L'Educateur n°1 - année 1947-1948

Octobre 1947

DITS DE MATHIEU - L’étincelle a jailli...

Octobre 1947

Vous êtes, aujourd’hui, comme un paysan qui gratterait, fumerait, taillerait, arroserait, et qui ne verrait jamais prospérer ni produire ses champs. Quelle raison voudriez-vous qu’il ait de travailler ? Alors, on se décourage, on devient pessimiste, nerveux ; la besogne pèse de plus en plus ; on devient soi-même un dangereux élément de déséquilibre.

Si, au contraire, grâce aux réalisations pratiques que je vous recommande, vous sentez que votre effort porte enfin, si peu que ce soit, vous serez comme le mécanicien qui, après nettoyage, remonte son moteur, et, anxieux, un peu ému, donne maintenant son premier tour de manivelle. L’étincelle a jailli : « Il a parlé... » Cela suffit. Cette velléité de vie, il va la reprendre, l’exciter, la canaliser et il triomphera bientôt dans la puissance inlassable de l'œuvre qu’il a recréée.

Vous ferez de même : dès que vous sentirez la vie bouillonner, vous serez aux écoutes mystérieuses de l’explosion qui se prépare ; vous serez pris à votre tour par le dynamisme de votre tâche, comme l’artisan fier de son œuvre, comme le paysan qui éprouve, à contempler la moisson prometteuse, un grandissement qui est à lui seul une raison de vivre.

Vous ne ménagerez plus votre peine alors, vous verrez. Les petits accrocs, inévitables dans toute communauté, vous apparaîtront pour ce qu’ils sont : des accidents qui dénotent une faiblesse d’organisation, ou une erreur d’aiguillage, mais qui ne compromettent point la marche vigoureuse de votre école. Et vous forgerez vous- mêmes, dans cette atmosphère de travail, une philosophie nouvelle, plus proche de la nature, plus humble> plus compréhensive, plus indulgente, moins prétentieuse, sans inutile verbalisme, qui sera comme l’éclosion mystérieuse sous la poussée d’une sève riche et féconde.

La perspective seule d’une telle exaltation de votre vie d’éducateur ne vous engage-t-elle pas à abandonner, sans plus tarder, des méthodes qui ne vous ont jamais apporté que succès illusoires et vains, parmi beaucoup d’échecs, de soucis, d’ennuis et de désespérance ?

Extrait de L’Education du Travail, de Freinet, en vente à la C.E.L. : 117 fr.
 

 

Les éducateurs sont des techniciens

Octobre 1947

Encore quelques efforts de compréhension et de mise au point et la partie sera peut être gagnée. Nous aurons fini d’entendre la traditionnelle objection : « L’Education, ce n’est pas comme les autres métiers. Cela ne s'enseigne pas. Il faut avoir le don, aimer les enfants, savoir se dévouer à un apostolat.

« Toutes vos critiques, nous dit-on, n'apportent rien de nouveau. Nous avons fait aussi bien et mieux, de notre temps, sans techniques. Formez les éducateurs, donnez-leur la connaissance et l’amour des enfants, Ils trouveront bien alors eux-mêmes les solutions nécessaires. »

Autrement dit : on prépare et on forme à sa fonction l’électricien, le cultivateur, le physicien et le médecin. On ne forme pas l’éducateur, on lui donne une instruction générale et on lui demande ensuite de choisir ses méthodes, car chaque instituteur a sa ou ses méthodes !

Une première conséquence de cette conception surannée — et notre ami Senèze la marquait avec vigueur à Dijon — c’est que l’instituteur n'est pas considéré comme un technicien. Or, dans la hiérarchie sociale — et la hiérarchie des salaires — on respecte et on " honore " les techniciens : l’agronome, le chirurgien, l’ingénieur. Pour enseigner les rudiments à des enfants, on n’a pas besoin d’être si savant ! El c’est à peine si l’on admet que l'instituteur a besoin de beaucoup de patience — ce qui est comme une sorte de qualité passive, qui ne justifie pas une spécialité.

Nous avons déjà fait beaucoup pour redresser cette situation : le mot « techniques » est entré, grâce à nous, dans le langage et dans la formation pédagogiques contemporains.

