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L'outil en pédagogie freinet, article du Nouvel Éducateur n° 107

 

Après la rencontre du chantier Outils au congrès de l'ICEM, août 1998

 

L'outil en pédagogie Freinet

 

Quelle est la place de l'outil en pédagogie Freinet ? et plus précisément quel est son rapport avec le processus du tâtonnement expérimental, processus qui fonde les méthodes naturelles dans notre théorisation de l'apprentissage ? A l'heure où la demande d'individualisation des apprentissages se fait de plus en plus pressante, Edmond et Janou Lèmery* nous rappellent la pertinence des outils conçus dans les classes Freinet en relation avec le chantier Outils de I'ICEM et publiés par les PEMF.

 

 

En guise d'introduction au débat

 

Célestin Freinet, par son pragmatisme, son matérialisme pédagogique, a toujours cherché et introduit des outils dans la classe afin de libérer l'enfant des contraintes et de la tutelle adulte en le rendant plus autonome: l'imprimerie, les fichiers (le fichier scolaire coopératif), les BT ensuite, les bandes enseignantes inspirées des premières machines à enseigner qui le préoccupaient beaucoup, préludes aux technologies nouvelles actuelles.

 

Ici et maintenant, notre objectif consiste à analyser et débattre de la place de l'outil en pédagogie Freinet et plus précisément de son rapport avec le processus du tâtonnement expérimental, processus qui fonde les méthodes naturelles dans notre théorisation de l'apprentissage.

 

La multiplicité des outils créés et la diversité des pratiques entre guidance et liberté nous incitent aujourd'hui à faire le point.

 

Les caractéristiques de la pédagogie Freinet, qui en font son originalité, sont souvent présentées en concepts distincts, non reliés, sans jeter des ponts entre eux !

 

  • expression libre - recherche libre - créations,

  • méthodes naturelles,

  • tâtonnement expérimental,

  • travail individualisé,

  • coopérative, conseil, etc.

 

Souvent aussi, la pédagogie Freinet est perçue comme une complexité cumulative, alors qu'elle est une complexité plutôt systémique, c'est-à-dire interactive.

 

C'est pourquoi on ne peut plus, aujourd'hui, séparer le spontané, la créativité, l'expression libre..., et l'usage des « outils » comme des voies d'apprentissage différentes.

 

Nous allons ainsi tenter de clarifier le pourquoi et le comment de l'outil en suivant une démarche, comme dans nos classes, qui va de la globalité aux éléments caractéristiques de cette pédagogie, simplement et brièvement, en trois points.

 

D'un point de vue général d'abord. l'outil a toujours existé en pédagogie Freinet. C'est dans une nécessaire interactivité entre deux voies d'apprentissage : voie heuristique* et voie didactique* qu'il se situe, qu'il se définit, donc qu'apparaît sa vraie nature qui le distingue des « outils commerciaux ».

 

* Heuristique : (définition en pédagogie d'après Le Robert) la méthode heuristique consiste à faire découvrir à l'élève ce que l'on veut lui enseigner.

* Didactique : qui vise à instruire par l'apport d'un savoir organisé.

 

Ensuite, nous examinerons comment l'outil s'insère dans le processus général de conceptualisation plus naturelle, par tâtonnement expérimental.

Enfin, d'une manière plus pointue, nous envisagerons les positions possibles de l'outil, selon sa forme, dans les quatre phases du processus de base qu'est l'expérience tâtonnée, pour comprendre qu'il n'entrave pas celle-ci, ni ne l'exclut.

 

 

Pourquoi et comment s'insère l'outil

dans les processus d'apprentissage ?

 

Si, comme l'a théorisé Franck Smith (1), il existe pour les êtres humains trois modes d'apprentissage :

 

  • par l'action ou par l'expérience (l'expérience tâtonnée et le tâtonnement expérimental),

  • par observation ou par démonstration (l'imitation, la perméabilité à l'expérience des autres),

  • par le langage: (se faire dire) l'oral, l'écrit, la schématisation... (la communication),

 

nous allons voir fonctionner ces trois modes dans la systémique « freinétienne », dans les trois aspects cités ci-dessus.

 

En effet, en cherchant toujours, sur le terrain de la classe, à mettre au point des méthodes naturelles d'apprentissage par des techniques et des outils, C. Freinet, de manière intuitive, pragmatique et tous les camarades du mouvement (ICEM), ont finalement favorisé ces divers modes tout en renforçant particulièrement le premier.

