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19ème salon Freinet de Nantes- Notes de Pierre -

« La place de la parole dans l’institution scolaire, parole magistrale, parole citoyenne, parole du sujet apprenant »

 

 Pour reprendre un mot de Freinet « L’école est trop orgueilleuse de posséder la science » et par conséquent a tendance à privilégier la parole du maître et à négliger la parole des élèves qui pourtant, existe au moins à deux niveaux :

- dans le domaine des échanges qui concernent la communauté de vie et le fonctionnement
- dans le domaine des apprentissages.
Si on remonte très loin dans le passé, on voit que le débat a toujours opposé, d’un côté, les tenants d’une transmission centrée sur l’autorité du savoir et sur celle du maître, et d’un autre côté, les pédagogues qui font une place à la parole de l’élève dans l’institution scolaire.
 Je me propose donc de repérer quelques éléments de l’histoire de l’école qui montrent
- que ce débat  accompagne un lent et difficile mouvement de démocratisation
- que ce débat se déroule sur un arrière plan d’exclusion sociale et d’échec scolaire.
Mais, on verra que c’est bien l’équilibre entre les trois paroles qui pourrait être le garant d’une école démocratique et efficace.
 
1) Je / nous.
La parole du sujet apprenant.
 
L’époque des humanistes.
Nous ne tenons les uns aux autres que par la parole.
Montaigne  le maître doit laisser parler son élève.
Comenius (image du précepteur)  au milieu d’un environnement : les lumières du savoir arrivent tout de même par l’intermédiaire du maître, des élèves en activité.
Ce qui intéresse les humanistes, c’est le doute. Critique de la scolastique, que Montaigne décrit comme de vrais « geôles de la jeunesse captive ». On n’y apprend rien que le latin. Montaigne accuse la violence des institutions « scolaires » de son époque.
Abbaye de Thélème (Rabelais)  « Fais ce que voudras » : utilisation de la capacité naturelle à ouvrir les yeux sur ce qui nous entoure.
Interrogation du statut des savoirs : le savoir sert-il à distinguer socialement les gens ou à agir sur le monde ?
Rousseau oppose l’autorité à la raison.
L’enseignement mutuel depuis le XVIIIème siècle et mis en place sous la Restauration, sous l’influence anglaise : des élèves moniteurs, placés face à un groupe. Le maître renonce à l’exclusivité de la parole experte.
 
2) Les savoirs et leur sens social.
La parole scientifique.
 
Idéal de Condorcet (1792)  offrir à tous les individus les moyens de pourvoir à leurs besoins. Prise en compte d’un devoir de justice, renversement des principes de l’éducation : ne plus transmettre les savoirs à ceux qui le « méritent » socialement, mais permettre à tous les citoyens d’exercer leur citoyenneté ; c’est la marche vers la démocratisation.
Après la Révolution, Napoléon s’empresse de faire le contraire, pas seulement dans l’éducation, mais dans l’ensemble du système social : affirmation des préceptes de la religion catholique, fidélité à l’Empereur, obéissance à l’Etat, à la patrie, à la religion, à la famille.
 
Un nouveau projet émerge avec la Révolution de 1848 et Lazare Hippolyte Carnot (ministre de l’instruction publique). L’instauration du suffrage universel induit un retour aux principes défendus par Condorcet.
La réponse de Thiers ne souffre pas d’ambiguïté : il faut limiter l’instruction à lire, écrire et compter, tout le reste étant superflu. L’Etat peut ainsi consacrer l’argent économisé à « l’inspection » (la police, dans le langage de l’époque), il ne faut surtout pas instruire le peuple afin de ne pas nuire à l’ordre établi.
 
Après la défaite de 1870, vient l’ère des « hussards noirs de la République » qui vont apporter au peuple un savoir porté sur la raison. Les lois J. Ferry de 1881-1882 ont pour vocation de réunir le peuple autour d’une culture et d’une langue communes permettant à la nation de se rassembler. Les lois Ferry ajoutent au lire écrire compter, l’instruction morale et civique (et non plus religieuse), la musique… « Ceux qui sont forts sur le mécanisme ne comprennent rien à ce qu’ils disent ». Mais ce système demeure inégalitaire socialement dès que l’on aborde le secondaire.
 
3) Le partage des responsabilités.
La parole politique.
 
La réforme se fait sur la marge (comme par exemple l’école des Roches, qui s’adresse aux classes favorisées). C’est le temps des novateurs. John Dewey (1899) (« Il s’agit de faire des citoyens et non des savants ».), puis Freinet vers 1930) et Gustave Monod (1945), créateur des Cahiers Pédagogiques, pour qui l’ordre de la classe sera confié aux enfants eux-mêmes (les « classes nouvelles »). Ce qui importe, c’est de mettre les élèves en activité. Ils communiquent et font des travaux manuels, mais sur les photos on les voit toujours tête baissée.
En 1945 Langevin et Wallon constatent le divorce entre l’enseignement scolaire et le réel.
En mars 1968 apparaît le mot dynamisme, juste avant mai 68 qui voit la révolte contre l’ennui et contre un modèle dont on ne veut plus.
 
La réforme de 1975 (loi Haby) instaure le collège unique. Désormais on a un système unique pour les enfants de 6 à 12 ans, mais l’inégalité se retrouve dans le secondaire, marqué au niveau des filières. L’enseignement secondaire est toujours centré sur les savoirs (beaucoup plus d’enfants issus de la bourgeoisie titulaires du bac C, par exemple).
Des instances de concertations sont introduites (CA et CE), qui rendent possible pour la première fois la parole politique dans le système éducatif. Le groupe des élèves se voit reconnaître un point de vue à faire valoir.
Les TPE permettent de contourner le problème : affirmation de la parole du sujet apprenant, qui devient producteur de savoir. Dans le même sens on assiste aux IDD qui permettent le développement de compétences. Mais les TPE sont supprimés, et tout est à nouveau recentré sur les savoirs.
Les projets Sarkozy-Darcos annoncent un « retour aux fondamentaux ». Le moins que l’on puisse dire est que ces fondamentaux ne sont pas ceux de Condorcet. On décrète qu’il faut acquérir les techniques opératoires avant le sens des opérations. On a redonné toute la place au savoir, au détriment des deux autres pôles (le pouvoir et le sujet apprenant).
 
4) Les 3 pouvoirs de la parole.
 
Henri Atlan affirme qu’entre la parole poétique, la parole politique et la parole scientifique, il faut maintenir le droit à la parole à ces 3 pouvoirs. Cette tripolarité se retrouve dans le schéma du sociologue René Lourau : le groupe de base, le groupe d’action et le groupe de travail. Ça ne sert à rien de faire comme si le groupe de travail occultait tous les autres. Il faut mettre en valeur les trois composantes.
- le groupe de base renvoie au sujet apprenant ; c’est le lieu privilégié de la parole « poétique ».
- le groupe d’action renvoie au pouvoir ; c’est le lieu privilégié de la parole « politique ».
- le groupe de travail renvoie au savoir ; c’est le lieu privilégié de la parole « scientifique ».
Une école qui réussit est une école démocratique. Une école démocratique est une école qui réussit. La condition de cette réalisation tient dans l’équilibre entre les 3 axes.
 
En guise de conclusion, on peut se reposer sur un exemple connu d’une école qui réussit, celle de Mons-en-Barœul où cet équilibre entre les 3 axes est respecté. Mais on peut se poser la question : et dans les écoles ordinaires ? La réussite peut là aussi être atteinte si certaines conditions sont réunies : travail en équipe des enseignants, accueil des parents dans l’école, mise en place d’une pédagogie active…