Raccourci vers le contenu principal de la page

Laurent Inquimbert, transporteur d’émotion

Dans :  Principes pédagogiques › Techniques pédagogiques › 
Mars 2006

 

                
Dans l’atelier du sculpteur


Quand le déchet devient objet d’art

Ce projet a été mené dans le cadre d’un atelier de sensibilisation aux métiers d’art, intitulé "Quand le déchet devient objet d’art", sous la responsabilité pédagogique de Corinne Le Gat-Callier.

 

Avant d’arriver chez Laurent le sculpteur, les enfants imaginent l’atelier et "Laurent" qu’ils ne connaissent pas encore. Le maître leur a parlé d’un artiste, d’un lieu où ils vont se rendre régulièrement. Tout cela forme dans leurs têtes des images qui se mêlent au désir de connaître enfin cet endroit. D’ores et déjà, celui-ci ne ressemble en rien à ceux qu’ils connaissent déjà. Et quel est ce métier original : fondeur d’art ?

Dans l’atelier (Grosse poche levier)

Pieds joints, les enfants s’en donnent à cœur joie. Les canettes sont réduites en galettes (Ecrabouille).

La matière en fusion émerveille les enfants (Coulage).

L’enfant recommence autant de fois qu’il veut l’objet de son désir créateur (Modelage).

De main en main, le parallélépipède circule, froid, durci, doux par endroit (Lingot).

Arrive le jour où ils rencontrent Laurent. Il vient dans la classe avec quelques sculptures et un DVD sur le métier. Le désir d’aller voir sur place grandit de jour en jour.

Durant plusieurs semaines, les enfants collectionnent des canettes et autres objets de récupération, sachant que cela deviendra utile pour la suite du projet. De gros sacs plastiques noirs se remplissent de ces canettes qui contenaient des boissons sucrées en tout genre que la société produit de manière presque maladive. Pour une fois on va faire quelque chose de ces matériaux qui enflent nos ordures. Les pieds, les mains et l’imagination de tous les enfants vont être sollicités et grâce à la fonderie de Laurent, un miracle va se produire…

Lorsque l’autobus, après avoir pris la route aux grands virages, tourne dans la zone artisanale de Carcès puis débarque les enfants devant un hangar contigu à d’autres, un monde sans âme surgit à leurs yeux : un carrossier, un ferronnier et au milieu, l’atelier 960°. Le rideau métallique levé, Laurent les accueille. Le décor apparaît. Machines sans nom, blocs inachevés, poussière, tables encombrées d’outils, de sculptures en cours d’exécution.

Un escalier les conduit dans un endroit éclairé par des velux. La lumière jaune et rasante de l’après-midi effleure les objets entreposés là. Sculptures de métal, d’animaux et autres, attendent certainement depuis longtemps d’être exposées, vraisemblablement oubliées. Oeuvres passées, révolues, mises au rancart. Les enfants s’étonnent, un peu intimidés devant ces figures sorties du réel ou purement imaginées.

Le temps de l’action est arrivé. On vide les sacs dans la cour de l’atelier. Moment intense (en bruits et en rires) où vingt- huit gamins écrasent, écrabouillent et compressent les canettes avec toute la force de leurs jambes et de leurs pieds.

 

Triangle Vauville, Laurent Inquimbert

Les canettes, réduites en galettes métalliques, recouvrent peu à peu le sol. Pieds joints, les enfants s’en donnent à cœur joie, le corps entier participant à la transformation de l’objet.
Le moment de charger le creuset pour fondre l’aluminium arrive. Le savoir-faire de Laurent peut entrer en jeu.
Les enfants suivent avec attention les gestes de l’artisan d’art. Le silence s’est installé. Laurent allume le dessous du creuset avec un grand chalumeau. Il se met à remuer l’intérieur avec une baguette métallique. Le métal fond, les lingots sont coulés dans des moules en fonte. La matière en fusion émerveille les spectateurs qui s’exclament. Le rougeoiement du matériau qui, détruit, se reconstruit soudain, en refroidissant dans le moule, a quelque chose de magique. Le lingot, couleur argent, paraphrase le moule. C’est un miracle de voir la transformation et c’en est un autre de toucher l’objet obtenu. De main en main, le parallélépipède circule, froid, durci, doux par endroit. C’est la première sensation tactile que les enfants rencontrent dans l’atelier de Laurent. D’autres vont lui succéder…

Les enfants découvrent comment, du moule creux, vont surgir de vraies sculptures (Coulage)

Laurent donne son savoir-faire aux enfants (Montage de grappe)

C’est avec ardeur et frénésie qu’ils ont pris les maillets pour continuer la casse (Décochage)

On attend beaucoup, mais le résultat est beau (Polissage)

La matière invite à l’expérience. Nue, bloc indomptable, résistante, parfaite en son état brut, et l’on se demande alors comment aller plus loin.
Il faut à présent produire quelque chose qui parle, quelque chose qui émeut. Le bloc offre le spectacle désolant du chaos, de l’impersonnel.

