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Discours de Muriel Quoniam, présidente de l'Icem

Dans :  Région Grand Ouest › 

« Repenser l'école – Une école pour penser »

Discours prononcé à l’ouverture du salon de Nantes 2009
Texte écrit avec l’aide de Marguerite Bachy, Catherine Chabrun, Michel Colas, Michel Duckit et Sylvie Pralong

Repenser l’école…
Merci aux organisateurs de ce salon de nous offrir le temps de nous arrêter un peu pour penser, repenser
l’école… Merci, parce que face à l’avalanche de mesures et de déclarations qui visent à démanteler le
service public en général et le service d’éducation pour ce qui nous concerne, on finirait presque par
oublier l’essentiel : les enfants !

La stratégie actuelle du gouvernement est claire : elle consiste à dénigrer le travail des enseignants, lancer
des petites formules percutantes et méprisantes, sortir du chapeau des analyses discutables d’évaluations
internationales dans le but de préparer l’opinion à accepter des réformes profondes de l’école. Les
mesures mises en place actuellement ainsi que les discours démagogiques qui les accompagnent ne cachent
pas la logique exclusivement économique qu’elles veulent servir.

Quelle est la place de l’enfant dans les programmes rétrogrades qui nient toutes les recherches
pédagogiques des quarante dernières années ? Des programmes qui font la part belle à la transmission
frontale et aux exercices de systématisation, sous prétexte de recentrer sur les savoirs fondamentaux !
Mettre en place ces programmes, c’est réduire les activités d’expression, de création et d’expérimentation
dont on sait pourtant qu’elles sont fondamentales aux apprentissages.

Où est l’intérêt de l’enfant quand on réduit son temps de présence hebdomadaire d’école au lieu de
modifier la journée et la semaine scolaire ? C’est une mesure démagogique à l’adresse des adultes
(parents et enseignants) et des professionnels du tourisme et du loisir. C’est une mesure inégalitaire : la
recherche a prouvé que la réduction de ce temps d’apprentissages ne peut que nuire aux enfants en
difficultés : Hubert Montagner pourra en témoigner. Elle est aussi préjudiciable à tous, en particulier à ceux
qui ont besoin d'un peu plus de temps et qui seront mis en difficulté par ces deux heures d'apprentissage
en moins chaque semaine.

Où est l’intérêt de l’enfant lorsqu’on lui rajoute des heures de « soutien » et de « remise à niveau », s’il
rencontre des difficultés ? Ce système nie le droit de chacun d’apprendre à son rythme et dévalorise le
travail individualisé. Cela prive une partie des enfants de leur droit au repos, aux loisirs, à la vie de
famille.

Où est l’intérêt de l’enfant dans la suppression des RASED ? Au lieu d’ajouter un enseignant par école –
ce qui serait nécessaire – supprimer les RASED permet de gagner 8000 postes budgétaires. Même
imparfaite, cette structure permettait aux enfants qui en avaient besoin d’accéder à une aide spécialisée
sur temps scolaire. Leur suppression conduira à envoyer systématiquement les enfants en difficulté dans des
structures privées, en dehors du cadre scolaire, si les familles peuvent en supporter le coût et l'organisation.
Où est l’intérêt de l’enfant lorsque dès la maternelle, il se retrouve fiché dans Base Elèves ? Cela nie le
droit d’opposition des parents et c’est en contradiction avec la Convention Internationale des Droits de
l’Enfant.

Où est l’intérêt de l’enfant lorsque l’évaluation n’est plus destinée à diagnostiquer les réussites des élèves
mais les performances et sert à contrôler la bonne mise en oeuvre des programmes ? Surtout lorsque ces
évaluations sont clairement étalonnées pour repérer l’élite (je vous renvoie aux évaluations CM2 de janvier
où la totalité du programme était évaluée avec un système de correction manichéen (zéro ou un) où seuls
les meilleurs étaient repérés.

Rendre publics ces résultats permet de comparer les écoles et de les mettre en compétition. Nous sommes
dans une logique libérale totalement inégalitaire où les parents sont incités à inscrire leurs enfants en
fonction des résultats obtenus dans telle ou telle école. Que va devenir la liberté pédagogique des
enseignants ?