Entendons-nous bien : Nous n'avons jamais dit que la valeur de l’homme, son instruction et son sens pratique, sou sens social et humain soient insignifiants. Ils ne sont insignifiants dans aucune fonction ; et c'est seulement le capitalisme inhumain qui nous prépare une ère mécanicienne où l’homme robot n’aura plus besoin de comprendre ni de sentir.

Il est incontestable que, en éducation plus encore que pour les autres branches d'activité, la valeur de l’homme reste une des conditions essentielles pour la formation du parfait technicien.

Certes, lorsque, il y a quelques dizaines d’années à peine, l'éducation était presque exclusivement une affaire de pensées, de verbe, d'ajustements de systèmes intellectuels, la technique spéciale acquise scolastiquement semblait suffire à la formation « intellectuelle » des enfants. Et il y avait pourtant déjà une technique rudimentaire, qu’on enseignait avec ses outils spéciaux ; c’étaient les leçons ex cathedra, les devoirs et les interrogations, avec comme outils de travail les manuels et les résumés.

Le monde a marché. Il s'agit maintenant de former non plus le faux intellectuel mais le travailleur efficient. On ne prépare pas au travail par 1e verbiage mais par le travail. Et ce travail, en l’an 1947, se fait avec des outils dont nous devons nécessairement enseigner le bon usage comme les professeurs du siècle dernier enseignaient le « bon usage » de la langue, de la discussion, de la polémique.

Nous mettons au point les outils et les techniques qui prépareront nos enfants à un maximum d'efficience sociale et humaine dans la société d’aujourd’hui et de demain. Bon gré, mal gré, les éducateurs doivent, ou refuser de s’adapter, ce qui est faillir à leur tâche, ou s’initier à ces outils et à ces techniques dont ils imposeront l'introduction dans les classes populaires.

Mais voici l’écueil opposé :

Par réaction exagérée au temps si proche encore où les techniques intellectuelles avaient seules droit de cité à l'Ecole, on nous présente aujourd’hui tant d’outils, tant de techniques, tant de stages de formation, tant, de revues spécialisées, que nous en sommes accablés et désorientés. Dans ce déluge de nouveautés passionnantes, les enfants n’auront bientôt plus le temps de réfléchir ni d'apprendre à penser et à juger.

Il y a véritablement danger dans une telle déviation.

Nous ne voyons aucun inconvénient, au contraire, à ce que chaque éducateur se développe lui aussi selon ses lignes favorables d'aptitudes : que le musicien se perfectionne dans son art en fonction de l’éducation, que le bricoleur s'entraîne à limer et à menuiser ; que l'amoureux de théâtre, de guignol et de diction tire de ces pratiques le maximum de profits. Nous sommes là en plein dans notre théorie éducative qui vise à obtenir dans nos classes la possibilité pour chaque élève, non pas de s'aligner uniformément sur une norme scolastique, mais après avoir acquis l’indispensable, de monter au maximum dans les voies qui répondent à ses tendances fonctionnelles. Cela nous vaut, dans nos classes, des élèves sachant lire, écrire et compter, certes, mais aussi des dessinateurs émérites, des graveurs, des musiciens, des imprimeurs, des agriculteurs, des éleveurs, des scientifiques, des collectionneurs, des poètes et des conteurs. Nos brevets mesureront, encourageront et sanctionneront bientôt ces excellences.

Donc, que chaque éducateur, après avoir acquis les bases indispensables pour les disciplines essentielles, s’élève au maximum dans les spécialités qui l’intéressent, qu'il suive des cours pour ces spécialités, c'est fort bien. Seulement, attention !

Si, dans nos classes, après avoir révélé à lui-même un habile graveur, nous l’exaltions dans notre art pour lui faire croire qu'il n’a pas à se préoccuper des autres disciplines, nous ferions de lui un excellent spécialiste peut-être, mais non un homme. Et nous ferions fausse route.

On fait fausse route également lorsqu’on lance les jeunes instituteurs indifféremment sur toutes les pistes de spécialités avant de les avoir assurés dans les disciplines de base, lorsqu'on les munit de techniques et d’outils, peut-être excellents pour ces spécialités mais en négligeant de les mettre d’abord à même de faire vivre leur classe dans leur milieu.

Autrement dit : toutes les techniques ont leur excellence pour les individus qui les comprennent et qui les aiment. Mais elles ne sont pas toutes sur le même plan de nécessité scolaire, sociale et humaine.

