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Je tisse ce que je peins, je peins ce que je tisse

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Novembre 2004

 

CréAtions, n° 114- ArTissages - novembre/décembre 2004 (Editions PEMF)

Entretien de Michelle Bonnetain avec Nicole Bizieau

Quatre petites écoles rurales du nord de Roanne : Coutouvre, Jarnosse, Maizilly et Mars.

 

Je tisse ce que je peins, je peins ce que je tisse


Après avoir été professeur d’EPS pendant plusieurs années, Michelle Bonnetain se consacre actuellement à la peinture.
Elle relate ici son expérience personnelle et celle qu’elle a vécue comme intervenante dans des classes à PAC (Projet Artistique et Culturel).
 
 
NB - Parle-moi un peu de ton rapport au tissage
 

MB - La première fois que j’ai tissé, c’est quand j’étais petite, comme beaucoup d’enfants ; c’était en grande section de maternelle. Beaucoup plus tard, il y a quelques années, j’ai eu envie de recommencer… J’ai donc repris cette activité seule, en expérimentant beaucoup, de différentes façons ; j’observais les effets, j’essayais autrement ou je recommençais, continuais d’explorer dans le même sens quand ça me convenait. J’ai appris toute seule ce que je fais aujourd’hui : tisser mes peintures.
J’ai découvert un artiste, François Rouan, ami de Balthus, qui a tissé avec des toiles d’autres peintres comme « l’autoportrait » de Miro décliné de plusieurs manières avec des bandes tissées.
Il y a environ six ans que je me suis mise à tisser mes peintures, et, un jour, ma sœur m’a apporté un catalogue de François Rouan : « Il a déjà fait ce que tu fais » !

Je l’ignorais totalement. Ce fut d’abord un choc, me disant que ce que je voyais correspondait tout à fait à mon projet et mon approche actuelle. Et il le faisait tellement bien ! Après un instant de blocage, j’ai décidé que tant pis, ou tant mieux, j’allais continuer, quoi qu’il en soit, à ma façon ce que j’avais envie de réaliser.

 
NB - Si je comprends bien, c’est un besoin profond et forcément différent, puisqu’il s’agit de ton expression et non de la sienne. Il n’est pas question, à ce moment là, d’une technique vide de sens, comme tu le dis.

Mais alors, pourquoi as-tu privilégié le tissage comme moyen d’expression ?
 

MB - J’ai d’abord pratiqué le tissage sur métier pendant une quinzaine d’années. Je réalisais des tapisseries, des vêtements, des objets décoratifs. Je vivais près d’Aubusson, j’étais professeur et je conduisais souvent mes élèves voir les expos.

Vers 1995, une envie, comme une explosion m’est venue, d’explorer, de m’approprier le tissage comme moyen d’expression plastique.

 
 

 

 
 


 


 
NB - Quelles conditions génèrent ta créativité ?
 
MB - Pour créer, j’ai besoin de sérénité, de sécurité, d’espace, de calme et d’un environnement compréhensif.
Il faut des conditions favorables pour pouvoir se dépouiller, savoir se libérer. Rien n’est facile, parce que la création nécessite une grande honnêteté, une grande authenticité et une énergie constante.
Par exemple dans mes productions concernant les croix, j’ai réalisé beaucoup de maquettes avant de savoir ce que j’allais faire. L’an dernier, j’ai fait toute une série pour moi, il y avait toujours une porte noire ! Ca m’a apporté beaucoup sur le plan pictural. Rien n’est gratuit quand on se laisse aller à ses impulsions profondes et libératrices.
 
 
 
 

 

NB - Tu as accompagné plusieurs classes à projets pour découvrir le patrimoine textile. Quelle forme à prise ton implication dans ces classes artistiques ?
 

MB - Mon intervention auprès des enfants n’a été possible que parce que j’ai exploré un maximum de pistes possibles dans ce domaine. J’ai besoin d’être experte pour mieux communiquer aux enfants cet élan créatif. Pendant huit ans j’ai travaillé les polychromes, les monochromes, les fonds… Il y a eu bien sûr, beaucoup de ratés, beaucoup de tâtonnements, beaucoup d’expérimentations, beaucoup de démarches explorées et abandonnées.

Pour moi, la technique du tissage n’est qu’un moyen pour parvenir à des effets plastiques rendus possibles uniquement par ce biais. J’ai voulu partager avec les enfants cette approche plastique.
Lorsque j’ai travaillé avec des instituteurs, ils ont vu que c’était aussi une façon de traiter la surface à l’aide de couleurs et surtout d’inscrire le signe comme élément plastique. Mais la technique n’est qu’un moyen, elle sert à ma représentation du monde, à l’expression de ce que je suis, de ce que je ressens…

Pour certains il est difficile de sortir de la technique comme seul but de la production ; les techniques ne sont pas des effets plastiques au service de rien. Il s’agit d’en maîtriser les effets de couleur, de volume, de relief comme en peinture au service de ce que l’on veut représenter ou de ce que l’on veut exprimer, communiquer.

