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Discours d'ouverture du 50° congrès de l'ICEM

Bonjour,
 
50ème congrès du mouvement Freinet : Nouveau rendez-vous, nouvelles rencontres.
Bienvenue à tous et d’emblée un grand merci à l’équipe des militants du Nord qui se sont mis en quatre pour nous accueillir dans les meilleures conditions dans une région promise à un avenir touristique radieux en raison du réchauffement climatique.
Le 1er congrès c’était en 1938 à Orléans. Le 28ème c’était à Lille en 1972. Le 41ème, c’était à Villeneuve d’Ascq en 1991…
50ème congrès ….
Impossible d’envisager une telle durée dans un ronron confortable en alignant les évidences et en se perdant dans une nostalgie stérile. Il n’est pas possible pour nous d’être des gardiens du temple et d’entretenir une nécrose qui sentirait une mort prochaine. Je citerai Paul LeBohec, grande figure du mouvement Freinet, qui me dit un jour : « Ce qui intéresse l’enfant ce n’est pas ce qu’il a fait mais ce qu’il va faire ». Et, comme le constatait Freinet au bout d’une longue expérience partagée : « l’enfant est de même nature que l’adulte ». Alors puisque l’enfant et l’adulte ne font qu’un, nous pouvons affirmer que ce qui va nous intéresser durant ce 50ème congrès c’est ce que nous allons faire aujourd’hui, demain … c’est comment faire pour rendre notre pédagogie plus active, plus coopérative, plus naturelle, plus créative … comment faire pour rendre les enfants un peu plus auteurs de leurs apprentissages, comment transmettre nos pratiques, comment mieux les diffuser, comment accueillir chaque enfant, chaque parent dans nos écoles pour que celles-ci ne soient pas un problème supplémentaire dans des vies quelques fois très abimées, comment résister aux différentes pressions qu’elles soient hiérarchiques, parentales, sociales, politiques, professionnelles qui voudraient normaliser le monde, comment recréer de nouveaux liens de solidarités, comment envisager la part d’engagement de chacun d’entre nous pour que notre Mouvement ne soit pas mis à mal par l’esprit du temps qui sépare les individus plus qu’il ne les rassemble.
Un congrès c’est une totalité, c’est une prétention à l’exhaustivité.
Ce 50ème congrès sera donc l’occasion de faire à nouveau le point pour tous ceux qui cheminent depuis un certain temps dans leurs pratiques en pédagogie Freinet.
Ce sera l’occasion de faire connaissance pour tous ceux, curieux, néophytes, qui souhaitent trouver des réponses, débuter en pédagogie Freinet, comprendre le sens des pratiques de ceux qui sont déjà en chemin.
Enfin, ce sera  l’occasion de se tenir chaud en ces temps où l’effet de serre politique refroidit plutôt qu’il ne réchauffe, le climat social et n’épargne personne parmi lesquels ceux d’entre nous qui ont pris la décision de se colleter ouvertement avec les représentants de ces politiques. J’ai une pensée particulière pour Philippe Wain qui subit en ce moment les assauts inconsidérés d’un inspecteur d’académie malgré, que dis-je, au mépris du soutien des élus et des parents d’élèves. Je précise que jeudi après midi en plénière se tiendra une table ronde sur le thème de la résistance pédagogique où viendront témoigner et débattre avec la salle quelques uns parmi nous qui ont subis ou subissent des pressions, des sanctions en raison d’une résistance active contre les nombreuses réformes de notre système éducatif, réformes qui répondent pour l’essentiel à des objectifs de rentabilité et qui conduisent à créer les conditions d’exclusion des plus faibles et à opposer un peu plus les individus entre eux. Pour mémoire il s’agit principalement de base élèves, les évaluations nationales et de l’aide personnalisée.
Faire de la pédagogie Freinet c’est déjà, et parfois sans le savoir, se trouver en résistance contre un système qui compte, qui classe, qui trie, qui oppose et qui exclut.
Mais ce qui est formidable aussi  avec la pédagogie Freinet, c’est qu’elle nous conduit à faire l’expérience du monde. C'est-à-dire qu’elle élargit notre champ de compréhension du monde bien au-delà du fonctionnement de notre classe ou de notre école. Elle transforme notre regard et par delà notre comportement. Elle active, elle stimule des désirs de liberté, d’égalité, de fraternité, de respect, mais aussi elle nous amène à ressentir avec plus d’acuité l’injustice, l’indignation, la révolte et nous conduit à résister à l’autorité et l’arbitraire.
Le monde est de plus en plus désenchanté. C’est pourquoi il nous faut enchanter nos actions : il faut dire, témoigner, partager le bonheur qu’il y a à faire de la pédagogie Freinet. Ici et maintenant.
Durant ces quatre jours vous entendrez dire, témoigner et partagerez le bonheur qu’il y a à faire de la pédagogie Freinet.
Et comme tout reste à faire, vous verrez également durant ces quatre jours « a work in progress » comme on dit en chti, c'est-à-dire un travail en chemin.
 
