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 La naissance du bonhomme.


« L'acte réussi appelle automatiquement sa reproduction. »1
                                                                                                                                           Célestin Freinet

Lorsqu'un individu, un enfant, parvient par tâtonnement à réussir un geste, il le répète jusqu'à l'assimiler pour ne plus avoir à faire d'effort pour le réaliser. La conquête se métamorphose en règle de vie2. Cette semaine Ilian nous a offert d'assister à une partie de ce processus, celle de la répétition après une encore fraiche et fragile réussite : le dessin d'un personnage.
Dans notre Petite-Moyenne section, tous les jours, au retour de récréation, à 10H 30, les enfants sont invités à prendre une feille A4 et des feutres pour dessiner librement.
Ce lundi, les circonstances m'ont fait assoir à côté de Ilian, comme par hasard, c'était le jour de son anniversaire. Pour ses quatre ans, je l'invite à représenter un personnage. Le mot bonhomme commence à m'irriter. Qui est ce « bon homme »? Quelle est sa bonhommie ? Et la bonne femme ou bonne fame ? Et ces bonshommes en un seul mot obligatoirement traversés du serpent du pluriel ? Il faudrait vraiment, un jour, prendre le temps d'y réfléchir. « Personnage » me convient mieux et me repose de ce bonhomme-Tintin hypocritement asexué mais surtout pas neutre !
Ilian ne veut pas se fatiguer. Nous nous connaissons. Nous avons déjà passé une année  ensemble. L'an dernier, en PS,  il a sucé longtemps sa tétine et pleurniché à son arrivée en classe quasiment jusqu'en juin. Sa maman y était tellement sensible qu'il aurait eu tort de l'en priver.
Ilian me dit ne pas savoir faire. Je me mets, alors à lui dicter, geste après geste :
- Tu fais un gros rond, ce sera le ventre.
- Tu en fait un second pour la tête.
- Comme tu l'as faite trop éloignée du corps, tu traceras un trait pour les relier, ce sera le cou.
Ilian fait un troisième rond comme s'il ne distinguait pas le trait du cercle. Je lui dicte encore bras et jambes, bouche et yeux. Le personnage est symbolisé, identifiable par quiconque.





Dans la foulée, Ilian décide de reproduire ce succès, mais il n'est pas sûr de lui quand je m'éloigne; J'entends son copain Ismaël, voisin de table le rassurer :

- Regarde, c'est facile à dessiner un bonhomme. Tu fais comme ça, voilà.






    Ilian réalise consécutivement deux nouveaux personnages :

 










L'après-midi, pour le journal, le lendemain matin et le surlendemain, Ilian refait d'autres personnages :













Par cet exercice d'entrainement qu'il s'est imposé à lui-même, Ilian acquiert de la dextérité, Le dessin du personnage devient règle de vie.


Ces scènes d'apprentissage naturel sont un plaisir sans cesse renouvelé pour l'éducateur. Un moment magique ou désir et plaisir d'apprendre dominent.
 
 
 
 
 
1 Célestin Freinet, Oeuvres pédagogiques, T1, Ed Seuil, 1994, p 378
 
2 « Une expérience réussie au cours du tâtonnement crée comme un appel de puissance, et tend à se reproduire mécaniquement pour se transformer en règle de vie » Ibid. p 361