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Voyage aux sources de la pédagogie Freinet

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Octobre 2000

Une exposition d’oeuvres d’enfants réalisées dans les classes d’Émile et de Simone Sence, pionniers de la pédagogie Freinet

 

 

Voyage aux sources de

la pédagogie Freinet

 

«  Cette exposition, présentée durant le mois de mai 2000 à l’Université de Lille III, concernait un ensemble de documents stockés dans le grenier familial : ce sont des dessins et des écrits d’enfants de primaire, d’une petite école de village, en effet, mes parents avaient été instituteurs, en pédagogie freinet, dès le début de ce mouvement éducatif…

    Par cette exposition, ce que nous souhaitions montrer, c’est qu’il y a près de 50 ans, sans obligations et ni incitations ministérielles, des enseignants ont créé des conditions de vie à l’école où les enfants allaient devenir des hommes capables d’exprimer leurs émotions, leurs opinions… et que cela ne nuisait pas (motivation oblige !) à l’acquisition d’un niveau scolaire excellent !  »

Dominique Hautekèete - Sence, fille d’Émile et de Simone Sence,

Nina - Coralie Hautekèete, Guillaume Hubert.

 

Introduction

 

Une petite école de village pas tout à fait comme les autres : à l’École C. Freinet d’Estourmel, Nord.

 

     C’était dans une petite école de village, du Nord de la France (moins de 500 habitants, mais plus de 30 élèves par classe…) à cours multiples !

     Dès 1945, bien avant les directives ministérielles et les incitations à changer la relation de l’élève à l’apprentissage et à l’école, deux enseignants, Simone et Émile Sence, portés par l’enthousiasme de la pensée de Célestin Freinet, écrivaient un petit chapitre de l’histoire de l’éducation : l’école y est partie intégrante de la vie…, la vie est le champ d’expériences et d’apprentissages de l’école, et l’homme est central…, une perspective holistique.

Célestin Freinet était un grand inventeur, il y a 70 ans déjà…! Et depuis ? Les idées ont fait leur chemin… doucement… Il faudra encore beaucoup travailler, beaucoup convaincre (et les mouvements Freinet en France et à l’étranger s’y emploient !), pour que cette conception, pourtant tellement « naturelle…! », soit réellement intégrée et que l’éducateur la vive sans la contrainte de textes officiels.

     Il faut être optimiste. Dans le monde, actuellement, des dizaines de pays ont des « mouvements Freinet » très actifs, même quand leurs conditions culturelles et donc d’enseignement, sont très difficiles…

     Paradoxalement, (apparemment !), c’est en citant, non pas Célestin Freinet lui-même, mais Albert Jacquard, que je résume la finalité de cette pédagogie. Je lui emprunte donc sa conception de l’éducation… Il faut inciter chacun « à prendre conscience de la prodigieuse aventure qui se déroule en ce lieu magique qu’est l’école, les jeunes y acquièrent l’indispensable savoir qui leur permettra d’agir, mais surtout, ils y forment l’esprit critique qui leur permettra de choisir ». Alors, « chacun peut construire sa liberté », et encore : « le rôle du système éducatif n’est pas de préparer les jeunes à entrer dans la société, mais les préparer à construire une société nouvelle ».

      Cela, Célestin Freinet l’aurait approuvé avec enthousiasme, de même que tous ceux qui travaillaient avec lui, hier…, et ceux qui travaillent aujourd’hui… !

Simone et Emile Sence ont créé, dans cette petite école, les conditions qui ont permis que, pour des centaines d’enfants, cette aventure existe…

 

 

C’est quoi

la pédagogie Freinet ?

Petits ou grands les enfants se posent les mêmes problèmes, ont les mêmes préoccupations d’avenir, de vie… (pourrait-on dire existentielles ?)

 Quand on prend le temps de les écouter, ils osent le dire... et on les entend…

Dans cette école, entre 6 et 12 ans, ils pensent et écrivent : l’amour, la mort, le bonheur et l’espoir…, et, ils réfléchissent sur l’école, la leur et celles des autres.

 

Ces textes,

comment sont-ils nés ?

       « Créer en écriture…

écrire en liberté »…

…Le « texte libre »

doit être vraiment libre…

     Il faut écrire quand on a quelque chose à dire et qu’on en éprouve vraiment le besoin.