Laurent Inquimbert dit de ses sculptures qu’elles parlent "d’une réalité de l’humain comme être naturel, avec une farouche volonté de s’élever, de grandir, d’admettre". Telle Arbre, une forme évidée, donnée à l’espace, plantée au sol comme un quadrupède. L’objet n’est plus une barrière mais une continuité de l’être. Il symbolise, il sympathise avec la nature, élément de celle-ci, rude et beau à la fois. La matière a servi à la réconciliation de l’artiste et du monde, car l’un et l’autre se cherchaient depuis longtemps.
Les enfants iront aussi loin que ça dans leur expérience avec Laurent.
Ils exploreront et trouveront.
Ils apprendront et attendront.

Les copeaux de cire sont là. Dans le creux de la main, la cire se laisse manipuler. Trop dure au départ, elle s’assouplit jusqu’à devenir modelable. Elle se travaille avec douceur, laissant l’enfant recommencer autant de fois qu’il le veut l’objet de son désir créateur. Arrondie, allongée, effilée, la cire accepte la pression des doigts, l’incision du stylet, les pincements, les rajouts, les extractions. Les enfants prennent plaisir à ne jamais vouloir être entièrement satisfaits. Ainsi n’a-t-on jamais peur de se tromper.

De la cire modelée naissent des animaux dont un aux ailes de libellule et aux pattes de chien, un autre, papillon sur une fleur, escargot mangeant un champignon, ou bien dinosaure. Fleurs, cœurs, boules et dés, tout peut se faire, tout peut se dire.De la cire modelée naissent des animaux dont un aux ailes de libellule et aux pattes de chien, un autre, papillon sur une fleur, escargot mangeant un champignon, ou bien dinosaure. Fleurs, coeurs, boules et dés, tout se peut se faire, tout se dire.

Grâce à la technique de la cire perdue, les enfants découvrent comment, du moule creux, résultant de la cire fondue dans un cylindre de plâtre et de terre chamottée, vont surgir de vraies sculptures, pièces uniques, œuvres de leur imagination et de leur savoir-faire.

Laurent donne peu de conseil. Il observe les enfants et les enfants l’observent. Quelques mots encouragent. L’artiste sait intervenir. Pas de discours mais seulement une assurance dans les gestes, une précision dans les mots et l’attente de l’autre. Quelquefois, on dirait qu’il ne se passe rien car il n’y a rien de spectaculaire. Seulement du travail. L’artisan qui donne son savoir-faire, sans limite, et les enfants qui attendent de la générosité de l’autre pour en donner à leur tour.

A chaque étape du travail, il faut espérer dans le résultat qui sera comme il sera : espérer en l’adulte qui va guider, espérer en l’autre qui va participer à l’expérience et espérer en soi. Tout est question d’attente dans le travail. Chaque après-midi passée dans l’atelier de Laurent a demandé de la patience. Rien ne se fait sans travail ni sans volonté. D’ailleurs un enfant a dit : "On attend beaucoup, mais le résultat est beau. Ça vaut le coup d’attendre !"

Le moment qui marque le plus les enfants est celui du démoulage. Quelle émotion quand ils aperçoivent la première sculpture en alu ! Une patte de tortue, puis une autre, puis le corps…
C’est avec ardeur et frénésie qu’ils prennent les maillets pour continuer la casse. Chaque sculpture devient source d’étonnement.
Le plus beau, c’est de "découvrir nos sculptures".
Une fillette exprime la fierté et la joie de créer.
Une autre dit : "Ce que j’ai aimé, c’était de penser à quelque chose et que j’allais voir mes pensées".

 

Tout ce qui a été vécu chez Laurent est résumé dans cette citation. Aller au-delà de la matière, la transformer pour lui donner la forme de nos pensées, l’état de notre âme, la couleur et les formes de notre imagination. N’est-ce pas là le travail de tout artiste ?

 

 témoignages

sommaire Créations n° 121 début de l'article

aluminium, technique de la cire perdue, Laurent Inquimbert, sculpteur