Raccourci vers le contenu principal de la page

Violences et mathématiques

Dans :  Principes pédagogiques › Principes pédagogiques › Techniques pédagogiques › 

Violences et mathématiques

 
« Elles sont violentes ! » fait dire Denis Guedj à son interlocutrice Lola[1]. Elles ? Les mathématiques. Ah bon ?
Régulièrement la société étonnée redécouvre sa jeunesse, prend peur, et cherche avant tout à mettre un gendarme derrière chaque élève. Au-delà des poncifs récurrents et des solutions toutes faites, nous nous devons de comprendre pourquoi beaucoup de nos enfants sont mis en échec, rejettent leurs professeurs et se révoltent contre l’école elle-même. On a souvent monté en épingle une maîtrise insuffisante de l’écrit à l’entrée en sixième, beaucoup plus rarement le niveau en mathématiques. Mais ce ressenti de Lola envers une matière scolaire sensée aider à comprendre le monde nous interpelle. De nombreuses personnes (y compris parmi les enseignants) se déclarant volontiers nulles en maths, ce pourrait être une piste pour comprendre les raisons de ce rejet de l’école.  Est-ce que cette violence ressentie est partagée ? Vient-elle de la nature même des mathématiques, de leur place dans la société ou de la façon dont elles sont enseignées à l’école ?
Si nous arrivons à trouver les causes de ce ressenti, aurons-nous des pistes pour rasséréner un rapport au savoir aussi tendu, pour inverser ce rejet en appétence et faire de l’école un lieu d’enrichissement pour tous ?
 

Violence des mathématiques

 
L’image de soi
Les mathématiques peuvent renvoyer à celui qui s’y frotte une image de soi dévalorisée. Elles sont souvent présentées comme la science de la rigueur, de la logique. Ramener tout au raisonnement logique lèse l’image qu’on peut avoir de ses capacités intellectuelles sitôt que les résultats que nous donnons sont contestés.
 
L’image du monde
Une autre difficulté réside dans le rapport que les mathématiques entretiennent avec le réel. Qu’elles aient été inventées pour répondre à nos besoins de le maîtriser, ou découvertes (le monde serait mathématique…), elles interrogent notre conception du monde. Leur logique implacable, sans nuances, crée une image dure de ce monde. C’est juste ou c’est faux. Deux et deux font toujours quatre. Leur logique binaire agresse une perception du réel que notre sensibilité nous fait percevoir tout en nuances. « Plus les mathématiques se rapprochent de leur réalité, plus elles s’éloignent de la réalité. », dit Stella Baruk
Plus encore, cette conception pure et dure des mathématiques évacue la part d’affectif liée à sa pratique comme à toute activité humaine. Je me souviens d’une enfant qui, au retour de la visite d’une bergerie, était incapable de calculer combien un troupeau de brebis consommait de bottes de foin pendant la saison d’hiver tout en possédant les moyens opératoires de le faire. L’avait-on forcée à manger à la cantine ? L’affectif la submergeait : «  Mais elles ne mangent pas toutes pareil ! ».
Les mathématiques semblent au profane l’ennemi de l’imaginaire et du rêve, les réponses qu’elles apportent étant d’une vérité froide, sans états d’âme et indiscutables.
 
