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Maisons d'enfants: introduction (texte intégral du livre)

Janvier 1999

 

 

►Introduction

Texte intégral publié dans le livre Maisons d'enfants
et qui est résumé dans l'article de la revue CréAtions.

 

Les images présentées dans cet ouvrage sont le fruit d'une expérience pédagogique dont nous retraçons ici l'esprit et les grandes étapes.

Maisons d'ici et d'ailleurs, d'hier et d'aujourd'hui, du réel à l'imaginaire, tel était le sujet, en juin 1997, de l'exposition de l'Ecole Maternelle de Saint-Maurice-en-Trièves, école intercommunale comprenant une classe de vingt-et-un élèves âgés de trois à six ans. L'association "Trièves-écoles", qui regroupe six écoles rurales isolées dont celle de Saint-Maurice, avait choisi le patrimoine comme thème de l'année. Notre école s'est particulièrement intéressée à l'habitat, les enfants ayant émis le souhait de construire une vraie cabane dans la cour. Pour des raisons de règlementation, nous avons dû remettre ce projet à plus tard. Le rêve de la cabane a revêtu d'autres formes et s'est concrétisé dans une exposition.

Pour construire une cabane, il fallait en définir les éléments, les formes, les matériaux, etc. Nous avons proposé aux enfants d'aller observer les cabanons du village. Cette observation directe s’est bientôt étendue à l’ensemble des constructions des environs: l'ancienne fonderie d'or à la longue cheminée tronquée, la ferme du berger Gaby Joubert, le pont, les fontaines du village, l'église, les restes du château disparu intégrés aux habitations, les routes, etc. Les photos prises sur le terrain ainsi que les documents récoltés ont permis de fructueuses comparaisons avec les constructions d'ailleurs ou d'hier. Cette phase d'enquête s'est matérialisée sous la forme d'un grand album collectif. Son contenu a constitué l'une des trames de l'exploration plastique menée parallèlement. "Maisons d'enfants" conserve en partie la mémoire de cette phase d'approche.

Si le désir de construire une cabane nous a conduits vers une étude approfondie des maisons réelles, il nous a aussi précipités d'emblée dans l'univers enfantin de la maison et ses images. Au contact des images du réel, mais aussi d'oeuvres d'art et de la littérature, les représentations de la maison se sont nourries et enrichies d'une autre manière. Ici, les images ne fonctionnent pas sur le mode explicatif. Loin de se plier aux fonctions de désignation et de restitution du réel, elles se mettent au service de l'invention et de la transformation. Elles disent "autre chose", et font écho au mystère de la demeure. La maison est rendue à sa valeur symbolique de maison de l'âme. Cet ouvrage évoque la façon dont les enfants perçoivent la notion de foyer: "la rêverie solitaire" de chacun et l'âme collective de la classe s'y retrouvent. Notre rôle a donc consisté à accueillir ces images dans leur balbutiement. Comme le souligne le philosophe Gaston Bachelard, "la liberté d'expression" ne suffit pas pour qu'un enfant, "même questionné", "livre sa solitude"*2. Il faudrait même, selon lui, quitter la classe pour que "la rêverie trouve sa délivrance"*3. Ici s'exprime la difficulté de reconnaître les fonctions de l'imaginaire comme essentielles*4. Pour qu'elles guident l'individu dans sa quête du monde et de lui-même, elles doivent se développer dans tous les domaines. Les enfants ont été encouragés à expérimenter des modes spécifiques en projetant sur le réel leurs propres arguments.

(*2, *3 : La poétique de l'espace, Gaston Bachelard, p.92, p.110)
(*4: Sur cette question, voir G.Jean, Pour une pédagogie de l'imaginaire, Casterman, 1976; A. Beaudot, Vers une pédagogie de la créativité, E.S.F., 1973; G.Durand, L'imagination symbolique, P.U.F., 1993.)

