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Comment construire son savoir personnel ?

Novembre 1991

 

Britt-Mari BARTH Docteur en Philosophie . Enseignant-Chercheur à l'Institut Supérieur de Pédagogie de Paris
NOVEMBRE 91
SALON DES APPRENTISSAGES INDIVIDUALISES ET PERSONNALISES I.D.E.M 44 PEDAGOGIE FREINET

 

 

Comment construire son savoir personnel ? Ou comment aider quelqu'un à construire son savoir ?
Qu'entendons-nous par savoir personnel ? Un savoir qu'on a compris, qu'on maîtrise, qui est lié à une action, qu'on sait utiliser ?
Ce n'est pas parce qu'un savoir est personnel qu'il est nécessairement correct. Le savoir personnel est souvent empirique, intuitif; on l'a construit avec des normes à soi. On a sa petite théorie personnelle, celle qu'on a élaborée au fil des rencontres avec la réalité.
Il s'agit de transformer ce savoir subjectif en savoir objectif, savoir dont la norme est partagée à un moment donné dans un groupe donné. Les savoirs scolaires constituent un bagage culturel à transmettre à un moment donné.
Deux choses importantes :
- Proposer des situations d'appren­tissage qui permettent de comprendre.
Aider les gens à comprendre ce qui se passe quand nous comprenons pour qu'ils puissent, après, apprendre de façon autonome.
Mon travail a commencé par l'analyse des fausses compréhensions de l'enfant. référence aux sciences de l'éducation (en particulier J.Bruner et L.S. Wygotsky).
La problematique propose:
Origine du questionnement: Effets des difficultés scolaires sur les enfants en échec (découragement, abandons, passivité, perte de confiance, perte de l'estime de soi). J'ai pensé qu'on pourrait toucher l'affectif par le cognitif.
Trois types d'erreurs ou de fausses conceptions reviennent régulièrement:
-   Confusion entre le mot et le sens: les enfants utilisent un symbole abstrait (parallélogramme, attribut du sujet...) sans savoir ce qu'ils mettent derrière. C'est comme si le mot était le sens. On peut avoir l'impression que les enseignants agissent parfois de même. Le mot égale le sens. Or, le mot n'est qu'un bruit, un code.
Confusion entre éléments pertinents et éléments non pertinents : (exemple de l'enfant qui répondait que « le rectangle, c'est bleu » parce qu'il avait été découpé dans du carton bleu). En fait, on ne sait ou diriger son regard, distinguer ce qui est important de ce qui ne l'est pas.
- Insuffisance dans le raisonnement: on apprend la définition, puis dans un contexte connu, «recracher» le bon mot mais ne plus savoir dans un autre contexte. On n'a pas procédé par conceptualisation mais par association d'idées et stimulus-réponse.
 
une illustration
Je voudrais illustrer cette situation typique par un exemple caractéristique parmi d'autres. Celui-ci est extrait d'un manuel de sciences physiques pour la classe de 6ème. Le contenu que l'élève doit apprendre est d'abord présenté:
« Sur cette photographie, nous observons des rochers, de l'eau, c'est à dire de la matière. Tout ce qui nous entoure, visible ou invisible, est de la matière. Nous voyons ici de la matière sous forme solide (rochers) et la matière sous forme liquide (eau). Les vagues se forment sous l'action du vent, qui est un déplacement de l'air. L'air est de la matière sous forme gazeuse ».
Un enseignement a donc été donné. Ensuite est présentée une photo d'un morceau de sucre, sous-titrée « insolite: le morceau de sucre », à laquelle s'ajoute la question suivante: « que pouvez-vous observer ? ».
Réponse de l'élève: « Le morceau de sucre est blanc, sa surface est rugueuse. Il est sucré. Il est dur mais on peut le casser. Il est rectangulaire».
La réponse est corrigée: « Le sucre est un exemple de matière sous forme solide ».
Le lendemain, à la même question, l'enfant a retenu la réponse « correcte ». Mais huit jours plus tard, quand une question analogue est posée à propos d'un galet (toujours dans le contexte de la notion « matière solide »), l'enfant persiste: « Le galet est gris. Il a la forme d'un œuf. Sa surface est lisse. On le trouve sur la plage. Cela fait penser aux vacances. On ne peut pas le manger ».
L'enfant cherche une bonne réponse, il pense que c'est cela qu'on attend de lui. Il fait des confusions entre le mot, le sens, les exemples. Il nomme pêle-mêle tout ce qu'il est capable d'observer, mais ce que l'on observe en général, c'est ce que l'on sait déjà. Il ne fait pas attention aux relations entre les choses. Comment savoir que la couleur bleue n'est pas importante pour un rectangle ? Est-ce qu'il y a une méthode de pensée pour faire la part des choses ? Personne n'a jamais expliqué cela aux enfants.
Pour l'enseignant, il convient de faire une articulation entre ce qu'il faut apprendre et comment il faut l'apprendre: lien étroit entre le parcours de la pensée et l'objet de la pensée. Le processus n'existe pas sans le contenu.
Pour beaucoup, le savoir est quelque chose qui est là, extérieur, qu'on donne à l'autre. Et si la connaissance était en relation étroite avec le processus qui la produit, qui l'élabore ? Le savoir ne peut être une accumulation de faits reçus de façon passive de l'extérieur, mais une structuration complexe élaborée de façon active de l'intérieur. Celui qui apprend, construit le sens en interaction avec les autres. C'est un système complexe qui évolue avec le temps. L'organisation des connaissances qu'on a déjà, va conditionner la façon dont on va percevoir, interpréter, comprendre, formaliser le savoir nouveau.
A l'école, comprendre veut dire interpréter la même norme. On voudrait bien que tout le monde ait comprit la même chose. Le rapprochement du savoir de l'expert et celui du novice pose un grave problème, celui de la rupture entre le savoir empirique qui est toujours utilisé et le savoir savant scientifique que l'on doit maîtriser.
Pour cela, il faut simplifier le savoir pour le rendre accessible. Ecouter quelqu'un qui sait ne suffit pas. Pour modifier le savoir intuitif, il faut guider le raisonnement.
 