Des concepts difficiles à accepter
Par ailleurs les mathématiques conduisent à des concepts qui échappent à notre entendement. L’histoire leur doit de nombreux moments de violence. Hippase de Métaponte fut noyé pour avoir dévoilé que le calcul de l’hypoténuse conduisait à des nombres irrationnels, notion impossible, en conflit avec les croyances philosophiques pythagoriciennes. Pour les Pythagoriciens, en effet, tout pouvait être mesuré par des nombres (entiers). Dans cette conception du monde, il n’y avait d’ailleurs pas de place pour le vide car rien ne pouvait être rien. L’univers était donc un monde fini, car sans vide, pas d’infini. Pour les anciens le concept même de zéro était étrange et terrifiant. Ainsi le monde occidental s’est longtemps protégé du zéro, et de l’infini, parfois par la violence. Par la suite les chrétiens avaient construits une image du monde dans la continuité des conceptions de Pythagore et d’Aristote, et justifiaient l’existence de Dieu par le système de Ptolémée (un nombre fini de sphères concentriques). Hypatia, mathématicienne d’Alexandrie, fut lapidée par les chrétiens pour hérésie et sorcellerie. Au 13ième siècle, alors que les marchands italiens utilisaient les chiffres arabes et le zéro pour d’évidentes raisons de facilité de calcul, la chrétienté continuait de rejeter le zéro car mettre en doute la vision aristotélicienne du monde c’était mettre en doute l’existence de Dieu.
De nos jours, même si les conceptions de l’humanité ont trouvé un nouvel équilibre intégrant l’infini et le vide, est-on sûr que le zéro, qui n’est pas utile dans le dénombrement, et l’infini, qui fascine, ne sont plus des obstacles conceptuels aux apprentissages ?
Au cours des millénaires qu’a duré la construction des mathématiques actuelles, l’Humanité a subi des sauts cognitifs importants. Le passage de la correspondance terme à terme (un mouton, un caillou, deux moutons, deux cailloux, etc.) à l’écriture analogique (un mouton, un trait) puis à l’écriture symbolique actuelle, ce passage s’est fait par sauts cognitifs successifs avec à chaque fois un deuil douloureux à faire à l’abandon de la conception précédente. Il en est sans doute de même dans l’apprentissage actuel des mathématiques.
 
Langage courant, langage mathématique
On peut aussi aborder la difficulté des mathématiques sous l’angle du langage. Stella Baruk a montré depuis longtemps dans ses ouvrages son incidence sur l’échec en mathématiques. Celles-ci sont un langage spécifique, avec une écriture symbolique extrêmement précise, mais qui ne peut empêcher l’ambiguïté car de nombreux termes sont dérivés du langage courant. Quand leur sens mathématique n’est pas clarifié, l’incompréhension qui en découle peut être violemment ressentie.
 
L’affectivité
Enfin, et cela heurte nos conceptions des mathématiques échappant par leur rigueur au piège de l’affectif, des élèves ressentent comme violence le problème posé. Jacques Nimier, psychanalyste et mathématicien, l’a bien montré dans ses ouvrages[2]. Ainsi voici un extrait d’un entretien avec l’élève X., brillant en maths :
« Quand vous êtes devant un problème ?
- Il faut que je l’attaque, que je le détruise. Il faut s’en rendre maître, il faut démolir ce mur, un mur qu’on m’a fabriqué, un mur qui ferme l’univers… Quand je suis bloqué… Il ne faut pas qu’il y ait des points obscurs… c’est comme un trou, j’ai peur de tomber dedans… Je deviens méchant quand je ne trouve pas. J’ai toujours peur de rencontrer une difficulté insurmontable… »
Violence de la relation au problème, ou canalisation de la violence dans l’activité mathématique ? En tout cas il serait vain, dans l’enseignement des maths, d’ignorer l’affectif et les représentations fantasmées des enfants.
 
Conclusion :
Les mathématiques rencontrent des difficultés dues à leur spécificité. Elles renvoient l’être humain à sa nature, aux représentations philosophiques ou fantasmées qu’il a de lui-même et du monde. Elles prétendent échapper à l’affectivité au nom de la logique et de la rigueur du raisonnement, mais celle-ci semble les envahir, et chacun s’en construit, pour s’en protéger, une représentation fantasmée. Toucher à ces représentations peut être ressenti comme une violence, ou déclencher des réactions violentes.
 

