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Arts plastiques : Apprentissage de la liberté et part du maître

Dans :  Arts › Techniques pédagogiques › organisation de la classe › 
Juin 1997

Dans l'article du Nouvel Educateur n° 88 d'avril 1997, nous voulions mettre en valeur le fait que la situation de cours implique que, même en pédagogie Freinet, l’expression n’est jamais complètement libre. Car « Liberté » est un mot qui désigne une abstraction haute en civilisation.

Il faut d’abord souligner que les enfants sont soumis à des conditionnnements de la part de leur culture familiale ou de leur classe, individuels ou collectifs. Le maitre est lui-même un maillon du conditionnement : provoquant les moments dits de « créations », organisant les espaces de travail, proposant les matériels de productions, il pose obligatoirement ses « a-priori » conscients ou inconscients.
Dans ce deuxième volet de notre investigation, nous prenons deux exemples concrets ou la nécessité de l’apprentissage à plus de liberté implique l’intervention du maitre, la « part du maitre ».
Dans son projet pédagogique, Annie a fait le choix de deux préceptes qui forment la base de son travail :
1°/ Dans la classe coopérative, produire soi-même des formes et confronter ce qui a été produit avec la production des autres pour donner à l’enfant la possibilité de trouver par lui même des réponses et surtout pour qu’il découvre le « sens » de son travail. Il est bien entendu qu’en maternelle celui-ci est encore inconscient et c’est le groupe, par le dialogue et la discussion, qui va emmener la formulation. Et les enfants en sortiront différents.
2°/ Dans le but de devenir des « regardeurs », les enfants doivent être confrontés aux formes qui existent, qui ont déjà été inventées et ils doivent en inventer eux-mêmes.
Dans une classe de petits 2/3 ans et demi. De décembre à Février.
Ils ont beaucoup déchiré, déchiqueté, collé ; les ciseaux sont à leur disposition, ils les utilisent librement, maladroitement, sans projet. Mais à cet âge, on répète inlassablement le même geste sans anticipation, sans pourquoi. Ils sont normalement maladroits mais semblent cependant y trouver du plaisir. Le moment me parait propice à mettre en place un projet permettant que leur geste se précise, s’affine, devienne plus intentionnel ; qui ne soit cependant pas trop structuré pour que leurs idées y trouvent place et qu’ils aient part à celui-ci.
Au départ, l’objectif est simple : découper et coller pour présenter un travail fini, sans plus de précision puisqu’ils ne peuvent pas encore diriger leur geste. La consigne doit seulement les amener à dépasser facilement leurs compétences, à progresser. Sur la table, des ciseaux, des feuilles A4, des chutes de papier de toutes les couleurs et de différentes textures, sans toutefois être trop épais.
A l’observation des premiers travaux, le groupe remarque les morceaux éparpillés dans l’espace, quelques enfants ont superposé, incidemment sans doute. J’induis qu’on pourrait faire ensemble des « tas » de papiers : les créations collectives deviennent un jeu plein de rires, on colle, on entasse, on fait des montagnes de petits morceaux de toutes les couleurs. On travaille ensemble, en tenant compte les uns des autres et c’est important à cet âge.
Dans ce travail, l’enfant va prendre conscience qu’il a peu à peu pu agir avec une intention, qu’il a pu communiquer oralement, qu’il a été une partie indispensable dans une création collective parce que sa réalisation est venue se mêler et se superposer au travail de ses camarades, pour en être un complément et une partie.
Quelques jours plus tard, je remplace les feuilles A4 par des carrés de 10/10 et 15/15 : c’est la part que je m’impose et que j’impose pour provoquer une évolution.
Les collages se ressèrent, les enfants notent : « tu nous a mis des petits bouts ». Les créations prennent du caractère, les gestes se précisent.
-" j’ai collé dedans, mais j’ai fait un peu dépasser.
- j’ai fais des bouts pointus, ils sont très très fins".
A ce stade, je leur fais observer des découpages de créateurs : Chaissac, Matisse, Laugier...
Nous observons les formes, les couleurs, l’occupation de l’espace, la densité ou la simplicité.
Ces observations ainsi que le travail de leurs camarades fait, presque inconsciemment, évoluer les nouvelles créations. Ils essaient de fabriquer des morceaux plus longs, plus fins, ils utilisent les miettes, choisisent les couleurs, découpent des angles pour faire des triangles. Les plus grands s’essaient à des compositions.
Un jour un enfant apporte un collage uniquement en « Noir et Blanc ». Tous les autres admirent. Nous décidons alors d’en faire une série, pour ceux qui le souhaitent, mais tous vont s’y essayer. Les petits carrés noirs et blancs naissent à proffusion. En les observant, exposés sur le tableau, nous trouvons l’ensemble très beau et je propose alors de réaliser des tableaux collectifs.
