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logo blog Educateur « Freinet » et directeur d'école « banale » Témoignage

Educateur « Freinet » et directeur d'école « banale »
Témoignage

 

A Alain Bar,
directeur pas banal
d'écoles @-Freinet

 

La vie scolaire n’est pas un long fleuve tranquille. Le directeur court après le temps1 Un quart de décharge pour une école de 8 classes relève de l'acharnement administratif. L’amour-propre professionnel du directeur en sort inévitablement atteint car, dans ces conditions, il ne peut mener à bien ni l’enseignement, ni la gestion de l’école. Le temps manque pour répondre aux demandes administratives croissantes (enquêtes, grilles, évaluations) et pour gérer les relations humaines délicates par nature.
L’équilibre vital d’une école est fragile car soumis à des pressions et influences aptes à le faire rapidement chavirer. Si les enfants sont les véritables usagers de l’école, la hiérarchie, les collègues, les parents, la mairie, les employés municipaux de l’école et des associations en sont les indispensables partenaires. Il suffit de l’hostilité d’un seul membre de ce réseau pour menacer l'équilibre du système. Les angles d’attaques sont multiples, les exemples foisonnent : rumeur, soupçons, insinuations de tous ordres. Reproches quant aux mœurs, à la pédagogie, à la discipline, à la gestion. Bévues professionnelles des collègues-adjoints comme le retard systématique, l’absentéisme, le manque de rigueur, le manque de tenue ou de maîtrise.
Au cours de la décennie, la hiérarchie a imposé au directeur de nouvelles obligations administratives marquées par l'idéologie libérale : projet d’école fait de grilles et de tableaux, soumission à base élève, remontée des évaluations... Toute insubordination peut lui valoir mesures de rétorsion, menaces de sanctions salariale, disciplinaire ou pénale.
S’il ne bénéficie ni des moyens de sa fonction, ni, d’ailleurs, d’un salaire à la mesure de sa responsabilité, le directeur d’école est exposé à des risques, particulièrement à celui de poursuites dans une société gangrenée par la judiciarisation. Désormais, les parents portent facilement plainte. Les convocations par la police se sont banalisées. Pire, un incident, un accident peuvent même conduire le directeur, autorité responsable de l'école, en prison.

 

Par chance, le directeur n’est pas supérieur hiérarchique

Il est enseignant « chargé d’école »2. Sa seule arme est sa force de conviction. Il ne peut avoir recours à aucun arsenal coercitif. Finalement, l’enseignant et le directeur sont confrontés à la même gageure, savoir intimement ce qui est bon pour l’autre (l’élève, l’école) mais ne pouvoir agir sans son consentement. Ce statut du directeur est un pari démocratique. Les instituteurs, puis les professeurs des écoles ont su miraculeusement préserver un rapport non-hiérarchique parmi les membres de l'Education Nationale réunis au sein de l'école. C’est un défi à l’idéologie de la performance et de la compétitivité qui se nourrit du stress des pressions hiérarchiques et de son corolaire binaire « punition-récompense ». Contre vents et marées libéraux, diriger une école, c’est croire aux effets de son action, penser pouvoir tenir un cap déterminé par les valeurs républicaines de justice et de fraternité dans la perspective d'un monde élaboré par et pour des citoyens libres, responsables, solidaires et épanouis.
J'ai opté pour la direction d'école très tôt dans ma carrière. Cela m'a permis de me prémunir de l'autoritarisme mais surtout de l'inertie et des peurs d'un collègue plus conformiste. Cette fonction m'a autorisé à avoir les coudées plus franches pour donner une tournure et une ligne aux écoles où j'ai exercé de manière inégale selon le contexte. N'ayant jamais été membre d'une équipe « Freinet », je n'ai pas eu la chance d'expérimenter la direction collégiale, j'ai seulement travaillé dans des écoles « banales », attentif à la qualité de l'ensemble des relations humaines, guidé par des visées progressistes. Massivement, les collègues sont soulagés d'être déresponsabilisés et je n'ai jamais rencontré une seule critique réclamant le partage des tâches de la direction. Au contraire, de façon récurrente, je me fais mouche du coche, rappelant la nécessaire implication de tous pour un bon fonctionnement de l'institution. Rangement de la BCD, état des consommables du photocopieur, rangement du matériel commun, maintenances diverses notamment informatique, date des réunions, etc. Ma position a consisté à tenter des compromis en évitant de sombrer dans la compromission, questions de valeurs et d'éthique. Bien que directeur d'écoles banales, je suis parvenu à ne pas perdre de vue l'alternative pédagogique pour laquelle j'ai choisi ce métier. Cela m'a parfois coûté en tensions nerveuses, élaboration de tactiques et de stratégies diplomatiques. J'ai parfois quitté des écoles en raison d'insurmontables difficultés avec l'un des incontournables partenaires, parents, collègues, hiérarchie ou mairie. De bonne composition, je suis parvenu à éviter, sauf exception, les conflits aigus. L'expérience m'a appris l'alchimie des rituels institutionnels, adopter des espaces de parole appropriés, différer les échanges dans le temps pour apaiser les tensions. C'est magique !