 

Un mode d'apprentissage personnalisé par l'interactivité permanente entre deux voies

 

Amener l'apprenant, dans un projet personnel ou collectif, à sécréter du savoir, à produire du sens et à avoir recours à du savoir, nécessite la mise en place d'un mode d'apprentissage interactif entre la voie heuristique et la voie didactique.

 

Un bref rappel : le schéma n° 1 permet de saisir le fonctionnement de cette interactivité. On y reconnaît la voie heuristique représentée par les itinéraires en ligne brisée.

 

Ces chemins de la découverte sont ceux de la liberté, donc de l'expression libre, de la recherche libre, de la création : ils correspondent aux intérêts, aux curiosités, au plaisir, aux besoins personnels, aux motivations internes profondes des individus. Ils leur permettent de « fabriquer du sens », car, en effet, la définition d'une notion a posteriori reposera sur un vécu, une expérience sensible qui aura laissé des traces, ou bien elle se dégagera de plusieurs expériences différentes, démarche vers l'abstraction.

 

La voie didactique est représentée par la voie centrale rectiligne.

 

C'est le chemin balisé par l'enseignant qui apporte, organise, soit directement par une intervention, soit indirectement par un outil approprié (fichier, BT, logiciel, CDROM ... ), les éléments d'un savoir, d'un savoir-faire qui s'insère à un moment sensible, favorable, allant de la simple information à l'automatisation par une guidance variable.

 

Cette interactivité est donc variable avec chaque individu, comme on peut l'observer dans les exemples suivants d'itinéraires différents, en grande section de maternelle, lors d'activités de géométrie à l'aide du fichier « transformations ». [Schéma 2et schéma 3, utilisés pour analyse dans un mémoire (2)]

 

On peut distinguer la voie didactique au centre où sont organisées les fiches provocatrices d'activité et la voie heuristique de chaque côté.

 

Cette voie didactique n'est donc pas exclue des démarches d'apprentissage. Au contraire, elle est perfectionnée, affinée, puisqu'elle est présente :

 

  • soit au moment sensible, donc de plus grande perméabilité au cours de l'action de l'individu ;

  • soit au moment d'un besoin, comme recours, durant ces recherches créatives ;

  • soit encore comme incitation, comme provocation à l'activité.

 

Insertion de l'outil dans le processus général de conceptualisation par tâtonnement expérimental

 

Si l'on conçoit la construction des concepts (des savoirs) comme des combinaisons successives, des associations, voire des compositions puis des classifications d'expériences tâtonnées multiples et diverses qui s'étalent dans le temps, selon le processus général du tâtonnement expérimental, on peut considérer l'insertion des outils, à divers niveaux de cette conceptualisation, comme le moyen de faciliter, motiver, étayer, enrichir, finalement accélérer le processus.

 

« [...] Cela ne signifie certes pas que toute acquisition sera le fruit exclusif d'un tâtonnement expérimental personnel. A un certain stade, l'individu s'approprie, par imitation, par observation ou par lecture, l'expérience des autres, l'expérience présente et passée des générations. Le tâtonnement expérimental en est diversifié et accéléré, sans perdre pour cela ses vertus pour ainsi dire organiques [...] »

C. Freinet (3)

 

Schéma n° 4

 

Ici la ligne brisée représente le parcours en direction d'une « loi » ou concept (règle, définition ...), plus ou moins long et diversifié, au cours duquel s'associent les expériences tâtonnées représentées par les segments différemment orientés. Si ce parcours est infléchi par la critique des faits, des personnes, des exemples des autres, il s'y exerce aussi l'action des outils divers.

 

Ainsi, ce peut être l'apport d'informations (BT, magazines, livres divers...), ce peut être aussi des recours-barrières nécessaires ou critiques (contre-exemples) qui vont modifier certaines expériences conduisant à des impasses, des erreurs ou bien les renforcer, les enrichir par des ajouts dans la même direction conceptuelle, comme le montrent les schémas 5 puis 6 et 7.

 

Les outils introduits : fiches-guides établies avant, en réserve, comme les fichiers édités par PEMF, ou élaborées par le maître spontanément, sur le champ, déclenchent alors de nouvelles expériences tâtonnées enrichissantes, correctives ou répétitives (ET en pointillé dans le schéma 4).

 

C'est une sorte de « maillon » qui s'imbrique à la chaîne personnelle en construction, renforçant, complétant ou modifiant la structure cognitive.

