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Revue en ligne CréAtions n° 223 "Créer, c'est résister"
annoncée dans le Nouvel Educateur N°223 - Publication : juin 2015

Agnès Joyeux du secteur Maternelle de l’ICEM-pédagogie Freinet, texte écrit à la suite des échanges sur la liste internet.

 


« Les cultures, des outils de résistance ? »

 

Un congrès qui pose question

Le thème du Congrès « Résister, se construire par la Culture » questionne car on n'a pas toujours l'impression de contribuer à la construction de l'identité de chacun par la culture pour la simple raison qu'on y recourt quotidiennement dans un grand nombre d'activités, un peu comme M. Jourdain faisait de la prose... Alors quelle est cette culture ou quelles sont ces cultures dans les classes des écoles maternelles ? En quoi sont-elles des outils de résistance et de résistance à quoi ? C’est en outre un sujet d’une actualité brûlante et tragique.
Construire une culture de classe, c'est
- accepter et discuter de ce qui est apporté par chacun,
- inciter les enfants à produire pour qu'ils se sentent auteurs eux-mêmes,
- discuter autour de leurs réalisations afin de se forger un avis.


Des pratiques d’expression

Dans nos classes, cela commence par accepter et discuter de ce qui est apporté en classe et de faire produire les enfants pour qu’ils se sentent auteurs eux-mêmes, discuter sur les productions et se construire un avis. Construire la culture de classe que l’on peut mettre en rapport ou non avec la culture plus large, c'est développer la curiosité, s'interroger sur le monde qui nous entoure… pour relativiser la culture de la restauration rapide ou de certaines chaines de télévision… Il nous semble que la pédagogie Freinet est un outil formidable pour lutter contre ce phénomène puisque l'éducation populaire a pour but de permettre à tous d'être acceptés et d'accéder à la connaissance. Ce n'est pas forcément la culture avec un grand C (sur laquelle on peut aussi avoir un avis critique) mais pourquoi pas si l'occasion s'y prête...

La culture de chacun se construit petit à petit en faisant du lien entre des vécus qui nous ont apporté des émotions. Plus ces liens sont denses, nombreux et variés et plus la culture est large et ouverte. Quelques exemples tout simples :
- Nous avons à cette époque de l’année deux chorales d’école, l’une pour les trois classes des enfants les plus jeunes et l’autre pour les deux classes de grands. C’est un moment un peu exceptionnel dans l’emploi du temps et c’est un moment de plaisir que nous terminons par de l’écoute (un morceau très court de deux ou trois minutes, pas plus) ; en septembre-octobre, nous avons écouté du jazz, en novembre-décembre le carnaval des animaux (et dans ma classe nous utilisons aussi certains extraits pour l’expression corporelle), puis des musiques du monde, etc.
- Nous avons la chance d’habiter le quartier où le sculpteur Dani Karavan a créé une œuvre longue de plusieurs kilomètres : l’Axe Majeur. C’est tellement dans le quotidien des enfants qu’il faut leur apprendre à prendre du recul pour le voir comme un monument de leur ville.
Nous faisons aussi des sorties de proximité pour voir une exposition sur le chocolat à la crèche familiale du quartier ou bien l’exposition d’un illustrateur à la bibliothèque d’où nous revenons avec des livres, des photos, des petits objets de mémoire. Celles-ci nous ont donné envie de faire des choses : peindre avec du chocolat, ça sent bon dans toute la classe et on découvre avec surprise la carte blanche de Jmagazine sur le chocolat, découper du papier noir à coller sur des fonds blancs pour les exposer dans le couloir,… pour ne rein dire de l’atelier de peinture libre au chevalet et la présentation des productions qui en sortent.
A partir de ces toutes petites expériences, les enfants construisent des tas de « c’est comme... », « on dirait... ». Ils le font d’ailleurs tellement que parfois, ils le font à mauvais escient et nous collectionnons aussi les « Faut pas confondre » !

La culture, avant d’être dans les musées, les théâtres, les opéras, elle est dans les ateliers des artistes. Comme le dit l’Odidoc n°5 (éditions Odilon), il y a vingt-cinq artistes dans la classe ! Là où il y a le plus de plaisir et d’émotions, c’est de découvrir un artiste dans un lieu de création.
La culture est dans les concerts organisés, mais elle est aussi dans une improvisation entre copains (et nombreux sont ceux qui gardent un souvenir fort du concert improvisé de l’exposition du congrès de Rennes en 2000).


Des cultures plurielles

La culture est aussi dans la rue, non seulement parce que certains artistes s’y font connaitre, mais parce que c’est là que des ateliers d’expression peuvent avoir lieu et permettre aux habitants, jeunes et moins jeunes de prendre possession de leur quartier et le faire évoluer.
Si nous ne sommes pas tous des artistes, nous avons tous un potentiel créateur et c’est dommage de le laisser dormir, c’est coupable de le brider comme le fait parfois, souvent, le système scolaire ; alors, redonnons de l’oxygène dans et hors l’école.
En maternelle, le petit enfant se construit dans sa culture, en devient acteur et part à la découverte de celles des autres… et les reconnait et est reconnu ! Et là, s'envolent ou peuvent s'envoler toutes les discriminations qui sont le lit de tant d'idéologies ségrégationnistes ! Oui ! le lien est très important et la culture est bien au-delà des lieux où elle s’exprime ! Elle est omniprésente, essentiellement humaine. Tout humain est baigné de culture, quelle qu'elle soit !
En réponse à ce sujet de philo : « Deux personnes de culture différentes peuvent-elles se comprendre ? » étant tous « culturés », il nous appartient de nous cultiver, lire, voyager, rencontrer, etc., c’est-à-dire nous ouvrir à d’autres cultures, faire l’expérience d’autres cultures, aller à la rencontre des autres, les comprendre, vivre avec eux !


Prendre du recul

« Résister par la culture », c'est développer l'esprit critique qui se construit par la culture, la connaissance, afin de pouvoir avoir une prise sur le monde ou au moins se forger son propre avis sur des questions essentielles.
Faut-il accepter toutes les décisions? Le légal est-il le légitime ? Comment lutter contre des actions dangereuses pour nous ou pour les générations suivantes si on ne connait pas la biodiversité, l'impact écologique, l'adaptation des cultures au terrain et au climat...?
Des gens créent leur propre coopérative, des circuits parallèles se créent de plus en plus ; comment est-ce possible sinon par la culture des gens qui leur permette de telles initiatives ?
Résister tout d'abord à des obéissances que l’on nous impose, souvent pour rien, résister à l'envahissement de la publicité (et très jeune cela s'apprend), aux clichés, aux idées reçues, résister aussi à sa condition, présente ou future annoncée, combattre les déterminismes.
L'esprit critique ne se construit pas sans une certaine culture - et ce mot peut avoir des résonances différentes, quelles soient scientifique, artistique, littéraire, musicale, etc. - et nos jeunes élèves en ont de plus en plus besoin ....
Dans une de ses « conférences gesticulées », Franck Lepage retrace l'histoire de l'éducation populaire et son lien avec la culture, qui ne se réduit sûrement pas aux questions artistiques, mais qui est en lien avec toute une dimension politique. Pour lui, la culture, c'est le langage, le métier, la lutte syndicale, etc. Il donne même cette définition :
« ensemble des stratégies qu'un individu mobilise pour résister dans la domination. »

 

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