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Décembre 1995
L'art : une porte ouverte sur soi et sur les autres
La Pédagogie Freinet a toujours été reconnue à travers ses productions artistiques. Longtemps marginalisée, elle semble aujourd'hui rejointe dans cet intérêt fondamental pour l'art, comme semblent l'indiquer les textes officiels. Mais, contrairement à ce qui est appliqué trop souvent, même si elles alimentent la connaissance indispensable, le référence aux normes et la modélisation ne sont pas les bases d'une démarche créatrice. Dans ce domaine comme dans les autres, c'est la méthode naturelle qui permet l'émergence de l'expression, la création, et fait de l'art une activité fondatrice.
"...L'enfant qui dessine, peint librement, accomplit un véritable travail dans lequel toutes ses facultés se trouvent engagées, et non seulement ses pouvoirs sensoriels, moteurs, imaginatifs, mais encore ses possibilités mentales et sensibles, son esprit et son coeur.../...
Que cet engagement dans une oeuvre qu'on a délibérément choisie et voulue soit le meilleur témoignage d'une prise en charge d'un jeune être par lui-même, qui pourrait en douter ? Non seulement il maîtrise alors ses émotions en les exprimant, et chemin faisant, se conquiert lui-même dans le sentiment de plénitude joyeuse que font naître ses réussites, non seulement il devient homme et responsable d'oeuvres à sa mesure, mais encore s'approprie-t-il en le recréant le monde environnant et en prend-il une conscience plus aiguë. Non seulement s'ouvre-t-il à lui-même, descend-il au plus profond de ses perceptions, de son émerveillement, de sa tendresse, de ses peines, de ses rêves, de ses découvertes, mais encore devient-il capable, les mains pleines et l'esprit libre, de se retourner vers les autres, d'entrer vers leur univers, de s'en enrichir par la communication et l'échange.../...
Ces gestes créateurs s'inscrivent au plus profond de l'être humain, le modèlent et le guident vers une compréhension de plus en plus ouverte de l'homme et du monde".
Madeleine Porquet
in Art Enfantin n°7/8, juin-septembre 1961
Madeleine Porquet a raconté la longue et passionnante aventure qu'elle a vécue comme institutrice, puis comme inspectrice des écoles maternelles, en travaillant avec Célestin et Elise Freinet, le Mouvement de l'Ecole Moderne et les éducatrices maternelles du Finistère.(1)
"On ne crée pas dans le chaos. On ne crée pas non plus en reprenant des stéréotypes. Créer une oeuvre, un objet de pensée capable de faire le lien entre les esprits, c'est toujours lutter à la fois contre l'entropie et contre la sclérose mentale. L'art travaille dans le cadre de règles, qui, même si elles sont particulières à un individu, sont intelligibles par tous. Il y produit des effets qui sont souvent surprenants pour l'artiste lui-même : une "langue" est parlée par des individus tous différents qui manifestent, dans leurs paroles, leurs différences à l'intérieur d'une communauté. Le propre du travail de l'art vise précisément à cela : reconnaître l'autre dans sa différence et vivre de cet échange avec autrui.../...
En somme, par-delà les techniques et les savoirs historiques, ce qui s'enseigne de l'art, est l'amour de l'art. L'art est une sorte d'activité où chacun se porte vers les autres pour ce qu'il est et accueille les autres pour ce qu'ils sont. Il n'accumule pas du savoir mais il nous rend, chacun, sensible à la singularité qui est la nôtre et par là, à la singularité des autres.../...
La pensée artistique - pensée de l'accueil des autres êtres et des choses - est une activité intemporelle. Elle est propre à tous les esprits humains. Elle nous met en communication avec nos contemporains et avec tous les hommes, à remonter jusqu'aux peintres de la préhistoire.
Marc Le Bot, Professeur à l'Université de Paris I. Critique d'art.(2)
(1) Un certain goût du bonheur - sur les pas de Freinet - Casterman Coll E3 Fevrier 1981
(2) Extrait de la préface de "Enseigner les arts plastiques". D. Lagoutte. Hachette Education. 1991
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