 

Schéma n° 5

 

On peut aussi considérer cette construction du savoir comme une arborescence : « l'arbre conceptuel ». On y observe la multiplicité et la diversité des situations à divers niveaux qui sont autant « d'exemples » (4) illustrant le concept en construction ; multiplicité et diversité qui peuvent être créées par les apports d'outils de sensibilisation ou provocateurs.

 

Les entrées dans un même champ conceptuel peuvent donc être multipliées à l'aide d'un fichier comme celui intitulé « Atelier de géométrie de transformation » (fiches éditées par PEMF + fiches personnelles qu'on peut ajouter).

 

Schéma n°6 et schéma n°7

 

Les diagrammes en couronnes (schémas 6 et 7) révèlent de la part des enfants de maternelle (GS) des choix différents, dans un ordre différent, dans un ensemble de situations ou d'activités apportées par ce fichier, qui se fondent sur les sensibilités, les vécus différents de chacun et leurs canaux privilégiés pour saisir ces données. De plus, le code-couleurs (vert, orangé, rouge) permet une évaluation des réussites et des échecs. [Extraits du même mémoire (2)]

 

Ainsi, les outils multipliant les exemples, par des situations diverses parfois très différentes, favorisent, développent et enrichissent le stock en mémoire épisodique et par conséquent facilitent la construction des concepts en mémoire sémantique. Ils aident à la transformation du savoir individuel privé en le faisant évoluer vers un savoir public, acquisition plus naturelle de la connaissance universelle.

 

Insertion de l'outil dans le processus de base : l'expérience tâtonnée.

Positions et rôle de l'outil par rapport aux quatre phases du processus.

 

Si, en pédagogie Freinet, l'outil n'est pas premier (5) puisque priorité est donnée au spontané, à l'intérêt, à l'événement, au questionnement, à l'action, à l'expérience personnelle libre, il peut cependant intervenir comme étayage dans le processus de base qu'est l'expérience tâtonnée, au cours de ses différentes phases et même provoquer cette expérience puis être abandonné éventuellement, laissant ensuite toute liberté au déroulement de celle-ci.

 

Un rappel nécessaire

A la demande de quelques-uns, il parut nécessaire de rappeler que l'expérience tâtonnée - processus de base du tâtonnement expérimental - comme on l'a vu dans le schéma précédent no 4, se décompose en quatre phases, toujours présentes dans toute activité, y compris purement mentale, et caractéristiques de l'espèce humaine, donc naturelles, comme l'a analysé F. Smith (1) (se reporter aux schémas 8 et 4).

 

Schéma n° 8

Ce schéma fait apparaître une phase d'hypothèse(s) face à une situation, suivie de la phase d'action de vérification de celle-ci ou d'essais. Mais ces deux phases ne sont pas toujours aussi distinctes et, quelquefois, c'est au cours de la phase d'action, enclenchée d'abord, que naissent des hypothèses. Puis, le résultat de l'action (« action » étant pris au sens large, c'est-à-dire y compris l'action en pensée et la pensée elle-même) ou feed-back (la réponse) permet à l'individu d'évaluer (échec ou réussite) la validité de l'hypothèse émise et, par conséquent, d'agir à nouveau dans une quatrième phase, la phase d'intégration ou de rejet :

 

  • soit en intégrant cette hypothèse comme une connaissance, si elle est confirmée ;

  • soit en rejetant l'hypothèse non validée, infirmée, (abandon).

 

Le processus peut s'arrêter là ou se poursuivre dans les deux cas :

 

  • soit en conservant sa structure cognitive (ou connaissance établie) ;

  • soit en la modifiant (niveau supérieur à la connaissance déjà établie) ;

  • soit en modifiant l'hypothèse non validée et il y a, alors, retour à la phase d'essai ou vérification.

 

Enfin, selon les circonstances, les besoins, les nécessités, cette quatrième phase peut se prolonger plus ou moins par une période de répétitions, de réinvestissements, de transferts de ce savoir ainsi construit.

 

On le voit, il s'agit bien d'un processus cybernétique.

 

L'outil n'exclut pas le tâtonnement expérimental...