Violences par les mathématiques

 
Mathématiques et violences sociales
 
Les mathématiques ont pris une place primordiale dans la société, et cette importance même engendre des tensions.  Toute l’organisation sociale, notre sécurité, notre santé, chaque détail de notre vie est régi par les mathématiques. «Ça peut entraîner des choses graves : Si mon père se trompe d’un certain million, il peut être viré. » dit Christelle.
 
De surcroit les mathématiques sont l’objet de suspicion plus ou moins consciente due à l’utilisation qui en est faite. Nous le constatons tous les jours dans le secteur de la distribution par exemple ou l’on abuse les consommateurs par des tours de passe-passe. Des arguments à coloration mathématique qui s’appuient sur le manque de temps ou une faiblesse en mathématique de la majorité de la clientèle pour déguiser en avantage une augmentation de prix, un prêt à la consommation ou un placement.
Les mathématiques sont aussi un argument frappant pour nous faire avaler licenciements, délocalisations, augmentation de cotisations ou pour déguiser en augmentation une chute du pouvoir d’achat.
Cette utilisation des mathématiques, non aux fins de vérité mais pour tromper, est de l’ordre de l’abus de confiance. Il est aisé de comprendre qu’elle puisse être ressentie comme une violence.
 
Cette place primordiale prise par les mathématiques exacerbe leur importance sociale et rend encore plus violent l’échec en math puisque il est prédictif d’un échec social. Les nombres, c’est aussi ce qui nous mesure, nous limite, et nous compare aux autres. La sélection sociale par l’échec en math a donc aussi des retombées psychologiques. Violence que de faire croire que la réussite en math est liée à l’intelligence (c’est mathématique). Violence de l’échec en math par la destruction de l’image de soi. Rejet de ceux « qui ne comptent pas ». de ceux qui n’ont pas « la bosse des maths ». « Je me trompe, donc c’est grave par rapport aux résultats des autres », dit Sophie (Entretien de B. Mauret).Violence qui touche également les familles : « Maman avait du mal. Elle me disait qu’elle avait du mal… », dit encore Sophie ; ou à l’inverse : violence d’être bon en math quand son père était nul.
 Ajoutons à cette violence générale la violence ségrégative envers les filles faisant des maths[3].
 
Les mathématiques sont un champ disciplinaire qui focalise la violence scolaire. La place faite aux maths dans la société autant que leur nature même influe sur le rapport aux maths des élèves, de leurs parents, et des enseignants eux-mêmes.
 
Violences par la façon d’enseigner les maths
 
« L’enfant qui échoue en maths est un enfant à qui l’on fait échec. », dit Stella Baruk[4]. Mais aucun enseignant ne met sciemment un élève en échec. Que se passe-t-il donc à l’école ?
Les enseignants sont des représentants de cette société, et surtout ils ont été eux-mêmes élèves. Certains ont sans doute un rapport complexe aux mathématiques d’autant que beaucoup d’entre eux, au primaire notamment, trouvent normal de se dire mauvais en mathématiques (Aucun ne se dit mauvais en français, même si…). Gageons qu’ils risquent de transmettre à leurs élèves ce qu’ils ont eux-mêmes vécu.
 
Les enseignants qui se disent bons n’échappent pas pour autant à cet écueil. L’enseignant qui a réussi en math « ne comprend pas qu’ils ne comprennent pas ». On décèle parfois une violence de l’enseignant de math envers celui qui ne profite pas de son enseignement, nécessairement bon puisque lui est bon en math (donc en pédagogie ?) Ils attendent de leurs élèves l’attitude par laquelle ils pensent devoir leur propre réussite : apprentissage par cœur, exercices, problèmes, etc. (Voir encadré : Les tables de multiplication). Or les études récentes sur le fonctionnement du cerveau montrent que l’activité cérébrale liée aux maths doit certes aux zones liées au langage, mais aussi aux zones liées aux images, et celles liées aux émotions.
 