 

Dans la classe, les motivations à écrire sont le plus souvent :

- l’ambiance de classe : l’accueil du matin, le bonheur d’être écouté, le besoin de raconter ce que l’on ressent devant les grands évènements de la vie : la mort, la naissance, la guerre, la paix, l’amitié…

- partager « les petits bonheurs » : …voir la pluie tomber,… la première neige,… se sentir vivre, simplement…

- les discussions qui apportent les idées des autres que l’on confronte aux nôtres.

- les correspondants, de tout près en France ou de très loin dans le Monde…

- espérer que son texte soit choisi pour apparaître dans le journal de classe…

 

Donner envie d’écrire ?... Comment ?

C’est l’enseignant qui crée le climat de complicité et de confiance dans la classe…, il peut dire à l’enfant :

« n’écris pas seulement ce que tu vois…, mais aussi ce qui te fait réfléchir…, ce que tu ressens…, pourquoi tu aimes ce que tu écris…, ce que tu en penses…, ce que les autres ne voient pas et qui les rendrait heureux !…»

 

 

 

Texte « narratif » ou texte « réfléchi » ?

 

«  Dans la journée, il y a souvent deux lectures de textes, totalement différentes :

 - la lecture du « texte-libre » du matin, le plus souvent narratif… Ici on lit dans l’espoir d’être choisi, de paraître dans le journal collectif de la classe…

 - et le moment de lecture-confidences : souvent, en fin d’après-midi, on arrête le travail, tous, petits et grands, et les enfants lisent, se lancent la balle à la façon des conteurs. C’est une lecture gratuite, de textes plus intimes, plus secrets, plus personnels. Il suffit que les camarades apprécient, admirent et le disent… On est heureux d’avoir pu exprimer ses pensées profondes.

C’est toujours un moment de vie intense… un moment exceptionnel !

 

   Une de ces fins d’après-midi privilégiée, M.L. nous a lu, coup sur coup, ses deux derniers textes : La vie - La mort. Alors s’amorce une discussion et S. (10 ans) dit :

- « Une pensée, c’est court, mais quand on reste longtemps sur la même pensée, on peut en dire des choses ! La vie semble la même pour tout le monde…, mais, au fond… c’est différent pour chaque personne.

Nous, les enfants, on pense loin, mais on n’ose pas tout dire…, les grands vont se moquer de nous…»

- « Si tu n’oses pas tout dire, tu peux au moins tout écrire…, pour toi, si tu en as envie… »

 S., pensif,… - « C’est vrai… »

 

De ce jour est née une quantité étonnante de textes que les enfants appelaient… « textes réfléchis ».

 

     Ce ne fut pas un feu de paille, ils avaient compris la différence entre un simple " texte narratif " et leur propre réflexion sur un sujet grave qui les préoccupait en ce moment.

  Je tiens beaucoup à ces moments de communication sans concours, sans compétition… C’est un « moment-cadeau » pour tous… » (*)

 

     Pourquoi les enfants ne ressentiraient-ils pas le besoin et le droit d’écrire, de confier leurs pensées ?…

- poser et se poser des questions, même sans en avoir la réponse immédiate et réfléchir...

- être capable d’exprimer ses opinions.

- réfléchir sur des thèmes tels que : C’est çà aussi l’école - La vie, la mort - Le bonheur et les petits bonheurs - L’amour - L’espoir…

 - savoir dire ses émotions, n’en avoir pas honte, et souhaiter les partager…

 - être capable d’écouter…

 - savoir qu’on est capable d’inventer…

N’est-ce pas par là que l’enfant se construit et se crée en tissant des liens réciproques entre l’environnement, les hommes et lui-même ?

 

Pourquoi le cheminement des pensées de l’enfant à l’adulte n’intéresserait-il pas l’enseignant ?

 Est-ce un désintérêt ou un évitement devant les inévitables questions inattendues et dérangeantes que l’adulte ne souhaite pas se poser ? « Pourquoi faut-il mourir ? » ; « Comment ferons-nous le monde de demain ? » ; « Quel rôle y aurons-nous ? »

...Apprendre

à aimer inventer...

et l’éducation dans tout çà ?...

La pensée créative est exploratoire. Elle se donne le droit de relier des connaissances et des savoirs qu’il n’était pas prévu de rapprocher.

De là pourra naître l’idée originale…

     La création est un processus qui prend du temps. On collecte de façon consciente ou non-consciente des informations de tous ordres…, on laisse vagabonder les idées, sans sentiment d’urgence… et brusquement (parfois !), l’idée nouvelle s’impose en un éclair, quand on s’y attend le moins !

On essaie de la réaliser, et on est créateur !