 

Quel que soit le type d'expérience personnelle menée par l'apprenant :

 

  • expérience spontanée, totalement libre,

  • expérience incitée (déclenchée par l'envie, par une situation vécue, par l'imitation ...),

  • expérience provoquée, par une situation-problème apportée, avec suggestions ou questions,

  • expérience guidée... à guidance variable,

  • guidance large : quelques étapes suggérées en accompagnement, étayage,

  • guidance stricte : programmation détaillée de recherche, d'activité ou d'entraînement autocorrectif,

 

il y a toujours une part plus ou moins grande, plus ou moins forte de tâtonnement personnel, comme l'exprime Olivier Reboul, à propos de la méthode Freinet, considérée, par lui, comme méthode globale d'apprentissage (6): « [...] L'intérêt de la méthode globale est donc de motiver fortement l'apprentissage en permettant à l'élève d'en trouver lui-même l'enjeu. Mais global ne signifie pas laisser-aller ou débraillé. Et l'opposition entre l'analytique et le global, n'est pas celle entre la contrainte et le hasard, mais entre une méthode mécanique et une méthode qui s'appuie davantage sur la liberté.

 

Par là même, la méthode globale comporte une marge de tâtonnements. Ce qui nous amène à réviser l'opposition par trop simpliste entre l'apprentissage par essais et erreurs et l'apprentissage méthodique.

 

D'abord il n'existe guère d'apprentissage par essais et erreurs à l'état pur... inversement, il n'existe pas d'apprentissage purement méthodique qui permettrait d'exclure toute erreur et tout risque. La meilleure méthode ne peut éliminer les tâtonnements... »

 

On peut donc considérer que les quatre phases de l'expérience tâtonnée, quel qu'en soit le degré de liberté, peuvent être, selon les circonstances et les individus, soutenues, étayées par des outils adéquats.

 

L’outil pour répondre aux besoins de l'expérience tâtonnée, mais de manière facultative.

 

En recensant les divers types d'outils édités par PEMF ou élaborés directement dans la classe d'après leur fonction principale, nous pouvons constater, aujourd'hui, que leur variété répond assez bien aux besoins correspondant à chaque phase de cette expérience tâtonnée.

 

Donnons-en quelques exemples (voir schéma 8).

 

Tout d'abord, au niveau de la première phase, nombreux sont les outils générateurs d'hypothèses. Leur fonction principale est de déclencher des envies de faire, des idées d'action (physique ou mentale), des recherches, par exemple :

 

  • l'album de sensibilisation en géométrie des transformations, usage décrit par Cathy Castier dans le Nouvel Éducateur n°107.

  • les magazines : J Magazine, BT...

  • une fiche élaborée en classe...

 

Au niveau de la seconde phase, citons quelques exemples d'outils d'accompagnement ou d'aide à la recherche, à l'action entreprise, comme écrire un texte libre, une lettre à des correspondants, actes authentiques nécessitant des recours :

 

  • dictionnaires, cahiers d'opérations, répertoires et certains fichiers orthographiques...

  • les magazines documentaires apportant des informations mises au niveau de l'enfant : BT, BTJ, BT2, les suppléments BT mais aussi les albums documentaires ; Périscope, Carnet de voyages...

  • les fichiers d'arts plastiques, de géométrie, certains fichiers de lecture...

 

Mais on trouve aussi de nombreux outils qui engagent l'enfant dans l'activité directement : faire, construire .., qui apportent une guidance plus importante pour réussir, parfois une programmation véritable par séquences comme l'atelier de mathématique B - C ou recherche mathématique, le fichier de géométrie, le fichier cuisine, le fichier sciences et techniques...

 

Rappelons que ces fichiers, même programmés, ne suppriment pas le tâtonnement ; simplement, ils conduisent l'enfant, en l'informant davantage.

 

La réalisation obtenue, critique des faits et des personnes, le contrôle des résultats par la technique de l'autocorrection (consultation des réponses et des solutions), s'exercent particulièrement et de manière très personnalisée, dans la troisième phase : feedback/évaluation. On conçoit bien, déjà, dans cette phase, le rôle de tous les outils autocorrectifs.

 

Mais, c'est dans la quatrième phase d'intégration et de prolongement surtout que ces outils jouent à plein leur rôle, au service d'un entraînement personnalisé, par la mise en application plus systématique du savoir qui a été élaboré. Citons les divers fichiers d'orthographe, de numération, de problèmes... Précisons que ces fichiers, ménageant à la fois l'aspect répétitif nécessaire pour fixation et l'aspect progressif permettant, par les niveaux différents d'exercices, des choix par l'enfant, répondent parfaitement aux différences individuelles par la réalisation d'itinéraires personnels.

