUCAUTE