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Les témoins du congrès, Francine Têtu, Secteur Pédagogie sociale

Méthode Naturelle, Méthode de Vie
 
Avant de vous confier ce qui m’a touchée et ce que j’ai retenu pendant les 4 jours qui viennent de s’écouler dans ce 50ème Congrès de l’ICEM, je voudrais commencer par me présenter rapidement.
En effet, je ne suis pas enseignante, et pourtant, je suis là parmi vous,  sur le point de vous dire ce que vos expériences, vos savoirs théoriques ont apporté et apportent encore à ma pratique de travailleur social. C’est effectivement ce que j’ai été pendant presque 40 années de ma vie à la CAF de Seine et Marne, et que je continue à être un an après mon départ à la retraite, dont je me rends d’ailleurs à peine compte, tellement elle est la suite de ce que j’ai toujours fait et aimé faire. Comme le disait Paul Le Bohec : « je n’ai jamais été à la retraite, car je n’ai jamais été en activité ». De quoi vous donner la « pêche » pour un bon moment. 
 
C’est par le cœur des contrats de ville devenus contrats de cohésion sociale, qui est la participation des habitants aux décisions qui les concernent, que je suis arrivée à la PF où l’expression de la vie et sa transformation constitue également le cœur du dispositif.
 
J’ai eu la grande chance de faire la connaissance de Paul, et de partager longuement avec lui. Il m’a fait découvrir la méthode naturelle dont je me suis rapidement rendue compte, grâce à son compagnonnage, qu’elle pouvait être transférable au secteur social : en effet, pratiquer la méthode naturelle sur le quartier de Surville, c’était offrir des langages à ceux qu’on n’entendait jamais et qui ont pourtant  tant de choses à la fois à expulser pour se libérer, mais aussi à nous apprendre pour nous transformer ensemble, dans la réciprocité.
Paul disait de la méthode naturelle, qu’elle était une méthode de vie. Il  est parti en m’ayant beaucoup donné, mais aussi en laissant un grand nombre de questions sans réponse s’agissant de la méthode naturelle.
 
Je me suis donc mise à fréquenter assidûment les stages Freinet pour en savoir plus. En effet, je pratiquais couramment la pédagogie de projet dans l’exercice de ma profession  d’agent de développement social. C’est également celle qui est enseignée dans les écoles de service social, donc pratiquée par un grand nombre des travailleurs sociaux.
Mais comment m’en dégager peu à peu ? Comment faire démarrer des moteurs, pour qu'ils tournent par eux-mêmes, pour eux-mêmes ?
 
2011, j’ai 61 ans, et encore tellement de choses à apprendre sur la méthode naturelle.
 
Il y a deux jours,  j’ai entendu Danièle Thorel dire sa satisfaction, pour ne pas dire sa joie de participer au laboratoire de recherche où elle est en train de développer un regard sur l’enfant qui lui permet d’élargir sa compréhension de ce que sont ses pratiques pédagogiques. « J’aurais aimé » a-t-elle dit « bénéficier de ces apports alors que j’étais encore dans ma classe ». Quant à Pierrick, je n’ai pas retenu ses mots, mais ils étaient tout aussi enthousiastes.
Moi aussi j’aimerais pouvoir développer le regard dont ils parlent l’un et l’autre. Tout simplement parce qu’éprouver du plaisir est une quête que je partage avec beaucoup d’autres.  Je suis heureuse de ce que je fais avec les habitants de Montereau-Surville, mais je crois qu’il  serait possible d’amplifier cette vibration si je pouvais affiner mon approche de la méthode naturelle.
 
Le thème de ce Congrès m’a je vous l’avoue fort alléchée : « L’enfant auteur ». Il y avait là de quoi nourrir ma recherche et je n’ai pas été déçue par les différents ateliers développés sur le thème, et je tiens à m’excuser auprès de ceux et celles que je ne pourrais pas citer. Je n’ai pas vu, loin de là, tout ce qui a pu se dire et se faire à ce propos.
J’ai écouté avec beaucoup d’attention la conférence de Nicolas GO, qui sait souvent mettre des mots sur ce que je ne comprends pas dans mes pratiques : dévolution radicale, qu’est-ce qu’être auteur, l’authenticité, s’autoriser…. Je ne veux ni ne peux les citer tous.
Une exception, j’ai  beaucoup aimé le mot auteur associé au verbe autoriser, mots de la même famille, dont je n’avais jamais pensé qu’ils pouvaient signifier la même chose. En effet, lorsque j’étais petite, le mot « autorisé » signifiait surtout ce qui ne l’était pas, ce qui était interdit. Et voilà que je découvre que ce mot peut s’employer différemment, dans le sens « élargir progressivement son périmètre de sécurité » comme aurait dit Paul,  pour conquérir des terres inconnues, et augmenter sa puissance d’être et de vivre.  Jubilatoire en vérité 
Toujours dans la même quête, je suis allée participer à l’atelier de Monique Quertier. Comment allez-vous me dire, une expérience en mathématiques peut-elle inspirer un travailleur social ? Et bien je vous le dis, Monique m’inspire beaucoup, non par le contenu de son enseignement qui restera définitivement mystérieux pour moi, mais par sa posture dans la relation qu’elle développe avec les enfants. Par ses questions, elle les engage aussi bien individuellement que collectivement,  à interroger leurs représentations en les exprimant, en les décortiquant, le groupe étant là pour donner les pistes de réflexion possibles. Elle se contente de jouer le rôle du berger qui fouette juste ce qu’il faut,  pour que les enfants restent en mouvement et avancent dans leurs apprentissages. Quelle confiance à la fois en elle et dans les enfants, dans leur capacité à apprendre la complexité du monde à travers les mathématiques. Elle dit aussi : « c’est quand on accepte de lâcher que ça commence à fonctionner » !!! Quelle leçon, merci Monique. Ta confiance inconditionnelle dans les capacités des enfants à apprendre par eux-mêmes force mon admiration. De là à en faire autant avec le public adulte, le pas me paraît tout à coup beaucoup plus facile; Enfants/adultes, ne sont-ils pas de la même nature ? Ce n’est pas de moi ça je crois…
 