Dans un premier temps, les enfants ont cherché des formes de représentation de la maison et de ses éléments. Sous l'inspiration de la réalité ou encore sous l'inspiration de quelques tableaux du peintre Paul Klee, ils passèrent ainsi une année à "naviguer" des poutres du plafond aux rideaux de la fenêtre, de la porte jusqu'à la clôture du jardin. Ils ont exprimé leur vision maison de la maison, tout en traçant ses contours, par le biais de recherches individuelles, suivies d'une présentation au groupe et d'une mise en commun des trouvailles. Les enfants proposaient eux-mêmes, au cours de nos entretiens et au cours des expériences menées, des matériaux, des outils et des techniques leur permettant d'explorer et de combiner couleurs, formes, rythmes, matières, puis de mettre en valeur leur travail pour le donner à voir. Cette illustration ne traduit plus seulement un désir de reproduire le réel, mais aussi celui de le transcender. Nous avons également tenté, à partir d'albums pour enfants, de mettre les élèves en situation d'exprimer la manière dont ils occupent la maison et dont ils se confient à elle. Ainsi, par-delà son apparence extérieure et formelle, par-delà son caractère utilitaire et social, la maison est-elle apparue dans sa valeur de recueillement, de liberté primordiale, de rêverie. Le lecteur découvrira, au fil des pages, les réflexions de Gaston Bachelard qui accompagnent les réalisations des enfants. Au moment de l'installation de l'exposition elles nous ont semblé apporter un éclairage intéressant sur les affinités existant entre le rêve de la maison et la prospection intime de l'être.

Parmi les réalisations plastiques de la maison, il y a les maquettes en volume. "Ce n'est pas la maison j'habite en vrai, mais c'est ma maison!": paradoxe assumé et proclamé par une élève de cinq ans à l'un des visiteurs de l'exposition; preuve également qu'ici, l'expression du réel et l'expression de l'imaginaire sont bien dissociées. Doit-on y déceler pour autant les prémices d'une conscience de créateur? En tous cas, le rêve a bien trouvé ici sa concrétisation en trois dimensions. Le réel a entr'ouvert sa porte aux possibles de l'imaginaire de chacun. Ces maisons n'imitent pas leur maison réelle, ni celles d'Afrique ou d'ailleurs. Et pourtant nous avons le sentiment qu'elles participent du secret des hommes bâtisseurs. Elles contiennent quelque chose d'indéfinissable dont l'analyse ne saurait épuiser le mystère.

En levant le voile sur ces réalisations, le livre les présente inévitablement sous l'angle du définitif. Croire à cette illusion, ce serait oublier qu'en matière de créativité, le résultat reste indissociable de l'acte et du processus, et que c'est à cet ensemble que s'attache avant tout la pédagogie. Ce livre présente des travaux à un stade donné du parcours "créateur" des enfants. A l'écoute de cette quête enfantine en constant évolution, nous ne voudrions aucunement faire de notre démarche pédagogique un modèle. En perpétuel devenir, oscillant entre convictions et doutes, elle demeure avant tout un possible à approfondir et à réinventer.

Sur les chemins du réel et du possible, et progressant du spontané vers le raisonné, les oeuvres des enfants ont pris racine. Mais attention! Ces racines demeurent vivantes et réclament tous nos soins d'adulte si l'on veut qu'un jour, elles permettent l'ajout de nouvelles pages au "livre merveilleux" que le monde nous tend chaque jour. Au stade décrit ici, elles se sont enrichies des oeuvres de l'artisan bâtisseur et de l'artiste, mais également de la propre écoute enfantine du monde, écoute selon laquelle les enfants se laissent toucher sans détour par l'oeuvre des hommes pour en fredonner l'écho: aussi l'enfant rencontre-t-il le petit vitrail de l'église de Saint-Maurice-en-Trièves qu'un inconnu a fabriqué. Le motif d'une coupe qu'il a représentée se transforme tout-à-coup en Réceptacle du soleil!

Souhaitant répondre aux questions qui nous ont été posées lors de l'exposition, nous ajouterons, en fin d'ouvrage, quelques indications sur le déroulement de ce travail. La majorité des oeuvres concerne les enfants des deux dernières années de la maternelle, mais tous les enfants ont participé à ce travail, dans la mesure de leurs moyens et de leur intérêt personnel.

Si le lecteur, guidé par l'artiste Serge Reynaud, puis par le philosophe Gaston Bachelard, trouve là l'occasion de prolonger sa propre rêverie de la maison, cela comblerait les espoirs de tous ceux qui, de près ou de loin, ont concouru à l'élaboration de ce livre-souvenir et que nous remercions de tout coeur. Merci enfin à vous, les enfants! Peut-être comprendrez-vous, en feuilletant plus tard ces pages, à quel point les grands ont aimé partager avec vous les secrets qui se tramaient sous vos doigts menus.

 

 
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"Maisons d'enfants"
pour la revue CréAtions