 

Si, au début, les outils se sont développés d'abord :

 

  • pour répondre à l'entraînement répétitif de la phase 4 par l'autocorrection,

  • pour apporter une information adaptée à l'enfant par le Fichier scolaire coopératif puis les BT, BT-Son, etc.,

  • pour instaurer la gestion personnalisée du travail (plans de travail),

  • pour développer la communication (magnétophone ...),

 

depuis, comme nous venons de le voir, la panoplie s'est diversifiée et orientée vers les autres phases afin de développer chez l'enfant l'activité créatrice (expression libre, recherche ...) et l'autonomie de pensée (favorisant, en particulier, l'émission et la vérification de ses propres hypothèses pour fonder la construction du savoir).

 

Une typologie des outils

 

Après avoir tenté de démontrer que l'emploi, judicieux de quelques types d'outils, illustrés par des exemples, n'exclut, ni n'entrave pas les processus d'apprentissage personnalisé par tâtonnement expérimental, le débat s'est ouvert sur la présentation détaillée de quelques-uns comme :

 

  • 5 000 mots, le répertoire orthographique ;

  • l'album de sensibilisation de l'atelier de géométrie des transformations ;

  • le fichier Arts plastiques ;

  • les fichiers d'apprentissage de la lecture Lire 1 puis Lire 2 pour combattre l'illettrisme adulte.

 

Nous ne pouvons transcrire tout ce débat ici mais nous avons pensé résumer brièvement quelques réflexions utiles concernant l'usage des outils et une typologie faisant apparaître l'étendue, les fonctions et donc le rôle important de cette panoplie en pédagogie Freinet.

 

Une typologie tout en nuances

 

On peut tenter d'établir une typologie des outils utilisés dans les classes pratiquant plus ou moins la pédagogie Freinet en distinguant, comme nous l'avons analysé à propos de l'expérience tâtonnée et du tâtonnement expérimental, les fonctions principales de ceux-ci, c'est-à-dire les objectifs visés.

 

Mais, très souvent, ces outils, élaborés expérimentalement dans les classes et perfectionnés, harmonisés dans le « chantier outils » - structure coopérative - avant édition par PEMF, sont multifonctionnels comme c'est le cas pour des fichiers « Lire pour agir » (cuisine, arts plastiques ... ). Souvent, aussi, ils peuvent servir à la fois de situation incitatrice d'une activité ou d'accompagnement, d'aide à l'accomplissement d'une activité (comme écriture, correspondance...), ou encore de prolongement, répondant par la pratique à cette notion de zone proximale de développement définie par Vygotski, voire d'activité répétitive ou de renforcement.

 

Outils incitateurs ou déclencheurs d'activités

 

Outils de sensibilisation

 

Pour déclencher l'expression, inciter à la recherche, à la création : album de photos (géométrie), fiches du FTC (photos), fichier IRM (dessins), dispositifs installés en classe, objets apportés ou rassemblés en musée, photos ou dessins de magazines (J Magazine... BT..).

 

Outils provocateurs

 

Les objectifs sont les mêmes mais ils induisent, par schémas, dessins, questionnement, l'activité avec plus d'insistance voire une guidance légère. Ce sont les lectures, questionnements, proposition d'expériences : BTJ, J Magazine, Fichier Sciences et techniques... Fichiers de recherche mathématiques...

 

Tous sont générateurs d'hypothèses et permettent l'abandon, la divergence des idées.

 

Outils d'aide à la recherche, à l'action engagée

 

Par des apports d'informations, de contenus plus ou moins programmés, de compétences techniques diverses à acquérir, ils sont très utiles pour accompagner l'enfant au moment d'un besoin (chercher l'orthographe d'un mot, sa signification, un renseignement documentaire, un mécanisme de calcul ou opératoire...). On peut distinguer :

 

  • les outils documentaires : la gamme complète des BTJ, BT, albums BT, suppléments BT, Périscope: Globe et Traces, Carnet de voyages...

  • les outils-recours : citons particulièrement les répertoires orthographiques divers (3 000 mots et 5 000 mots - se reporter au mode d'emploi paru dans Le Nouvel Éducateur n° 103 et qui a été présenté à cette séance, Photimot...), le fichier Utilisation du dictionnaire, le Dictionnaire des petits...

