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Congrès Strasbourg - film débat "Les Lip, l'imagination au pouvoir"

Dans :  Principes pédagogiques › 

« Les Lip, l’imagination au pouvoir »
Notes sur le film de Christian Rouaud par Raphaël Doridant

 
 
Le site Internet du film (liplefilm.com) contient des compléments intéressants, en particulier sur Lip avant 1973, l’époque Neuschwander et la fermeture de l’usine, l’aventure des coopératives Lip. Merci à Michel Jeanningros de me l’avoir signalé et d’avoir animé en homme debout le débat qui a suivi la projection du film le 21 août 2009.
 
 
Citations du film et notes de visionnage
 
Piaget : « Pas facile de freiner le travail. La cadence des mains, des gestes, les OS l’avaient dans la peau. » D’où la décision d’arrêter le travail 10 minutes ou un quart d’heure par heure pour pouvoir réfléchir à la situation.
 
Raguenès : « La CFDT donnait des informations si bonnes qu’il n’y avait pas de place pour les travailleurs de base. » D’où la naissance du comité d’action (non syndiqués et femmes dont la CFDT avait du mal à accepter les avis, selon Burgy).
 
Rôle des dessins dans le début de la lutte.
 
Serviette soustraite aux administrateurs provisoires avec une feuille sur laquelle était écrit : « 480 à dégager » (le mot est modifié dans les souvenirs des acteurs : larguer, élaguer)
« On n’était pas encore à une époque où on larguait les hommes. »
Les administrateurs provisoires sont alors séquestrés.
 
Le respect scrupuleux de l’outil de travail par les ouvriers contraste avec la brutalité des charges des CRS qui cassent les portes.
 
L’idée de cacher les montres a été difficile à accepter. « Il a fallu vider les Tu t’rends pas compte ! … A deux heures du matin, c’était fait et plus personne ne disait T’es fou !» (Piaget)
La question ensuite était de savoir si l’assemblée générale allait approuver cet acte le lendemain matin. « Si elle refuse, eh ben on rapportera les montres. » (Piaget) A l’AG, approbation massive de la dissimulation des montres, par applaudissements.
 
Mais les salaires sont coupés, et à partir de ce moment-là, chacun est repris par ses soucis d’argent personnels et la lutte s’effiloche. Comment faire alors pour garder cette unité dans la lutte (15 juin) ? C’est un journaliste de Politique-Hebdo que Raguenès trouve chez lui un soir en rentrant qui pousse ce dernier à exprimer ce qui lui trotte dans la tête depuis quelques jours : remettre en route la production. Raguenès va trouver Piaget, selon qui l’idée était dans l’air. « Qu’est-ce qu’une idée ? Elle flotte dans l’air jusqu’à ce qu’elle s’incarne dans une personne. » (Raguenès)
Le problème pour le comité d’action et la CFDT, c’est qu’il fallait rallier la CGT. Il fallait que l’idée de la reprise de la production vienne d’elle. « Alors on s’est dit qu’on allait susciter une discussion avec la CGT pour savoir ce qu’on pouvait faire maintenant et qu’il y aurait bien un cégétiste pour proposer de reprendre la production. C’est ce qui s’est passé. » (Piaget)
 
Tous nettoyaient les ateliers car il n’y avait plus de femmes de ménage.
 
A propos de la vente des montres : « On s’est dit : jamais ils ne nous laisseront faire. » (Fatima ?)
 
Les problèmes ont commencé quand les fédéraux sont arrivés de Paris (Jeanningros). Les permanents ont débarqué. La confédération CGT n’était pas d’accord avec la vente des montres. La déléguée CGT de Lip qui approuve la vente et garde l’unité avec la CFDT et le comité d’action est tancée par sa hiérarchie.
Piaget : «  La fédération CFDT était mal à l’aise, mais la fédération CGT était complètement décontenancée. Qui est-ce qui commande ? Ils n’arrivaient pas à comprendre qu’il y avait des centres autonomes (les commissions), mais travaillant selon une flèche directrice décidée à l’assemblée générale. »
 
Des journalistes logés dans le même hôtel que les policiers de la brigade anti-gang photographient les cartes accrochées au mur et les transmettent aux Lip.
 
Le conflit a fait que la femme de Burgy l’a quitté et ne voulait plus entendre parler de lui.
 
Jeanningros : « On a cherché à ce que chacun prenne une responsabilité et se mette en marche. »
 
Fatima : « La vie collective s’est petit à petit organisée en quelque chose d’agréable. »
 
Piaget, à propos de la prise de parole dans les assemblées : «  Quand on dit une connerie, tout le monde rigole et puis ça ne va pas plus loin. Et puis quand on fait une proposition qui est retenue, alors là… »
 
Piaget : «  Il fallait gérer le grand courant d’air : ouvrir l’usine sur l’extérieur, accueillir toutes les bonnes volontés. On avait 90 % de chances d’avoir des gens qui viennent nous aider. » Piaget menace la CGT de faire souder les portes de l’usine ouvertes.
 
Il y avait les assemblées générales, à laquelle assistaient parfois des centaines de visiteurs, dans un très grand respect, le restaurant, les séances de cinéma…
A ceux qui venaient donner un coup de main, on disait : « Voilà la liste des commissions, tu t’inscris… »
Burgy : « C’était un peu gênant… On venait voir les Lip. »
Importance cruciale de l’apport extérieur pour faire connaître la lutte, par la diffusion de cassettes des assemblées générales par exemple. Publication d’un journal, avec l’aide de personnes extérieures qui s’y connaissaient.
 