 

J'ai administré les écoles a minima bureaucratique

La paperasse n'a jamais précédé le vivant. Je m'en suis accommodée en la classant de manière expéditive, gardant présent à l'esprit la priorité du service public aux enfants.
La direction m'a permis, en maternelle, d'intégrer les ATSEM à l'équipe pédagogique (malheureusement, aujourd'hui, parler d'«Equipe Educative» prêterait à confusion). Elles participaient à toutes les réunions et animaient des ateliers décloisonnés.
A une époque où les critères de sécurité étaient moins sévères, durant quelques samedis matins, nous avons construit des jeux de cour de récréation en maternelle avec des parents.
En un temps où les projets étaient encore financés, j'ai pu trouver du beurre pour les épinards scolaires, à l'affut de tout projet d'échanges et d'animations entre l'école et les lieux de culture. Lorsque les projets d'école n'étaient pas encore brouillés par des grilles manageriales, j'ai pu initier des projets comme la création et l'animation de Bibliothèques dans un esprit d'ouverture tel que Jean Foucambert et l'AFL nous y invitaient. Ailleurs, nous avons (ré)instauré des carnavals à l'échelle du village ou du quartier. Au grès des opportunités, je me suis fait un devoir d'ouvrir l'école aux intervenants, de tisser des liens avec tous ceux pouvant renouveler l'atmosphère, alimenter culturellement et dynamiser l'école par la fête et le plaisir. Ces espaces où des enfants stigmatisés par leur échec, peuvent rayonner le temps d'une danse, d'un spectacle, espérance des prémisses d'une résilience...
Le directeur, incarne l’atmosphère générale de l’école. Un accueil chaleureux et serein sécurise les enfants, il autorise les familles à s'investir pour enrichir les offres éducatives et culturelles. Associer les parents à la vie de l'école, gagner leur complicité, accroissent les chances de réussite éducative. Transparence, information, dialogue, activités, animations et évènements en sont les ferments. La présence de parents dans les écoles est courante mais elle est animée d'intentions bien disparates. J'ai parfois été gêné par la façon dont certains collègues semblaient exploiter les parents d'élèves comme de simples exécutants ou vernis de modernité dans une école hermétiquement traditionnelle.

 

Ma classe a souvent servi de poste avancé de l'innovation dans l'école. 

Un journal de classe a pu susciter un désir collectif de journal d'école. La pratique de techniques d'expression a incité d'autres à moins les négliger dans leur classe. J'ai pu faire bouger les lignes par l'exemple de ma pratique personnelle et mon discours de résistance aux pressions normalisatrices de la tradition, des programmes, des habitudes, de la hiérarchie, des parents notamment au sujet des notes ou des devoirs. Les possibilités d'innovation éducative dépendent des conditions et des circonstances concrètes de l'école, son histoire, sa taille, la personnalité des collègues, les motivations du groupe de parents impliqués dans la vie de l'école, le discours officiel du moment et le rapport hiérarchique. Nous avions le vent en poupe et une amplitude d'action bien plus large à l'ère de la loi d'orientation de Jospin et de son pédagogue officiel, Philippe Meirieu.
L'autorité symbolique du statut de directeur permet à l'enseignant progressiste de prolonger à l'échelle de l'école ses intentions d'éducateur matérialiste. L'un de ses dilemmes est de devoir partager sa classe avec un collègue remplaçant lors de la décharge administrative. C'est un dur sacrifice de se priver de la permanence éducative un jour sur quatre. Fermer les yeux sur les pratiques de l'autre, boucher ses oreilles aux contestations des enfants et parfois de quelques parents. Pourtant je persiste à croire que le jeu en vaut la chandelle de la barque républicaine.
L'expérience m'a déterminé à choisir de petites structures à taille humaine (cinq classes maximun, mais il n'y a pas de règle) où l'on finit par connaître enfants et familles. En réduisant le nombre de collègues avec lesquels on travaille par hasard et non par choix autour d'un projet commun, on a la chance d'être plus audible, d'influencer davantage la vie de l'école. De plus, dans une école où nos élèves sont noyés dans la masse, où l'enseignement traditionnel est quantitativement dominant, notre attitude permissive est souvent lue comme laxiste. Comme il est insupportable le regard accusateur de certains enseignants bienpensants irrités par une approche des enfants et des pratiques pédagogiques alternatives. Pour ces collègues, notre façon d'être et de travailler sabotent leurs efforts normalisateurs d'école-caserne où ils appliquent sans critique les programmes officieux des manuels scolaires. Notre classe est souvent plus bruyante. Logiquement, nos élèves prolongent la liberté d'expression autorisée en classe. Naturellement, ils enfreignent d'iniques interdits, véritables abus du pouvoir adulte. Isolé dans une trop grande école, le directeur « Freinet » se retrouve en porte à faux sur des sujets essentiels comme le rapport à la règle, les mesures coercitives dans la cour de récréation, les punitions...

 

Nombre de collègues « Freinet » partagent cette expérience de la directeur d'école. Ils savent le pouvoir, les devoirs, les plaisirs dans le prolongement de la classe. Etre garant de valeurs et d'instances institutionnelles démocratiques comme le Conseil d'école. Protéger des enfants en difficulté scolaire lors des « équipes éducatives ». Créer et entretenir une qualité d'accueil aux enfants et à leur famille. Favoriser l’émulation culturelle, les échanges sociaux propices aux apprentissages, au respect de chacun (enfants, parents, enseignants) et à la cohésion du groupe en incitant au travail d’équipe, aux échanges entre classes. Respecter l'intégrité culturelle de chacun, base sur laquelle il va poursuivre son édification grâce à l'émulation des rencontres et des échanges avec ses pairs, dynamisés par les apports de l'école. Appréhender l'enfant dans sa globalité physiologique, psychologique et intellectuelle. Eviter les attitudes autoritaristes et coercitives. Prôner et pratiquer un travail non contraint. Promouvoir la motivation au travail en éduquant au plaisir différé. Privilégier le sens ainsi que le droit à la parole et à l'expression des enfants. Exclure toute discrimination notamment celle fondée sur l'échec scolaire. Privilégier les pratiques où l'enfant est acteur et auteur. Inciter à la coopération. Pratiquer une gestion transparente et si possible coopérative. Porter «  l'optimiste espoir en la vie »3.