  • les outils d'acquisition de compétences techniques : ce sont des fiches-guides d'action programmée pour acquérir un savoir ou un savoir-faire particulier. Certains fichiers, en mathématiques particulièrement, sont autocorrectifs ; les fiches-réponses permettent non seulement l'auto-contrôle, donc l'autonomie de travail, mais elles apportent aussi des informations et peuvent déclencher des prolongements. Citons dans cette catégorie les divers fichiers de lecture, les fichiers et livrets pour calcul mental et usage de la calculette, les fichiers « Lire pour agir », Arts plastiques et Cuisine, le fichier de géométrie présenté à cette séance et décrit plus loin, tous les albums de la série « Lire pour agir » : Je cuisine, Je joue, Je fabrique...

 

Outils d'intégration et de prolongement

 

Outils d'entraînement personnalisé

 

Destinés à des actions répétitives grâce à des batteries d'exercices plus systématiques, ils permettent l'autocorrection, donc l'évaluation plus consciente du travail, le rythme personnel, le choix des exercices correspondant à son niveau pour chacun, donc des itinéraires vraiment personnalisés.

 

Nombreux fichiers et cahiers répondent à cela : fichiers d'orthographe, de numération et opérations, cahiers de techniques opératoires, fichiers-problèmes...

 

Outils de prolongements, réinvestissements ou transferts de compétences

 

Ils proposent des activités identiques dans d'autres situations ou avec des niveaux différents ou encore avec des variantes, favorisant le réinvestissement ou le transfert des connaissances acquises.

Remarquons d'abord que les outils déjà cités précédemment, pour la plupart, peuvent être, en partie, réutilisés à cette fin-là. Chaque enseignant, dans sa classe peut donc, soit réserver certaines fiches soit en créer à des niveaux divers, adaptées aux enfants concernés.

Dans le domaine documentaire : 30 mots clés, albums Repères, BT et BT2 ; en mathématiques : livrets-tests de numération-opérations, cahiers spéciaux de techniques opératoires B et C ; en français les répertoires orthographiques : « J'écris tout seul » et « Chouette j'écris »...

 

Outils de communication

 

Dès le début, Freinet a utilisé l'imprimerie, le cinéma, le magnétophone, ce sont aujourd'hui le Polaroïd, le caméscope, l'ordinateur, le Minitel et le fax qui servent quotidiennement pour communiquer, échanger, stocker de l'information et même le CD-ROM est promu à un bel avenir (voir le récent dossier Nouvel Éducateur no 103 « Créer des CD-ROM »).

 

Outils de gestion et d'évaluation des apprentissages

 

Pour permettre l'organisation coopérative du travail et de la vie en classe, la gestion des contrats de travail et des projets, la mise en mémoire, certains outils sont indispensables. Ce sont les « plans de travail » individuels, les plannings-projets, les plannings-bilans individuels et collectifs, annuels, mensuels, hebdomadaires ou quotidiens et la gestion des fichiers, selon les circonstances locales et qui engagent la responsabilité de chacun dans cette éducation du travail et son évaluation formative et formatrice.

 

Outils pour l'activité manuelle

 

« Il ne faut pas oublier dans sa classe les « outils vrais » : marteau, tournevis, bêche, pioche... qui permettent aussi de développer d'autres formes d'intelligence*, ainsi que les outils que chacun fabrique, outils plus proches des besoins et des intérêts des enfants ». (d'après 5)

 

* On peut se référer à ce propos à la théorie récente d'Howard Gardner sur les intelligences multiples. (7)

 

 

Présentation de quelques outils

 

Le répertoire orthographique « 5 000 mots ».

 

On se reportera au Nouvel Éducateur n° 103 (novembre 98), rubrique Outils mode d'emploi.

 

Le fichier « Arts plastiques »

Présentation d'Agnès Joyeux

 

Définition : c'est un outil de type « Lire pour agir destiné principalement, mais pas exclusivement, aux élèves de cycle II.

 

Genèse : il a été ébauché à partir d'échanges de pratiques dans un groupe départemental. Comme beaucoup d'outils de la pédagogie Freinet, il est le fruit de la collaboration entre une équipe de rédacteurs, réunis au sein du chantier « Outils » de l'ICEM et un réseau de classes qui essaient les fiches au fur et à mesure de leur élaboration. La rédaction définitive a demandé deux ans d'échanges.

 

Catégorie : c'est un outil multifonctions selon le niveau et les habitudes de la classe où il est utilisé. Il déclenche l'envie de faire, il accompagne l'enfant dans les différentes phases d'une technique. Il développe ses compétences graphiques et expressives. Il aide l'enfant à acquérir son autonomie et à gérer lui-même son activité, etc.