 

     Les connaissances et les compétences sont indispensables, l’inventeur ne crée pas à partir de rien. Les matériaux, tout autant que les idées, sont essentiels. La démarche créatrice est la même quel que soit le domaine de création.

 

     L’éducation traditionnelle prépare les élèves à appliquer des démarches spécifiques pour résoudre des problèmes spécifiques, dans des domaines particuliers. Rien ne dit qu’ils inventeront une solution dans des domaines nouveaux. On apprend trop souvent qu’un problème n’a qu’une solution, et que l’erreur est condamnable, alors….on n’ose pas essayer.

     Pourtant, les idées et les solutions créatives ne peuvent naître que si l’on est capable d’envisager le fait que des réponses correctes, mais rares, peuvent exister et être valorisées. Il faut donc prendre le risque d’expérimenter et d’utiliser les non-réussites. Une éducation d’" esprit Freinet ", fait sienne cette pensée de Tagore :

"Si tu fermes la porte aux erreurs, alors, la vérité aussi restera dehors. "

 

     Seules les méthodes actives, par leurs modes d’apprentissages, favorisent cet état d’esprit, cette approche de la vie… On apprend à être créateur dans l’art, la musique, l’écriture, les mathématiques, les sciences…

 

L’enseignant et la création artistique

Le rôle de l’enseignant

 

     L’important, c’est de donner aux enfants confiance dans leur capacité d’inventer, de les amener à ressentir le plaisir de faire surgir des idées nouvelles... de leur donner de l’audace !

 

     - D’abord, créer une ambiance de classe favorable, attentive, chaleureuse, solidaire et aidante. C’est encourager les essais, valoriser les réussites, petites ou grandes, aider à persévérer, à s’améliorer, à continuer.

     C’est aussi apprendre aux enfants à avoir, entre eux, des échanges positifs, à être capables de réfléchir sur le travail de l’autre, à être respectueux des différences, à s’y intéresser et surtout à être capables de dire ce qu’ils en apprécient.

 

     - Ensuite, regarder ce que d’autres ont créé...

Comment ? Pour qui ? Pourquoi ?...

   Ici, il n’y a pas apprentissage de l’histoire de l’art au sens classique.

A l’école, ensemble, il arrive que l’on regarde des œuvres d’artistes reconnus. On discute leur liberté d’expression par rapport au réel, leur rejet du conformisme, leur singularité (tous différents, mais quelquefois proches, de par le choix de la même démarche), leur choix de recherche de l’originalité, tant dans les techniques que dans les idées,

et comment ils valorisent l’invention, sans laquelle on n’est pas créateur…

     Cette culture qui se construit est aussi une connaissance de l’interculturel :

 - dans le temps : préhistoire, Celtes, moyen âge, renaissance…

 - dans les lieux : art d’Afrique, d’Australie, de l’Arctique, de l’Asie…

     On pense et on échange des impressions, on discute sur ce qui se concevait auparavant, sur ce qui se conçoit maintenant, chez nous ou ailleurs.

     On se penche attentivement sur les idées de l’artiste : - Comment a-t-il fait ? - Qu’est-ce qui était important pour lui ? - Que voulait-il faire comprendre ?

- Comment se faire comprendre ?…       On réfléchit, on ne copie pas !

 

    - Enfin, organiser l’environnement...

 La diversité des matériaux est importante (peintures, craies, encres, argile, supports papiers divers, tissus...). Avoir à disposition tous ces matériaux n’entraîne pas l’éparpillement : un enfant (ou plusieurs), approfondit une technique, puis passe à autre chose quand l’intérêt de la recherche diminue, quand commencent à naître les automatismes et l’utilisation des «  trucs  ». Tout dépend de la motivation, de la réussite évaluée, des projets qu’elle fait naître… D’autres facteurs aussi interviennent, telles les saisons… l’envie de faire de la sculpture apparaît plutôt en été, quand le travail peut se faire en extérieur, tout comme le travail de la terre ou la soudure !

La disponibilité du matériel est essentielle… Perdre du temps en installation serait rebutant ou impossible, il y a tant à faire dans une journée de classe ! De plus " voir " les matériaux, même lorsqu’on n’est pas en train de les utiliser, est souvent déclencheur d’une " idée de génie " qui sera réalisée plus tard…

 

L’individuel et le collectif...

 

    La création de l’enfant est toujours née d’une démarche individuelle, inspirée et soutenue par l’ambiance environnante. Elle peut être en accord avec l’environnement, en opposition, ou encore indépendante et solitaire, mais toujours existe une originalité personnelle. Le style de l’enfant apparaît et évolue avec les années et les influences extérieures.