Où est l’intérêt de l’enfant dans le regroupement des écoles en EPEP ? Placer à leur tête un chef
d’établissement permet de mieux les contrôler. Cela permet aussi de fermer encore quelques classes et
Association agréée par les Ministères de l’Éducation Nationale et de la Jeunesse et des Sports
petites écoles, c’est limiter les relations de proximité entre la population et son école, c’est augmenter le
pouvoir des collectivités territoriales sur l’école, c'est limiter le pouvoir des professionnels de l'enseignement
qui jusqu’alors pouvaient faire le choix personnel des méthodes pédagogiques et des outils utilisés...
Où est l’intérêt de l’enfant dans l’évolution actuelle de l’école maternelle ? Refuser l’accueil des plus
jeunes au lieu de le faire évoluer, c’est ouvrir la porte aux structures privées pour ceux qui auront les
moyens de la financer. C’est limiter l’accès à l'école gratuite aux enfants issus de milieux dits défavorisés
alors que école maternelle française a fait la preuve de son importance dans la réduction des écarts
sociaux. Rapprocher l’école maternelle du fonctionnement de l’élémentaire, c’est faire entrer les enfants dès
le plus jeune âge dans un système normatif soumis à évaluations d’apprentissages qui sont imposés de plus
en plus précocement qui vont à l’encontre de son développement personnel, c’est le priver de son temps
d’enfance, et sa singularité. C’est le priver de points d’appuis indispensables pour sa réussite future.
Nous savons que toutes ces mesures ne réduiront pas l’échec scolaire parce qu’elles s’éloignent de plus
en plus de l’intérêt et les désirs de l’enfant. Tous les camarades qui ont eu à défendre une classe (aussi
bien pour une ouverture qu’une fermeture) ou à expliquer leur acte de désobéissance à l’administration
n’ont pas pu exposer leurs arguments pédagogiques : aujourd’hui, parler de pédagogie, prendre en
compte l’intérêt de l’enfant, de son désir d’apprendre, de son plaisir de vivre relève presque du tabou.
Aujourd’hui, des collègues sont sanctionnés parce qu’ils s’opposent avec conviction et courage à des
mesures allant à l’encontre de l’intérêt de l’enfant et de ses droits. Un comble, on leur retire une grande
partie de salaire : deux jours par semaine parce qu’ils prennent la classe entière au lieu d’en extraire un
petit groupe ou quatre jours parce qu’ils ont refusé de faire passer les évaluations CM2. « Travailler plus
pour ne rien gagner ! » quel slogan ! Nous leur apportons tout notre soutien et saluons avec vigueur leur
combat juste et courageux.

Dans ce contexte, repenser l’école est une véritable urgence… et nous ne voulons pas de cette école qui
nous est proposée, celle qui fabrique de bons petits exécutants et sélectionne les élites.

Parce que nous considérons l’enfant comme un être social,
Parce que nous considérons l’enfant comme une personne à part entière,
nous affirmons notre choix d’une pédagogie qui apporte les aides appropriées à ses apprentissages en ne
les isolant pas artificiellement de ses expériences,
Nous réaffirmons notre choix d’une éducation qui développe la capacité de l’enfant à être auteur et
acteur de ses apprentissages pour qu’il devienne un adulte auteur et acteur des nécessaires évolutions
sociales.

Je ne vais pas reprendre les idées forces de notre pédagogie présentées par Philip Lavis, le président du
groupe départemental tout à l’heure, mais j’insiste sur l’importance de la méthode naturelle qui prend en
compte l’enfant dans toute sa complexité. Une méthode qui ne sera jamais définitivement écrite, une
méthode qui évolue avec les enseignants, les enfants et le monde grâce en particulier aux échanges comme
ceux qui auront lieu dans cette rencontre, mais aussi tout au long de l’année dans les groupes de travail
coopératif au sein des départements et des secteurs de l’ICEM.

Pour que l'enfant autant que l'élève puisse penser et SE PENSER …
Pour que l’enfant puisse être acteur de sa vie
Pour que l’enfant puisse être auteur de ses apprentissages
Pour qu’il puisse se projeter dans une société qui plus que jamais a besoin de citoyens responsables, au
sens critique aiguisé et en alerte, merci encore aux organisateurs de nous inviter à repenser l’école
ensemble dans un autre objectif que celui fixé par nos dirigeants.

Je vais laisser le mot de la fin à Célestin Freinet :
"Ce n'est pas avec des hommes à genoux qu'on mettra une démocratie debout !"
Nous avons du pain sur la planche !
Avant de rendre la parole à Philip Lavis, je vous souhaite à toutes et tous, un très bon salon !

Muriel Quoniam,
Présidente de l’ICEM
Nantes le 25 mars 2009