 

Utilisation :

 

Au cycle I, c'est un outil pour le maître: répertoire de techniques et aide à l'organisation matérielle des ateliers. Pour l'enfant, c'est un outil d'autonomie qui favorise le tâtonnement et l'expression.

 

Quand j'introduis une nouvelle technique dans ma classe de petits, je fais en sorte que tous les enfants y soient confrontés au moins une fois, plus souvent s'ils le souhaitent. Je suis alors présente à l'atelier. Je guide, j'explique...

 

Lorsque je considère que la technique est maîtrisée par une majorité d'enfants, elle devient un atelier en libre service dans la classe. Tout ce qui est nécessaire (depuis la nappe jusqu'au type de papier) est regroupé dans un bac, avec la fiche technique. Pendant les ateliers, mais aussi pendant l'accueil, les enfants qui le souhaitent prennent le bac et installent l'atelier. J'interviens à peine pour leur proposer une table en fonction du nombre d'enfants intéressés.

 

Ils peuvent alors expérimenter librement avant de se lancer éventuellement dans un projet plus précis avec ce matériel.

 

Il arrive aussi, qu'à partir d'un projet personnel, un enfant ouvre un atelier précis parce qu'il pense y trouver une réponse à son problème. Benjamin voulait représenter une lumière dans la nuit. Après des essais insatisfaisants (à son idée) aux encres et à la peinture, il a installé l'atelier carte à gratter qui lui a permis un résultat plus conforme à ses attentes.

 

Au cycle II : c'est un outil de lecture tout autant que d'expression, grâce, notamment, aux redondances entre les écrits et les dessins, grâce aux logos, etc. On peut :

  • découvrir une fiche par sa lecture en classe entière ou en petits groupes ;

  • consulter une fiche comme aide mémoire d'une technique qu'on a déjà expérimentée ;

  • organiser son travail de manière autonome.

 

Au cycle III : c'est essentiellement un outil d'aide à la gestion du temps, de l'espace et du matériel qui permet des ateliers autonomes, libérant le maître des questions techniques. Il peut alors se consacrer entièrement au développement de l'expression.

 

 

Présentation du fichier:

- 48 fiches dont 44 fiches techniques, le sommaire, le tableau des logos utilisés, la liste des outils et matériaux

- un livret explicatif

- un album Créations proposant des réalisations d'enfants avec ces techniques. Elles sont présentées à part et non pas en vis-à-vis de la fiche technique pour que les enfants ne soient pas tentés de les utiliser comme « modèles ».

A. Joyeux

 

Les fichiers de lecture adulte « Lire 1 » et « Lire 2 »

Présentation de Danièle de Keyzer

 

Nous proposons des fichiers dont l'utilisation se situe à deux étapes de l'apprentissage : prélecteurs - lecteurs débutants.

 

Le fichier « Lire 1 » dont l'objectif est de proposer des fiches de lecture à un adulte qui ne sait pas lire. Ce fichier place l'apprenant, dès le départ, dans une recherche active personnelle. Il sollicite son intelligence, sa mémoire immédiate: observer, comparer, découvrir des indices, argumenter pour se prouver que c'est juste puis déduire. L'apprenant n'a pas l'habitude d'exercer ce savoir-faire, ce pouvoir. De fiche en fiche cela devient un cheminement en toute sécurité. Il restaure l'estime de lui-même, il pourra se lancer dans d'autres expériences.

 

Le fichier « Lire 2 » : outil dont la présentation, les thèmes qui font appel à des situations de vie quotidienne, proches de l'expérience personnelle de chacun, le faible volume d'écrit des textes, les mêmes consignes très courtes qui se retrouvent dans de nombreuses fiches, les réponses en cochant les symboles correspondant à la réponse juste, placent l'apprenant dans un travail sécurisant qui lui permet de se croire capable et d'oser entreprendre.

 

Comme toutes les fiches sont construites de la même façon, il retrouve des situations qu'il connaît, il a des attentes, il est questionneur. Après avoir travaillé sur quelques fiches, l'apprenant acquiert un cheminement.

 

Le fait d'être capable de verbaliser ce cheminement est vraiment un facteur de sécurité, de confiance, d'autonomie et de motivation, donc de réussite.

 

Danielle de Keyzer

 

L'album de sensibilisation de « L'atelier de géométrie des transformations »

Présentation de Cathy Castier

 

Cet atelier est constitué d'un album de sensibilisation, d'un fichier d'activités (64 fiches), d'un livret du maître ; il s'adresse au cycle II mais pas exclusivement.