     Les commentaires des élèves entre eux, s’ils sont rares pendant le temps de travail, sont toujours positifs, encourageants et constructifs, ce qui est primordial !

     Il peut apparaître, dans une classe, à certaines périodes, un "chef de file ". Il naît de la reconnaissance sociale, de sa compétence dans le domaine, reconnue par les autres élèves et de l’approbation explicite ou tacite de l’enseignant qui l’avance comme référant ou simplement approuve l’admiration des autres élèves… Alors apparaîtra, pendant un temps, une certaine proximité entre les œuvres de certains enfants.… Mais les grands peintres connaissent çà… : l’ " effet d’école" !!! Cependant, le style de chaque enfant persiste, identifiable par tous… la signature est inutile !

     C’est la culture de l’enseignant qui, dans ses choix et ses approbations, va créer la culture de l’élève. Quand la culture de l’enseignant se modifie, la culture de l’élève évolue.

Si d’autres caractéristiques de l’expression de l’enfant sont valorisées, d’autres créations apparaissent… Dans la même école, à d’autres époques, les écrits comme les peintures étaient différents. Dans d’autres écoles, en France et à travers le monde, la diversité des expressions des enfants le confirme.

«  Dans les classes traditionnelles, on ne demande jamais à l’enfant :

    - d’écrire les résonances en lui de tel ou tel fait qui se passe dans le monde extérieur,

   - d’écrire s’il est triste ou gai,

   - d’écrire ce qu’il est en train de rêver, (ou alors on crie à l’invraisemblance ou au mensonge).

Jamais on ne lui parle de ses pensées personnelles et l’enfant finit par croire qu’en passant la porte, il doit taire ses soucis, ses peines, sa conception de vie.

 

Pourtant, les enfants ont leurs préoccupations personnelles qu’ils n’oublient pas quand ils passent le seuil de l’école. L’éducateur les ignore quand il se contente de distribuer les tâches sans jamais discuter d’autres sujets que la Gaule ou Charlemagne, la Bretagne ou l’Angleterre… » (*)

 

Les textes-poèmes que vous lisez ici sont des écrits un peu dérobés à l’intimité des enfants …ils vous les donnent…

Un jour, ils se les sont offerts dans une ambiance de confiance incomparable que l’on ne retrouve à aucun autre moment de classe…

Prenez-en soin…

Dominique Hautekèete - Sence

Maître de conférences, UFR de Psychologie, Univ Lille 3 - V. d’Ascq.


 

 

Quand l’ambiance d’un environnement scolaire permet à un enfant d’être créateur, il ne peut pas l’être uniquement dans un domaine… on ne peut pas dire : voilà, il est 9 heures , vous avez jusqu’à 10 heures pour inventer, c’est l’heure de créativité ! après…, chapitre 13, exercice 52. 

 

Il y a une cohérence dans la vie d’une classe…

On apprend à être créateur dans l’art, la musique, les sciences…

 

(*) S et E Sence—Extraits doc perso.

 

Pour un enfant, penser la vie, la mort, la guerre, la paix, le bonheur,…

non ! ce n’est pas possible,

c’est affaire d’adultes,…

voire de philosophes !…

Ce n’est pas imaginable que des enfants pensent à cela tout seuls…

…avoir un avis … et le dire,… non !

 

… à ton âge, on écoute et on obéit…

 … mange ta soupe…

   … tais-toi et rame… !

 

Mais si… c’est imaginable ! … et, " ce que des hommes ont imaginé un jour, d’autres hommes le réaliseront " (Jules Verne )… et ils le réalisent… !

 

Ils ont des âges différents, mais entre leurs créations, quelles différences ?… bien légères… du concret à l’abstrait…, ils ne se racontent pas sous la même forme, mais l’histoire est la même… Ils pensent,… et savent dire l’émotion !

 

…dans une éducation

d’ "esprit Freinet "…

à cet enfant, on dit…

" …pense, réfléchis, invente, et tu construis ta liberté… "

 

 

A l'usage des enfants,…

              quelques petits principes,

              qui tuent la créativité…!

  - réfléchir sur le sens de la vie, ce n’est pas de ton âge… !

   - tu n’as pas à juger les adultes…

   - tu ne comprends pas tout, tu es trop jeune…

   - tu comprendras plus tard,… tu n’as pas d’expérience…

   - les grands parlent d’abord, les petits se taisent et écoutent…

   - les adultes ont toujours raison, obéis…

   - seuls les adultes peuvent juger les adultes… (et il y a des règles à respecter !)