En fait qu’est-ce qui est transférable de l’éducatif au social s’agissant de méthode naturelle ?
Je vous ai déjà parlé de la participation des habitants aux décisions qui les concernent : qu’est-ce qui y est préconisé ? Je ne vous en citerai que les principales caractéristiques : La parole des habitants, matière première de tout projet de développement, l’écoutede cette parole et sa transformation par le groupe, le travail de groupe et la recherche de solutions et de progrès collectif, la formation de personnes ressources, car tout projet de développement qui se respectent aboutit à l’émancipation des personnes qui y participent, y compris de l’animateur.
Vous voyez je pense quelles parallèles il est possible d’établir entre les caractéristiques de la PF et la participation des habitants aux décisions qui les concernent.
Dans le cadre du 23ème chantier de l’ICEM, nous appelons cela pédagogie sociale. Notre chantier animé par Laurent OTT, fonctionne depuis deux ans. Il rassemble tous les mois et demie à Paris, des professionnels du social de l’éducatif, du culturel, des habitants, des artistes… Il s’agit d’un groupe où nous venons nous ressourcer, échanger nos pratiques, nos expériences, réfléchir ensemble à des pistes de travail.
L’un de nos objectifs est la formation, dont l’une des expressions va se concrétiser à l’automne prochain par la parution de deux livres :
La Pédagogie sociale de Laurent OTT, qui reprend les bases de ce qu’est la pédagogie sociale, et Pratiques en Pédagogie sociale qui lui est pluriel, dans la mesure où il rassemble des récits d’expériences en pédagogie sociale de personnes de tous âges, origines et statuts.
Ces deux livres vont paraître aux éditions Chroniques Sociales.
 
Vous vous rendez compte que je ne suis pas encore très au point s’agissant d’y voir clair dans cette forêt de notions, pédagogie sociale, pédagogie de projet, développement social local, méthode naturelle, qui ont probablement à voir les unes avec les autres… Je ne vous ferai donc pas de grand discours autour de cela.  Ce qui importe, c’est que le problème soit bien posé pour que nous puissions nous mettre au travail.
Je crois néanmoins avoir vécu récemment une méthode naturelle de stage de poterie, lorsque 14 enfants et 18 adultes de Surville se sont rendus chez Anne-Marie Bourbonnais, potière à Saint Amand en Puisaye. Ce sont des habitants de Surville qui en ont eu l’idée, ce sont eux qui l’ont organisé, mais nous l’avons vécu ensemble, les tâches se répartissant naturellement entre les uns et les autres au fur et à mesure qu’elles se présentaient. La joie et la bonne humeur ne nous ont pas quitté un seul instant, c’est ce qui me fait dire entre autres que nous étions en méthode naturelle. De plus Anne-Marie nous a fait vivre des mises en situations de liberté notamment avec la barbotine dont certains d’entre vous ici ont fait l’expérience dans le cadre de ce Congrès.
 
En conclusion, j’aimerais revenir sur la notion d’auteur qui est intimement liée à la méthode naturelle et qui concerne à la fois le secteur éducatif et le secteur social.
Peut-on raisonnablement en effet, que l’on soit enseignant ou éducateur, avoir le projet de créer les conditions favorables pour que l’enfant devienne auteur et ne pas l’être soi-même ?
Être auteur concerne tout le monde, adultes enfants, à l’intérieur comme à l’extérieur de l’école. La question est donc : « Qu’est-ce qu'en tant qu'éducateur ou enseignant je donne à voir aux enfants de ce que je suis, pour qu’ils aient envie de devenir eux-mêmes des auteurs ? »
Tout le monde sait ici l’importance que peut avoir pour la formation des enfants, le regard qu’ils portent sur l’adulte.
 
Alors, allons-y, donnons leur envie !
 
Francine Tétu
Villeneuve d’Ascq le 26 août 2011