 

Outil d'incitation, l'album de sensibilisation (24 pages en quadrichromie) est constitué de quatre séries de photographies : exemples de translations, de symétries, d'homothéties, de rotations pris dans l'environnement quotidien.

 

Facilement accessible dans la classe, cet album à regarder peut être complété par les apports des enfants : publicités, photos, images, dessins... On peut aussi afficher ces documents sur un panneau mural. Album et panneau sensibilisent les enfants aux quatre transformations de la géométrie euclidienne au travers de la vie quotidienne. (en complément, voir article du Nouvel Éducateur n°107)

 

Les approximations qu'on y trouve sont suffisantes, à ce stade, pour donner l'idée de transformation.

 

Les concepts se préciseront tout au long des activités avec le fichier et seront approfondis plus tard.

 

Cathy Castier

 

Les guides pédagogiques « Outils mode d'emploi »

 

Recueils de diverses pratiques des outils parues dans cette rubrique du Nouvel Éducateur, ils apportent une aide précieuse aux enseignants, dans divers domaines, pour installer des activités en ateliers donc des apprentissages personnalisés (se reporter au catalogue PEMF).

 

... et pour conclure...

 

Depuis toujours « l'outil » est un concept caractéristique de la pédagogie Freinet. Comme on le voit, celle-ci n'est ni le spontanéisme pour laisser-faire, ni la directivité didactique constante, même organisée actuellement avec les technologies nouvelles, les travaux de groupes, par une pédagogie que l'on dit, dans certains IUFM, ne plus être frontale.

 

Celle-ci est à la fois globale, comme l'analyse Olivier Reboul (6) et analytique, parce qu'elle est « méthode naturelle », allant du tout jusqu'aux éléments auxquels on finit par accéder, grâce, en particulier, au recours aux outils.

 

Or, une « méthode », même naturelle, est toujours une organisation systémique, c'est-à-dire, au sens de la pensée contemporaine, interactive, elle ne peut donc se dispenser d'utiliser techniques et outils.

 

C. Freinet écrivait dans l'éducateur d'octobre 1965 (8) :

 

« [...] nous avons apporté les outils et les techniques qui permettent des formes nouvelles de travail mieux adaptées à notre milieu: imprimerie et journal scolaire, limographe, peintures, fichiers, bibliothèque de travail, magnétophone, bandes enseignantes, etc. »

 

En effet, si l'on remonte aux sources de la pédagogie Freinet, les apprentissages, selon une méthode naturelle, se fondent à la fois sur les situations de vie de l'environnement (au sens large) de l'enfant, ses intérêts, ses besoins, ses aptitudes, ses expériences personnelles et l'accompagnement des autres, le compagnonnage de l'adulte-éducateur, l'étayage par les outils dans la construction de ses savoirs afin d'aider l'individu à s'exprimer, à inventer et créer, à développer au maximum ses potentialités, donc à conquérir la plus grande autonomie de pensée possible, synonyme de liberté.

 

J. et E. Lèmery

 

Notes bibliographiques :

 

* Edmond et Janou Lèmery, militants de l'ICEM depuis 1960, membres de la MAFPEN et de l'IREM, membres de l'équipe vie scolaire à Clermont-Ferrand, professeurs honoraires au collège de Chamalières, ont animé la séance du congrès de Villeurbanne consacrée à la place de l'outil dans la pédagogie Freinet.

 

(1) F Smith, La Compréhension et l'Apprentissage, Éd. H R W Montréal (1980).

(2) C.Lèmery, Rôle des apprentissages personnalisés dans la formation d'un concept mathématique, Mémoire de licence en Sciences de l'Education, université Lyon 2 (1994).

(3) C.Freinet, OEuvres pédagogiques, Tome 2, lntroduction à la méthode naturelle, p.421, Seuil.

(4) Britt-Mari Barth, L'Apprentissage de l'abstraction, Retz.

(5) Chti Qui, Réflexions sur l'outil, Revue des groupes ICEM Pas-de-Calais et Nord (juillet 1998).

(6) 0. Reboul, Qu'est-ce qu'apprendre Collection L'Educateur, PUF.

(7) M. Zuber et J. Lecomte, Rencontre avec Howard Gardner (La théorie des intelligences multiples), Revue Sciences Humaines n° 69 (1997).

(8) Élise Freinet, L'Itinéraire de C. Freinet, Petite bibliothèque Payot, (1977).