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Les témoins du congrès, Michel Duckit GD 38

Témoignage sur le Congrès de l’ICEM
Lille 26 août 2011
 
 
Dans sa conférence, Philippe Meirieu a cité Jankelevitch : « Pour commencer il faut du courage ; ce courage s’acquiert au sein d’un groupe bienveillant. »
Je compte sur vous …
 
La 1ère chose qui a attiré mon regard en arrivant sur le Congrès, c’est cette affiche : ADHERER à l’ICEM, c’est RESISTER.
Sans doute personnellement très sensibilisé, j’ai alors pensé que je pouvais peut-être vivre le Congrès en chaussant les lunettes de l’espion déguisé en résistant pédagogique. De plus, il y a eu, au cours de ce Congrès, au moins 2 ateliers qui traitaient de l’étude du milieu avec les promenades à lunettes. Je pensais ainsi passer inaperçu.
 
Une question semble s’imposer à de nombreux congressistes : peut-on pratiquer la Pédagogie Freinet et ne pas résister aux réformes qui atteignent les valeurs qu’ils promeuvent à travers leurs pratiques ?
Dès les premiers discours d’ouverture, j’ai constaté que parler de la Pédagogie Freinet amenait inévitablement à aborder la politique. Même ceux qui s’en défendaient ! J’ai aussi entendu un élu affirmer que l’éducation est une des solutions à nos problèmes actuels.
Le 1er intervenant affirme qu’afficher ses convictions, c’est afficher ses résistances. Un peu plus tard, dans sa conférence, un philosophe, éminence grise d’un certain laboratoire clandestin, nous explique que « agein », ce n’est pas du tout pareil que « ducere » ; en d’autres termes : autoriser les enfants à devenir auteurs de leurs apprentissages, c’est très différent de les conduire aux apprentissages.
 
Ainsi donc, pratiquer la Pédagogie Freinet serait indissociable d’une forme de résistance ? Tiens, tiens. Je poursuis mon enquête.
 
Certains congressistes n’hésitent pas à porter des slogans subversifs : « travailler plus pour penser moins », « réfléchir, c’est déjà désobéir », « éduquer c’est émanciper ».
Et que dire de toutes ces affiches sur les murs, ces expos (comme ils disent), ces productions d’enfants. Ils appellent ça « la créativité ».
Ô BLED ! Où sont les belles rédactions d’autrefois ? Où sont les beaux dessins, tous les mêmes, que nous faisions à l’école, une fois par an ?
C’est ça qu’on leur apprend à l’école maintenant ?
Il est vrai qu’ils affirment que « résister, c’est créer » et même que « créer, c’est résister » !
 
Le soir, des comédiens du théâtre de l’Opprimé apprennent aux congressistes à lutter contre les oppressions des collègues ou des parents. Ils osent même ridiculiser les ouvrages d’Odile et Edouard BLED qui ont si bien appris à écrire à des millions de petits Français !
J’apprends d’ailleurs que le directeur de troupe est un ancien instituteur Freinet. Il n’y a pas de hasard …
 
Je discute innocemment, l’air de rien, autour d’un café. De nombreuses personnes semblent scandalisées par les pressions et sanctions que subissent quelques-uns de leurs complices, pardon quelques-uns de leurs camarades : un certain François L.M. et un certain Philippe W. Certainement de dangereux activistes …
D’aucuns n’hésitent pas à affirmer qu’être présent dans ce Congrès est déjà une forme de résistance ! Et même que, parmi les enseignants en résistance, on trouve un grand nombre de militants de l’ICEM.
 
Je suis donc à n’en pas douter dans un nid de terroristes. Je dois rester prudent. Au moins, ils sont faciles à identifier : ils portent tous un petit cartable gris et ont la mine hilare.
 