Les enfants vont découvrir dans l’association de leurs réalisations que certains trouvent leur sens, leur valeur, par le contraste, l’opposition : (un carré occupé par des morceaux effilés, longs à coté d’un entassement régulier) et que d’autres sont en harmonie parce qu’ils se complètent et ensemble forment un tout. Dès le lendemain, nous commençons à disposer ce qu’ils font, puis je colle. Les réalisations obtenues provoquent l’admiration et le plaisir.
Ils ont beaucoup progressé dans la maîtrise de l’outil, de la perception de l’espace, dans le soin apporté au collage. Une meilleure perception de l’autre, de ce qu’il fait, du travail collectif, est née : parce qu’ils ont créés ensemble, parce que je les un peu aidés dans leur manière de voir.
Dans une section maternelle tous niveaux, fin du 1er trimestre.
L’action est déclanchée par une enfant de 5 ans qui est là depuis l’âge de 2 ans et demi, s’est approprié la classe, sa structure, son contenu et son fonctionnement.
Dans le planning de la journée, les enfants ont des plages réservées à des ateliers libres. Ils y vont à tour de rôle, en petits groupes. L’accès se fait par un tableau où l’on place sa carte individuelle dans une case correspondant à un atelier jusqu’à ce que celui-ci soit complet.
Au coin documentation -des étagères, des tables, un électrophone et des cassettes, une visionneuse à diapos individuelle : les BT Art, des revues d’art, la revue Créations, des albums, catalogues d’expos, des classeurs réalisés dans la classe avec les enfants depuis plusieurs années.
Sans qu’aucune consigne ne soit donnée, il arrive qu’un enfant fasse un travail « à la manière de », c’est alors l’occasion de parler de cette étape et de l’importance de la dépasser pour parvenir à une réalisation personnelle.
Ce jour-là, Aurélie apporte un dessin et la BT de P.Klee : « j’ai fais plein de traits et de couleurs, comme là ! » Elle montre un dessin de Klee à ses camarades. Nous regardons alors une autre revue consacrée à ce peintre. A dater de ce moment, sans que rien n’ait été demandé ou exprimé, je n’interviens pas encore, un grand nombre d’enfants s’investiront librement dans la réalisation de travaux au feutre ou au crayon, à la peinture, inspirés par ce que nous avons vu.
C’est là que je sens la nécessité de l’intervention : nous regardons les travaux, cherchant les ressemblances, les différences, l’harmonie. Nous discutons, j’emets alors un « tu as vraiment fait comme Klee alors qu’un autre a produit un travail très différent. J’explique l’importance de créer sa propre réalisation, de ne pas reproduire, et à l’appui de mes remarques, j’organise une séance diapos, posters, nous regardons des « créations », notant que les lignes, les espaces, les couleurs sont divers, variés : chaque créateur a fait une œuvre qui lui est propre, la sienne.
Aurélie et quelques enfants vont très vite se libérer du modèle. Pour d’autres, cela se fera plus lentement mais cette façon de travailler donne un sens nouveau à leurs créations : produire ce qui vient de soi.
C’est encore facile à leur âge, ils ne sont pas encore trop conditionnés et leurs actions peuvent encore être empreintes d’ingénuité. Il faut donc avoir soin de préserver cette liberté à travers leur évolution, leurs découvertes, dans leur confrontation avec le monde : copier, s’identifier n’est qu’une étape qu’il faut arriver à reconnaitre et à dépasser absolument.
 Les enfants ont peu à peu pris conscience que ce qu’ils réalisaient leur appartenaient par l’originalité, la « différence » que nous y remarquions. Le « à la manière de » s’est estompé , a disparu. Mais leur travail y a gagné, ils se sont enrichis dans leur possibilité de créer et de faire.
 
En conclusion
 
Ces exemples mettent en valeur le fait qu’en pédagogie Freinet, la « part du maître » ne se veut jamais arbitaire, elle ne se veut pas non plus inexistante : elle est au service de l’épanouissement de l’enfant et consiste en un dosage subtil de laisser-agir et d’intervention.
Il faut laisser agir l’enfant pour qu’il manifeste l’objet tout personnel de son rapport au monde sensible, il faut intervenir pour qu’il acquiert des compétences techniques et plastiques sans lesquelles l’expression de ce rapport trouverait vite ses limites ; il faut laisser agir pour qu’il puisse faire siennes ces techniques en se les appropriant ; il faut intervenir pour que l’enfant puisse dépasser l’imitation de modèles (conscients ou inconscients) ; il faut intervenir aussi pour ouvrir des champs d’expérimentations qu’il n’avait aucune chance de percevoir sans la suggestion du maître (et sans son accoutumance aux faits artistiques). Dans des prochains articles, ces thèmes prendront de nouvelles formes à travers d’autres expériences. Nous vous invitons à vous joindre à la réflexion en envoyant vos démarches, réflexions au secteur.
Secteur Art et Créations de l’I.C.E.M
H. NUNEZ
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