Une part de cette transmission passe par la note, sensée attribuer une valeur au travail fourni. Elle contribue à la violence. Son caractère chiffré l’habille de mathématiques et lui confère une valeur scientifique qu’elle n’a pas. Que la note soit bonne ou mauvaise, c’est une agression que d’être mesuré ainsi et ce n’est pas sans conséquence sur la personnalité. « Zéro, c’est ce qu’il y a de plus bas… ça n’a pas de valeur ou c’est très mauvais. En général pour les notes, quand on a zéro, c’est très mauvais. » dit Sophie. « Zéro, c’est une mauvaise note. On est nul quand on a zéro… » dit Christelle, en 3ième CAP (entretiens de Bernard Mauret sur le site www.pedagopsy.eu).
 
Les mathématiques sont langage, elles sont aussi le lieu de l’imagination et elles sont mues par l’affectif. Contrairement à l’image le plus souvent véhiculée, elles ne sont pas que logique et raisonnement. « Les mathématiques sont une logique de l’imagination. », dit Leibniz. Les mathématiciens progressent par association d’idées, et c’est pour publier leurs avancées auprès de leurs confrères qu’ils prennent soin d’étayer ce qu’ils ont trouvé par une présentation logique rigoureuse. Ramener tout au raisonnement logique au détriment de l’imagination coupe les élèves de l’activité mathématique réelle. C‘est faire violence aux enfants que de limiter le travail mathématique à un raisonnement, à l’application de règles apprises par cœur et de techniques de résolution.
Oublier que les mathématiques sont un langage, que ce langage s’est construit au fil des siècles à partir du langage naturel… Ne pas accompagner à l’école le passage du langage naturel au langage mathématique, faire comme si le sens mathématique d’un mot allait de soi, c’est une violence.
Mal à l’aise dans notre compréhension du rapport du réel aux maths, soit nous construisons un apprentissage coupé du réel, induisant une perte de sens, soit nous tentons d’ancrer les maths à tout prix dans le réel, mais au prix d’un faux réel, concret pour nous mais d’une irréalité complète pour les enfants (problèmes dits « de robinets »). Mettre les enfants dans cette situation et ne pas comprendre qu’ils ne comprennent pas, c’est une violence.
L’apprentissage de règles par cœur, sans justification, est encore une autre violence : une justification magistrale ne suffit jamais : chacun doit se construire sa propre justification. On ne peut faire de mathématiques que si l’on se fabrique ses propres mathématiques. » dit Jacques Nimier
 
Le non respect des rythmes d’acquisition est une autre. Violence, la non prise en compte des sauts cognitifs. Les obstacles que l’humanité a mis longtemps à franchir : le passage de l’analogique au symbolique, l’acceptation du zéro, la compréhension de l’infini, etc. l’enfant les rencontre à son tour. « Les chiffres, c’est un peu l’infini, on ne peut jamais s’arrêter… Je pense pas que les gens aient le courage, aient le temps de compter à l’infini… jusqu’au maximum… On ne sait pas où ça va comme par exemple quelqu’un peut être centenaire ou mourir beaucoup plus jeune… L’infini, c’est une angoisse, on ne sait pas trop ce qui va se passer au long d’une vie, enfin, pour les êtres humains ce qui est fini, c’est au moment où arrive la mort. »
Violence encore, le refus du tâtonnement des enfants, de la résolution bricolée…
 
Violence aussi la non prise en compte des représentations des élèves, non seulement leurs représentations erronées mais aussi leur corollaire fantasmé. Un exemple sur les nombres pairs : « Les 2, les 4, les 6, je préfère. Que les autres, par exemple 3, et bin il y a toujours une personne qui est en trop… » dit encore Christelle.
 
