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Novembre 2004

 

CréAtions, n° 114- ArTissages
novembre/décembre 2004 (Editions PEMF)


 


Marinette Cueco et “ l’imagination matérielle ”
Pour une poétique de la matière, végétale ou minérale

 

Marinette partage à sa manière la passion des premiers explorateurs de la nature et des plantes, leur désir d’inventaire de la Création: “ Aujourd’hui et depuis quelques décennies déjà, je vais d’errances en arpentages, de cueillettes en découvertes, un flou vacant de l’œil qui voit sans voir comme on regarde un pré, alternant avec une recherche aiguë qui choisit, analyse et trie, en un va-et-vient infiniment répété.
Alors il faut nommer, pour établir l’intimité nécessaire au long compagnonnage, prendre sans posséder ni détruire, et donner forme avec respect. ”


Un travail de poète plus que de botaniste nous est décrit là, proche de celui que recherche Francis Ponge dans le parti pris des choses “ il faut une marée de concret, une nouvelle invasion de l’homme par les choses ” pour que s’inventent, dans “ l’inachèvement perpétuel ” du travail sur la matière verbale, des formes hors conventions qui ouvrent à l’imagination matérielle.
Dans le mythe d’Orphée rappelle Ponge, “ le poète serait celui qui suscite ou ressuscite les choses, les fait bouger, les met en marche. Et comment d’abord le fait-il ? En les considérant dans leur être et en les nommant. ”

Juncus Capitus, fragment
Jonc capité
Entrelacs 1991.

Parti pris des choses de la nature, des herbes et des pierres, non pas exigence volontaire comme chez Ponge, mais connaissance intime des terres d’enfance, champs, bois, jardins, où nourrir son mode d’expression d’être au monde : Marinette parle “d’abandon, d’immersion totale du corps dans le végétal”.
C’est sans doute cette intimité, cette familiarité avec le paysage, matière d’élection, qui font l’originalité, la singularité des créations de Marinette Cueco : sentiment d’appartenance, de complicité à son environnement, génèrent une œuvre délicate, subtile, des travaux que rythment les saisons, et qui s’intègrent au paysage plus qu’ils ne se l’approprient, un art du paysage non agressif.

 


 

Lunaria Biennis
monnaie du pape.

 

Herberie d’automne 1996/1997 Auvers sur Oise.

“ Les herbes décident pour moi ”

Les gestes, les modes d’assemblages qui donnent formes : tisser, tresser, entrelacer, nouer, tricoter, enchevêtrer... sont dictés par la familiarité de chaque plante, sa souplesse ou sa résistance, la couleur, la forme singulière, l’odeur, d’infinies variations que proposent ses inventaires sans cesse enrichis de découvertes nouvelles : “ à chaque plante correspond un geste, à chaque nouvelle plante correspond un autre vocabulaire plastique, un autre graphisme, à la fois des gestes et des plantes ”

 

 

 

 

Nommer avec attention chaque plante

Dans ces inventaires, aucun élément n’est écarté, pas de mauvaise herbe, ni de brindille insignifiante, les terres de Corrèze, aussi, sont accueillies avec leur palette de couleurs. A chaque élément sont associés son nom ordinaire et son nom latin, le lieu de la cueillette et la saison, sa description sommaire. Plaisir verbal de l’inventaire, incitation à la rêverie, mais aussi respect de la plante, chaque élément a sa personnalité propre : “Pas de hiérarchie : nommés, ce sont des êtres - que ce soient des animaux, des pierres, des plantes, des humains… dans les titres de chacune de mes œuvres, il doit y avoir d’abord le nom de la plante.”
Les herberies assemblent dans leurs carrés réguliers (0,41 x 0,41 m) herbes et terres, rapsodies de couleurs et d’odeurs, de graphismes divers.

Cladonia Stellaris ou lichen des rennes
Prélevé en petites touffes sur la lande à serpentine de la porcherie le 06 avril 2000.

Convolvulus Soldanella
Et Juncus Anceps tissés ensemble automne 1983
(0,41 X 0,41 m).

Jardin d’entrelacs fragment
sable de Fontainebleau
galets de marbre
juncus capitus Auvers sur Oise 1997.

 

Lier tous les règnes du vivant: installations et sculptures
Dans les jardins d’entrelacs des pierres recouvertes d’entrelacs végétaux sont disposés dans un pré ras. Ailleurs, ce sont des galets de marbre, dont quelques uns emmaillotés de joncs qui jonchent un lit de sable de Fontainebleau : “j’ai enserré les pierres de vêtements végétaux.”. Lier le végétal et le minéral: “ deux formes et rythmes de vie totalement en opposition ”, c’est tenir ensemble le provisoire et le durable, temps cosmique et temps humain.

Installation Auvers sur Oise 1997.


Les sculptures, sphères ou pelotes tressées, aux formes ovoïdes, cocons ou chrysalides évoquent quelque naissance en gestation : passage encore ici suggéré d’un règne à l’autre, métamorphoses possibles.
L’œuvre de Marinette Cueco nous donne à penser avec Ponge que “ l’on pourrait faire une révolution dans les sentiments de l’homme, rien qu’en s’appliquant aux choses, qui diraient aussitôt beaucoup plus que ce que les hommes ont accoutumé de leur faire signifier. ”.
Les prochains travaux annoncés, Herbailles, petits herbiers de circonstance (le premier : les sempervirens va paraître prochainement), écritures et entrelacs, Style, Glumes et poussières d’herbes, Pétales de consolation, Graines volantes, Les odorantes,… aiguisent notre curiosité, promettent plaisir et découverte, tant ce travail à l’œuvre a le pouvoir d’ouvrir notre regard sur le monde, de nous rendre notre capacité d’étonnement.

Simone Cixous

 

 

 

SOMMAIRE CREATIONS N° 114

 

 

Tissage
Artiste: Marinette Cueco