Burgy : « Jamais on n’aurait pensé que ça allait faire un tel cirque dans le pays. »
 
Mme Piaget : « La vie de famille est déroutée… le papa abandonne la famille. »
Piaget : « J’ai pas été bien, je le reconnais. »
Comment accommoder vie militante et vie familiale ?
Les tartines que Vittoz faisait chaque matin avant de partir à ses quatre enfants. Le petit mot qu’il laissait sur la table.
 
Burgy  : « Progressivement, on s’est aperçu que les femmes avaient une vision à elles, surtout dans les moments difficiles. Elles nous ont permis de grandir. »
Création d’un groupe de femmes.
Fatima : «  La question des femmes, ça a été la révolution dans la révolution. »
 
Transformation des individus (Jeanningros). « Ça m’a changé sur tous les plans… ça nous a enrichi… il y a des gens qui se sont révélés, qui ont été transformés… on se voyait métamorphosés… »
 
Burgy partisan de la hiérarchisation de la paye, Raguenès partisan du salaire égal pour tous.
Pour finir, la décision est prise de hiérarchiser la paye, à cause des crédits souscrits pour l’appartement, la maison, la voiture, à cause des enfants à nourrir… Si la paye égale avait été décidée, c’était 150 à 200 personnes qui partaient. Or, depuis le début, l’objectif était de rester unis.
 
Piaget : « Les questions qu’on nous posait tout le temps, c’était : comment faites-vous pour mettre autant de monde dans le coup ? comment faites-vous pour vous entendre ? »
 
Piaget : «  Si les délégués sont des mandataires qui représentent les autres, la lutte reste à ce niveau. »
 
Colère de Piaget contre la commission « déplacements ». On l’écoute poliment, et puis on continue comme avant. Piaget vexé rentre chez lui. Le lendemain, il décide de ne pas retourner à l’usine. On lui téléphone pour qu’il vienne.
Piaget : « Ça marchait trop bien… La réussite, c’est de ne plus avoir besoin de leaders, ou tout au moins, leur voix ne compte que pour un. »
Raguenès : « Piaget est celui qui, de loin, a traduit l’âme des Lip… Piaget était un grand leader qui n’a pas succombé aux sirènes du pouvoir. »
 
Début août 1973 : le plan Giraud, concocté au ministère de l’industrie
Giraud annonce aux Lip qu’il va recevoir les syndicats les uns après les autres. Piaget l’interrompt. Tête de Giraud…
Giraud propose des plans qui tous prévoit de licencier une partie du personnel (entre 150 et 200). Refus des Lip.
 
L’usine est occupée par les CRS.
Piaget : « L’usine est là où sont les travailleurs. C’est pas des murs, l’usine, c’est des travailleurs ! On va la reconstruire, l’usine. »
Raguenès : « Notre usine est devenue tout Besançon, répartie sur quatre ou cinq sites. »
Raguenès : C’est possible de surréaliser les murs d’une usine. »
 
Piaget : « Les affrontements avec les CRS ont constitué un redoutable problème. le pouvoir disaient que c’était des voyous, mais c’était des Lip et des gens de Besançon. Il y a eu des gens en prison. Ça a mobilisé beaucoup d’énergie. »
 
L’objectif était de chercher un patron qui ne licencie personne, pas d’autogérer l’usine.
 
Piaget : « Ça faisait penser à une autre société. »
 
Le plan Giraud prévoit 159 licenciements. Malgré tout, la CGT y est favorable. Un vote a lieu à bulletin secret. Le 12 octobre 1973, à une large majorité, les Lip repoussent le plan. La CGT reste solidaire de la lutte, tout en répétant que c’est une erreur de refuser.
Raguenès : « Accepter les licenciements, c’était le contraire de ce que nous cherchions depuis le début : garder la communauté unie. »
 
Le Premier ministre Pierre Messmer : « Lip, c’est fini ! C’est fini ! »
Il faut punir les Lip.
En 1973, le chômage n’était pas le problème social qu’il est aujourd’hui. Il y avait 400 000 chômeurs de courte durée.
 
Fatima : « On n’a pas su concilier l’individu et le collectif…. Quelle place pour les aspirations personnelles ? »
 
Claude Neuschwander reprend l’usine. Selon les accords de Dôle, tous les Lip doivent être réembauchés petit à petit. Les Lip restitue le trésor de guerre (montres, deux millions de francs).
Piaget : « Il faut bousculer Neuschwander sans le faire tomber. »
En janvier 1975, tous les Lip (830) ont été réembauchés.
 
Un choix politique est fait par les libéraux, autour de Giscard, de casser le symbole Lip, car premier choc pétrolier en 1974 et Chirac (premier ministre) et François Ceyrac craignent que les entreprises devant fermer ne deviennent autant de petits Lip.
Chaban-Delmas est battu par Giscard à l’élection présidentielle de mai 1974.
Burgy : « Il fallait que les Lip paient ce qu’ils avaient fait. »
Les commandes des entreprises publiques et les fonds publics sont retirés à l’entreprise qui est étouffée financièrement.
 
Neuschwander : « Jusqu’à Lip, c’est un capitalisme certes dur, mais dans lequel l’entreprise est au cœur de l’économie. Après Lip, c’est un capitalisme dans lequel la finance a remplacé l’entreprise. »
Neuschwander a dirigé Lip deux ans et deux mois.
 
Après le limogeage de Neuschwander, relance de la production par le biais de coopératives ouvrières. « Mais ceci est une autre histoire… »