Violence, enfin, la parcellisation du programme. Selon Stella Baruk, l’enfant en difficulté se met en sécurité à coup de définitions apprises par cœur. Ses mathématiques sont morcelées en une multitude de territoires. Cet effet est encouragé par le découpage des programmes (l’effet est le même pour le maître peu féru de mathématiques qui est incapable de généralisation ) et le fonctionnement leçons/exercices d’application/évaluation. Pour généraliser et comprendre la géométrie, il est demandé à l’enfant de sortir de ces places fortes qu’il s’est construites, et c’est une atteinte à sa sécurité qui peut être ressentie comme une violence. Donc plus l’enfant est en difficulté, plus les sauts conceptuels deviennent violents.
 
Conclusion :
Le système ségrégatif actuel s’appuie sur une conception erronée des mathématiques pour établir une domination par l’échec scolaire. Un amalgame abusif est fait entre réussite en math et intelligence. Cette confusion est entretenue et cette ségrégation est perpétuée par le système éducatif et ses enseignants. Se lève alors une utopie : tous bons en maths ?
 
Des réponses
 
Face à ces mises en échec, potentialités de violences, la société a d’abord des réponses commerciales : cahiers de vacances, petits cours, école privée, etc. qui entretiennent l’idée que « toi au moins tu peux t’en sortir, si tu travailles ! ». Une solution individuelle qui ne dérange pas l’ordre social.
L’Education nationale ne propose pas beaucoup mieux : évaluation, soutien, aide personnalisée, qui s’appuient sur une médicalisation ou culpabilisation de l’échec, donc sur les idées d’inaptitude ou de paresse. Les programmes sauce 2008 sont redevenus morcelés. Ils ne prévoient pas de répondre à l’interrogation naturelle des enfants qui donnerait une cohérence globale à cet enseignement, et promeuvent le par cœur et l’exercice comme solutions pédagogiques.
 
Les réponses des psychopédagogues (Brissiaud par exemple) sont souvent très techniques, se préoccupent de didactique, donc de soigner la transmission du savoir. Roland Charnay est attentif au cheminement des enfants et laisse tâtonner des savoirs bricolés aux savoirs experts. Ses propositions (le programme 2002 en math) ont fait peur à beaucoup et ont cédé au premier changement politique.
 
Les livres qui tentent de réconcilier les enfants avec les mathématiques ne s’adressent qu’aux grands, le plus souvent aux ados[5]. Comme si avant il n’y avait pas d’échec ? Ou comme si à l’école primaire on ne faisait pas encore de mathématiques ? Comme si le rejet des maths ne survenait pas plus tôt ?
Ces livres travaillent en curatif, pas en prévention. Ils expliquent la nature des maths (Ils replacent les maths dans le contexte humain : histoire, philo.) sans remettre en cause son enseignement. Beaucoup d’écrits laissent croire que c’est le rapport math/réel qui pose problème aux personnes en échec en math, par perte de sens. Seule Stella Baruk explique le problème posé par le langage math, et produit des outils afin de faciliter ce passage.
La plupart des auteurs pour enfants mettent en scène les formes et les premiers nombres, expliquent les maths ou discutent de leur rapport aux maths, les resituent dans une dimension philosophique, mais ne font pas faire des maths ne font pas construire aux enfants leurs propres mathématiques.
Comme d’autres, Denis Guedj cherche à réconcilier des enfants avec les maths. Il dit qu’avant d’aimer ou de ne pas aimer les maths, il faut les goûter. Mais il ne les fait pas réellement goûter car il les explique, mais n’en fait pas faire.
 