En général les enseignants et les enfants ont bien perçu le côté aléatoire du travail. Il est indispensable de laisser cette part de hasard dans la production, afin qu’elle puisse perturber le projet. C’est en utilisant ce qui pourrait être une erreur, ou l’imprévu, l’imprévisible que l’on parvient à une certaine originalité et qu’on aborde la création.
Nicolas de Staël disait que ses plus beaux tableaux étaient ceux dans lesquels il avait su intégrer les parts de hasard et d’inconnu qui s’invitaient.
Lorsque je travaille avec des enfants, j’essaie d’attirer leur attention sur l’accidentel qui va faire décoller le travail. Beaucoup de choses naissent de cet accidentel à condition qu’on l’utilise, qu’on s’en empare et se laisse porter par ce qu’il provoque en nous. Il s’agit de changer son regard sur ce que l’on fait malgré soi.

Il y a dans ce que je propose, tout un travail lié à l’imaginaire. Les différents enseignants se sont emparés de mes propositions de manières très diverses.

La sensibilité de l’enseignant lui-même est en jeu lorsqu’il accompagne ses élèves dans une activité artistique. Il est forcément impliqué.

Les enseignants les plus timides, réservés, avaient quelques craintes devant la spontanéité, les risques pris par les enfants à s’investir dans la création. Cependant, ils ont su rendre possible des créations pleines de richesses. D’autres, trop bousculés par leurs tâches institutionnelles n’ont pas accordé la liberté créatrice et les productions d’enfants s’en ressentent.

NB - Et qu’en est-il des productions ?

MB - Les six classes avec lesquelles j’ai travaillé ont abouti à des productions très différentes en fonction de la sensibilité du groupe, selon qu’il est autorisé à s’exprimer ou non. En fonction aussi de la perception que ces classes avaient de mon travail et de l’approche du thème qu’elles s’étaient données. Le thème était parfois limité et a enfermé le « génie créatif », le réduisant à une représentation trop figurative du sujet qui primait sur tout le reste, c’est à dire sur la créativité artistique fruit de la recherche et de l’expérience tâtonnée.

Le premier contact a porté sur l’approche des matériaux (rubans, lacets...) et leur exploration.
Le travail, qui a pris des orientations différentes selon la personnalité des classes, a permis de découvrir différentes approches : du signe à l’écriture ; la couleur ; Le montré/caché ; le cadre et le hors cadre ; le rapport entre fond et forme ; les « sujets », tels que les jardins ; la présentation ; les formats...

Une peinture, c’est une succession de superpositions de couleurs, de signes, de matériaux, mais pas seulement : c’est également, en permanence, un questionnement de l’artiste pour aboutir à des choix. En tissage, je retravaille par-dessus : que garder ? Que recouvrir ? Que mettre en valeur ?

 
A chaque coup de pinceau je me trouve devant un choix à faire, face à des milliers de possibilités. Selon la réponse, la production sera plus ou moins vraie, juste. Ca nécessite de penser, de regarder, de prendre le temps de regarder encore, de façon critique. Avec les enfants il en va de même.
Avec eux, j’ai eu envie de proposer des départs tels que « un citron et après ? » ; vous en faites ce que vous voulez. Là, on est sans cesse dans des choix par rapport à des intentions, à sa propre sensibilité…
Je propose d’autres entrées pour les sortir de la forme descriptive, leur représentation trop unique. Je leur ouvre de nouvelles portes.
Je leur propose par exemple d’entrer dans un thème par une proposition de ce type : « vous cherchez un choix de couleurs pour signifier l’Afrique ». Il s’agit de les amener à utiliser des formes non figuratives pour tenter d’aborder la réalité en sortant des clichés, des idées toute faites.
Un autre exemple : pour réaliser le masque, au départ on dispose de bandes à tisser. En tissant, certaines, trop longues, vont dépasser en bas hors cadre, ça ne fait rien, on laisse, on ajoute seulement des yeux pour permettre la lecture du concept…
Des coups de zoom sur la production en cours, des regards portés et exprimés font prendre de nouveaux chemins.
Pour la série des « jardins », j’ai proposé un travail sur petits formats. Les enfants émettaient des idées qui étaient tout de suite mises en œuvre pour voir l’effet produit. Ainsi on a obtenu une grande quantité de productions « témoins d’idées ». Des formats plus grands, ont été réalisés en réécriture à partir d’un petit.
Je pense que dans ce partenariat, j’ai apporté aux enfants et à leurs maîtres un nouveau regard sur la production artistique. Mais l’échange n’a pas été à sens unique : cela m’a permis, en dehors du travail et des relations sensibles, (hors du convenu) de mettre des mots, de préciser une idée, de clarifier certains aspects de mon travail personnel.
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