 

 

L’essentiel reste à faire...

 

 

L’ expérience d'Emile, de Simone Sence n'est pas séparable de Célestin et d'Elise Freinet, dont ils étaient amis ! leur vie de classe s'est enrichie de leur manière d'être avec les enfants ! Et c'est ainsi qu'ils ont marqué l'histoire pédagogique de ce département et même de ce pays par les rencontres qu'ils ont suscitées et les congrès qu'ils ont animés ! Elle ; exubérante et passionnée, lui, attentif et ingénieux ! C'est la conjugaison de l'expérience humaine et pédagogique de ces deux êtres qui rend compte du trésor intellectuel et esthétique que des centaines d'enfants ont peu à peu construit dans leurs classes.

Des enfants qui, d'abord, ont réussi leur scolarité, en dépit de pronostics parfois très défavorables des experts de l'orientation scolaire ; en effet, des parents de villages éloignés venaient, en dernier recours, confier leur enfant à ce couple d'instituteurs, dont on avait entendu parler ; et l'enfant, quasiment muet et illettré, un jour, se découvrait modeleur d'argile et exprimait alors autrement ce que, jusqu'alors, l'école ne lui avait pas permis d'écrire scolairement !

Et finalement, scolairement, il apprenait de nouveau à réussir !

Des enfants - celui dont je viens de parler et d'autres - qui, alors, se sont mis à écrire et, par voie de conséquence à comprendre la langue et les langages, outils de vie et non principes scolastiques qu'il est nécessaire d'apprendre !

Des enfants, à qui il n'a pas été nécessaire de faire de longues leçons rébarbatives de morale du devoir, parce qu'en groupe ils ont compris que, pour vivre ensemble, il fallait qu'ils s'organisent et qu'ils inventent des contrats et des règles ! C'est de pareilles convictions qu'est né l'esprit coopératif à l'école, à Estourmel comme ailleurs !

Des enfants qui, dès qu'ils se sont sentis écoutés et compris dans ce qui constitue l'essentiel de leur vie ; ont libéré leurs énergies pour grandir et pour apprendre ! Car, ce qui est premier dans l'être vivant, c'est non pas l'inactivité, la paresse et l'ennui, mais la volonté de grandir ! La différenciation en éducation et instruction est première alors qu'elle est souvent pensée comme remédiation !

                                                                          

Ce sont ces convictions qui leur ont permis de rencontrer l'Institut Coopératif de l'Ecole moderne, construit par Freinet ; l'ICEM, c'est en effet d'abord la prise en compte de ces intuitions pédagogiques, que l'on retrouve ensuite dans sa charte : l'éducation est épanouissement et élévation et non accumulation de connaissances, dressage ou mise en condition ; l'école est centrée sur l'enfant.

Les démarches de l'Ecole Freinet - ou plutôt des maîtres de l'Ecole Freinet, car chaque maître est initiateur de sa démarche -, procèdent de cet état d'esprit : pas de système préétabli de progression ou d'apprentissage dans tel ou tel domaine disciplinaire mais une mise en situation pour être l'acteur d'un travail puis, avec l'aide d'un maître toujours attentif et intensément présent, un tâtonnement expérimental incessant !

 

Aujourd'hui, l'institution « Ecole » a appris à parler le même langage que Freinet et elle tente même, difficilement il est vrai, de l'instrumenter : la pédagogie de projet, la différenciation, le traitement de l'erreur comme élément de l'apprentissage, la nécessité de moments d'autonomie et de recherche personnelle, le maître comme élément ressource sont ainsi parmi d'autres, autant d'éléments que les textes officiels recommandent à leurs enseignants !

L'empirisme de Célestin Freinet et de tous les maîtres, qui, avec lui et comme lui, ont voulu faire confiance à la vie, a donc triomphé, théoriquement, de la scolastique !

Les recherches pédagogiques et des sciences humaines confirment donc les intuitions des pionniers.

Mais, vous qui avez envie de donner l'essentiel de votre énergie à la pédagogie, sachez que vous n'arrivez pas trop tard !

L'essentiel reste à faire !

La généralisation n'est pas qu'un processus mécanique car les enfants ne sont pas des machines ; mécaniser Freinet serait dénaturer Freinet. Le pédagogue peut être très instruit ; il lui restera toujours à être disponible et ouvert à l'enfant, c'est-à-dire à ce qui malgré lui, n'est déjà plus lui.

 

Albert Richez, directeur de l’IUFM d’Arras