Réponses  de la pédagogie Freinet
Dans la classe Freinet, nous tentons d’autres démarches qui rendent les mathématiques aux enfants :
Dans le calcul vivant, les mathématiques s’exercent sur les objets reliés au vécu de la classe, au vécu des enfants. C’est une gestion saine du rapport au réel, dans un affectif maîtrisé. Cette mathématisation du réel permet aussi d’apprendre maîtriser le monde contre les nuisances naturelles ou sociales.
Dans les séances de créations mathématiques les enfants parlent les mathématiques. « Lorsque tu entres dans un cours de maths, tu entres dans un cours de langue » dit D. Guedj. Les enfants échangent en mathématiques avec leurs mots du langage naturel. Peu à peu certains mots acquièrent leur sens mathématiques. Des mots nouveaux surgissent pour étiqueter les notions découvertes. L’échange oral permet aussi de faire le tri dans les représentations, d’abandonner en douceur les fantasmes, de faire son deuil des représentations fausses ou imprécises. Les sauts cognitifs sont accompagnés, maîtrisés, arrivent quand les enfants sont prêts à les faire, dans la sécurité du groupe coopératif. La rigueur qu’appelle la confrontation entre pairs : rigueur de l’observation, du vocabulaire, des arguments, du raisonnement, cette rigueur-là a une fonction créatrice. En création math elle vient par la confrontation aux autres, la nécessité d’argumenter. On met l’enfant en situation de construire avec l’aide du groupe ses propres mathématiques.
Les plus grands poursuivent leurs idées pendant des séances de recherche personnelle. Ils se donnent progressivement les outils du mathématicien : avancée par associations d’idées, essais-erreurs, rédaction de ce qu’on a compris pour le communiquer aux autres. L’échange oral entre pairs reste alors crucial pour que se construisent les mathématiques de la classe.
Les acquisitions sont renforcées par leur réinvestissement permanent dans les situations nouvelles, et si nous utilisons l’exercice, c’est surtout à cause des rythmes imposés par l’organisation actuelle des parcours scolaires.
 
Conclusion
 
La violence scolaire parait exacerbée sur le terrain particulier de l’enseignement des mathématiques, mais la classe Freinet établit un rapport serein aux autres et aux savoirs, par ses institutions, ses démarches et la pratique de la méthode naturelle de mathématiques. Nous rendons les mathématiques aux enfants et nous sommes en mesure de leur faire vivre de vraies mathématiques, dès la maternelle.
 
Outre les ouvrages déjà cités dans le texte, on pourra lire avec profit :
Zéro, la biographie d’une idée dangereuse, Charles Seife, JC Lattès, 2000
La violence de l’enseignement des maths et des sciences, Patrick Trabal, L’Harmattan, 2000
 
Encadré 1 : texte d’enfant : les tables de multiplication.
Encadré 2 : extrait de lettre aux correspondants
Encadré 3 : photo de classe « Discussion d’une création »
 
 
Les tables de multiplication
 
Il était une fois un garçon qui ne savait pas ses tables de multiplication.
Un jour la maîtresse avait donné un contrôle noté sur 20. Il a eu 9 :20, alors elle dit qu’il restera à la récréation avec elle. Il était alors 9 h 30.
Il resta à la récréation pour apprendre ses tables de multiplication jusqu’à x9.
Quand arriva l’heure de rentrer en classe, il n’avait pas eu le temps de continuer jusqu’à x9 : il s’arrêta à x7, alors la maîtresse lui dit qu’il resterait après quatre heures.
Il resta après quatre heures. Quand il eut fini, à 4 h 30, il rentra chez lui. Son père le gronda parce qu’il était en retard. Il fut privé de dessert.
Le garçon n’est plus jamais allé à l’école.
 
Fatiha
 
 
 
 



[1] Les mathématiques expliquées à mes filles, Denis Guedj, Editions du Seuil, mars 2008
 
[2] Les modes de relation aux mathématiques, Jacques Nimier, Editions Méridien Klincksieck, 1988.
Camille à la haine… et Léo adore les maths, L’imaginaire dans l’enseignement, Jacques Nimier, éditions Aléas, 2006
 
[3] Du côté des mathématiciennes, Annick Boisseau, Véronique Chauveau, ALEAS éditeur, 2002
[4] Echec et maths, Stella Baruk, 1973
 
[5] Les Aventures Mathématiques de Mathilde et David, M-F. Daniel, L. Lafortune, Le Loup de Gouttière, 1999
Les mathématiques expliquées à mes filles, Denis Guedj, Editions du Seuil, mars 2008