Je terminerai mon propos en citant Celestin Freinet : certains d’entre vous reconnaitront dans cet extrait une citation trop souvent tronquée. C’est un texte paru dans le premier numéro de « l’Educateur Prolétarien », ancêtre du « Nouvel Educateur » en 1936. C’est au moment de la guerre d’Espagne, et vous constaterez des paroles fortement liée à ce contexte où l’enjeu n’est ni plus ni moins que de vivre ou mourir pour la liberté. Nous n’en sommes pas là bien sur. Pas d’anachronisme. Cependant si le contexte aujourd’hui est bien différent, le fond du propos de Célestin Freinet est bien actuel. Je cite :
 
 
« Dans les conjonctures présentes, s’obstiner à faire de la pédagogie pure serait une erreur et un crime. La défense de nos techniques, en France comme en Espagne, se fait sur deux fronts simultanément : sur le front pédagogique et scolaire certes, où nous devons plus que jamais être hardis et créateur parce que l’immédiat avenir nous y oblige, sur le front politique et social pour la défense vigoureuse des libertés démocratiques et prolétariennes.
Mais il faut être sur les deux fronts à la fois. L’Espagne ouvrière et paysanne construit à l’intérieur pendant que se battent ses miliciens. Nous ne comprendrions pas que des camarades fassent de la pédagogie nouvelle sans se soucier des parties décisives qui se jouent à la porte de l’école ; mais nous ne comprenons pas davantage les éducateurs qui se passionnent, activement ou plus souvent passivement, hélas ! pour l’action militante, et restent dans leur classe de paisibles conservateurs, craignant la vie et l’élan, redoutant l’apparent désordre de la construction et de l’effort. Quiconque voit la nécessité de changer la face du monde doit se mettre immédiatement et directement à la besogne et chaque éducateur doit, dans sa classe, (j’ajouterai dans sa famille, dans son quartier, dans son village) rechercher et appliquer les techniques constructives et libératrices qui permettront aux adolescents de demain de continuer l’œuvre nécessaire pour laquelle nous sommes prêts aujourd’hui, nous aussi, à sacrifier notre activité et notre vie.
A la période actuelle devrait correspondre un grand renforcement de notre pédagogie. Cela sera, si, sans négliger nos autres obligations, nous savons développer notre propagande parmi la masse travailleuse et parmi les éducateurs (entendez « propagande » par « nos idées » car la pédagogie Freinet n’a rien de dogmatique et le mouvement qui la promeut n’a rien d’un parti politique). » (Célestin Freinet, l’éducateur prolétarien, n°1, octobre 1936) »
 
Je vous souhaite à tous un très beau congrès.
 
Christian Rousseau Président de l’ICEM Pédagogie Freinet
Villeneuve d’Ascq , le 23 aout 2011