Exemple d'acquisition d'un concept:l'impressionnisme.
synthese:
Quelles sont les conditions qui affectent le processus d'apprentissage ?
 
1 - Rendre le savoir transmissible:
Quelle transformation du savoir savant pour le rendre accessible ? C'est le travail du spécialiste: rendre le savoir transmissible. Cela pose le problème de la définition. L'étude des définitions données dans les dictionnaires, dans les manuels par les enseignants, montre bien qu'il y a des difficultés.
On peut prendre concept comme synonyme de savoir. Qu'est-ce qu'un concept ? (mise en situation à partir d'exemples: oiseau, climat, causalité, circuit électrique, objectif pédagogique, beauté, règle du p.p., révolution française, convention).
Il faut - une étiquette - des caractéristiques - des exemples.
Un concept est une pensée abstraite désignée par un mot. Quand il y a concept, on peut reproduire les exemples. Cette distinction entre le mot, les attributs et les exemples, n'est pas toujours faite. Souvent on donne un exemple et on croit que ça suffit.
Niveau de complexité: qu'est- ce qui est essentiel pour l'apprenant ? choix provisoire sur un savoir provisoire aussi.
- Niveau de validité: qu'est-ce que l'on veut faire avec le concept ? dans quel domaine ? quel transfert est souhaité ?
- Niveau d'abstraction: comment le concept se situe-t-il dans une hiérarchie par rapport à d'autres ? existence de réseaux conceptuels.
- Niveau d'interrelation: quelle relation entre les éléments ?
Deux avantages à ce modèle d'apprentissage: pour l'enseignant, il conduit à réfléchir sur les définitions, sur le savoir qui est à transmettre. Pour l 'élève qui sait ce qu'il a à faire, son comportement est alors différent. Il y a la une formation à l'autonomie.
 
2 - Engager dans une activité intellectuelle:
Le premier défi quand on arrive en classe, avec son concept bien défini, c'est de rendre l'apprenant intellectuellement disponible, de faire en sorte qu'il ait envie de s'engager dans une activité intellectuelle difficile et complexe. Il ne faut pas trop compter sur l'intérêt de l'élève. Construire son savoir à l'école n'est pas un acte spontané.
Le minimum, c'est que l'élève comprenne ce qu'il a à faire, qu'il ne passe pas son temps à se demander quelle stratégie mettre en œuvre et à quoi il faut aboutir. On peut appeler ça contrat pédagogique: on sait ce qu'on va faire pendant la leçon. Pour la motivation il est important de savoir ce que l'on va faire. Il est important aussi d'avoir droit à l'erreur, rien n'est idiot. Il faut cette liberté intellectuelle.
 
3 - Choisir la forme pour exprimer le savoir :
Importance du choix des premiers exemples. Le premier doit être assez proche de l'expérience pour prendre l'élève là où il est. Il faut des exemples nombreux et diversifiés en variant les modes de présentation.
 
4- Comment la procédure induit le processus:
Il faut le temps pour se représenter la tâche, pour confronter ses conceptions nouvelles, expliciter ce qu'il voit, explorer, rectifier, reformuler, consolider avec exemples et contre exemples. L'utilisation des contrastes aide à voir autrement : il s'agit d'une co-construction du savoir.
 
5 - Validation :
Elle est permanente, fréquente. C'est essentiellement une évaluation collective et formative.
 
6 - Rôle de la médiation et de la métacognition :
Ce modèle cognitif de médiation laisse à l'enseignant un rôle essentiel et spécifique. Il est médiateur entre l'apprenant et sa construction du savoir. C'est lui qui a la responsabilité de mettre l'élève en œuvre, mais c'est l'élève qui travaille et qui parvient à transformer ses modèles subjectifs, intuitifs, pour qu'un sens commun émerge. En même temps, il s'entraîne à exploiter les outils intellectuels qui existent, qu'il a depuis la naissance pour en prendre conscience et pour pouvoir s'en servir seul.
La métacognition, c'est revenir sur sa pensée pour acquérir une méthode. L'élève saura alors mieux percevoir, comparer, faire des analogies, des analyses, des inférences, inventer, vérifier.
En plus l'enfant prend confiance dans ses capacités intellectuelles par le plaisir qu'il a de réussir.
 
Bibliographie Britt Mari BARTH
"L'Apprentissage de l'abstraction" . Editions Retz . 1990.
"L'Apprentissage des concepts" . C.E.P.E.C . Lyon . 1981.
BRUNER
"Le développement de l'enfant, savoir-faire, savoir- dire" . PUF . Paris. 1983.
VYGOTSKY
"Langage et pensée». Editions sociales. Paris.