J’apprends que ce fameux laboratoire clandestin que j’ai déjà cité plus haut pourrait devenir en quelque sorte le cerveau qui fournirait des arguments aux militants. A surveiller …
 
Une journée est même consacrée au thème de la résistance pédagogique. Ils ont osé ! Des invités auxquels les congressistes semblent porter une grande estime sont arrivés. Toujours incognito, je me glisse parmi eux et assiste à une conférence d’un certain Philippe M. Décidément, ils s’appellent tous Philippe, ou alors c’est un nom de code.
C’est carrément un appel à la désobéissance !! Ce dangereux agitateur prétend faire de l’école le lieu où l’on éprouve le courage des commencements plutôt que le temple de la répétition mécanique.
Ô BLED, pardonne-leur car ils ne savent pas ce qu’ils font !
Ensuite, ce sont les activistes eux-mêmes qui prennent la parole : François, Philippe, Alain et les autres. C’est le sommet ! Ils leur donnent tout simplement des modes d’emploi pour résister ! Ils préparent leurs troupes en affirmant que le combat n’est pas terminé, que ce n’est pas encore la lutte finale.
 
Même des étrangers sont présents et actifs ! J’ai cru comprendre que 18 pays étaient représentés, de tous les continents. C’est un réseau international, planétaire !
J’ai failli éprouver de l’empathie pour un jeune étudiant chilien qui s’est exprimé avec beaucoup de détermination mais aussi d’émotion. Ils sont très forts …Heureusement, mon entraînement m’a permis de résister à … Mais, que dis-je ? Résister, moi ? !
 
Abasourdi, je sors et aperçois un couple de retraités. « Enfin des gens raisonnables, pensé-je. » Et bien figurez-vous qu’ils m’expliquent gaillardement que tout au long de l’histoire du mouvement Freinet, des militants de l’ICEM ont résisté mais que c’était surtout des résistances locales, contre une administration ou des parents d’élèves qui remettaient en cause la Pédagogie Freinet. Aujourd’hui, ce serait différent puisque ce sont les valeurs de la Pédagogie Freinet qui poussent les militants à la résistance.
Même les plus anciens de ce mouvement sont fiers de leur passé d’activiste ! A ce qu’on dit, le fondateur de ce réseau, Célestin F., aurait mené lui-même une action à main armée, en 1932 … Bel exemple.
 
J’en tire la conclusion qu’on peut difficilement ne pas résister quand on pratique la Pédagogie Freinet, mais que c’est aussi grâce à la Pédagogie Freinet qu’on peut résister car elle fournit les arguments et les ressources pour le faire.
 
Je pensais ma mission d’espion terminée lorsque j’aperçus une multitude de foulards rouges qui se déplaçaient en tous sens.
Des chiffons rouges ? Cela me dit quelque chose …
 
Une intuition soudaine me fait chausser les lunettes de l’entomologiste et je comprends alors que ce sont des petites fourmis rouges.
Vous les connaissez toutes : celles qui tiennent le bar, qui s’occupent des tickets repas, qui surveillent la salle de matériel, qui éditent le journal, qui préparent et rangent le matériel des salles d’atelier, qui nous disent bonjour à l’entrée, qui s’occupent de la technique dans les amphis, qui nous ont accueillis à notre arrivée, qui nous ont donné puis repris les clés des chambres. J’en oublie certainement et je les prie de m’excuser.
J’ai été véritablement épaté par le travail fourni par ces petites fourmis.
 Même le dernier soir, elles allaient et venaient en souriant, à droite, puis à gauche, puis encore à droite, à la recherche d’une salle pour profiter tranquillement des bouteilles qu’elles transportaient. Elles avaient toutes le sourire, même si elles traînaient un peu des pattes, fatiguées mais heureuses.
Et je suis certain qu’elles vont se retrouver, après notre départ, pour ranger et nettoyer cette fourmilière.
Je voudrais remercier sincèrement et chaleureusement toutes les fourmis qui ont œuvré depuis plus d’un an pour la réussite de ce Congrès.
 
Je terminerai en citant à nouveau Philippe MEIRIEU mais en le paraphrasant :
« Pour commencer à résister, il faut du courage qui s’acquiert dans un groupe bienveillant. »
Je fais le vœu que l’ICEM reste ce groupe bienveillant et que tous les acteurs de la Pédagogie Freinet, qu’ils soient personnes physiques ou bientôt morales (petit clin d’oeil …) constituent des foyers de résistance à la destruction programmée des valeurs qui nous rassemblent.
Je vous remercie de votre écoute.
Michel Duckit (gd 38)