Il y a une hiérarchie des techniques. Qui n’en tient pas compte agit comme un économe qui, dans la préparation de ses menus, ne se soucierait que de ses préférences, de sa fantaisie ou des incidences favorables, négligeant les aliments de base indispensables à l'organisme au profit des condiments, des sucres et des gâteries qui font les bons repas et les mauvaises santés.

L’éducation est avant tout choix et équilibre. Il ne s'agit pas de nous fourvoyer dans de nouvelles modes et dans des impasses dangereuses, mais de forger l'éducation harmonieuse et équilibrée qui fera de nos enfants des hommes.

Il faudra justement que, au cours des mois à venir, nous mettions expérimentalement au point celte hiérarchie des techniques : voir celles qui sont primordiales, pour lesquelles nous devons en tout premier lieu préparer le matériel et prévoir les crédits ; celles ensuite qui, dans tels milieux, à tels degrés sont immédiatement après recommandables ; celles ensuite qui sont déjà des spécialités toujours précieuses mais moins indispensables.

Nous aurons à établir cette hiérarchie des techniques de travail pour la mise au point de nos « brevets ». Nous aurons les brevets de base, que tout le monde doit conquérir, les brevets utiles et les brevets facultatifs.

Et nous aurons, du coup, l’ordre d’affectation des dépenses de l’Ecole.

Je hasarde ici une hiérarchie, sujette à révision et à mise au point, que je donne seulement pour matérialiser pour ainsi dire ma démonstration.

1. — Si l’Ecole était pédagogiquement idéale, nous aurions, à la base de toute son activité, le travail et la vie de l’enfant dans son milieu.

Dans la pratique, et de longtemps encore, l'enfant ne pourra pas se livrer dans notre école à tous ces travaux-jeux et jeux-travaux que nous avons caractérisés dans notre livre « L’Éducation du Travail ». Il y faudrait un changement radical de la conception pédagogique, des horaires, des programmes, et des locaux.

En attendant nous demanderons à l’enfant de nous apporter par la pratique du Texte libre l’essentiel de ses travaux-jeux et jeux-travaux à l’école, dans la rue, dans les champs et à l’atelier, dans la famille. Nous aurons ainsi une base fonctionnelle précieuse pour l'assise psychologique de nos techniques.

Celle pratique du Texte libre ne nécessite aucun matériel indispensable mais suppose cependant une initiation technique et surtout des outils el des pratiques complémentaires qui assurent la permanence de la curiosité, de l’intérêt et de l’effort par une motivation naturelle.

2. — Celte activité de l’enfant dans son milieu sera représentée et enrichie par la correspondance interscolaire par le journal scolaire, qui apporte la motivation permanente indispensable mais qui suppose, elle aussi, la possibilité technique d’édition d’un journal scolaire.

3. — Edition d'un journal scolaire sur la base de nos techniques

a) par textes manuscrits ;

b) par textes tirés au limographe C.E.L. ;

c) par l'Imprimerie à l’Ecole.

4. — Exploitation pédagogique et humaine du texte libre par l'étude du milieu, que nos techniques rendent possible et permanente.

5. — Documentation par le Fichier Scolaire Coopératif et la Bibliothèque de Travail.

6. Activités scientifiques.

7. — Conférences.

8. — Dessin libre, gravure du lino, etc...

9. — Disques, musique, pipeaux.

10. — Jardinage el travaux manuels divers.

11. — Théâtre, guignol, diction, etc...

Nos travaux ultérieurs préciseront encore ce tableau qui permettra aux éducateurs, aux jeunes surtout, de distinguer, dans les étalages plus ou moins alléchants qui leur sont offerts, le primordial et l’indispensable.

Vous commencerez alors par le commencement, employant les crédits dont, vous disposez d’abord pour les outils que ce commencement suppose. Pour éviter le risque de la surenchère commerciale qui met en valeur la marchandise à placer, nous établirons ensemble, librement, sans parti-pris, au sein de nos organismes coopératifs, cette hiérarchie qui sera alors comme notre plan général d’activité. Vous comprendrez alors pourquoi notre revue accorde par exemple moins de place au théâtre- guignol — si intéressant soit-il — mais que nous avons placé au 11e rang, qu'à la correspondance interscolaire par exemple, qui est comme au carrefour vivant de tout notre travail scolaire.

Notre organisation coopérative est aujourd’hui en place ; nos commissions de travail et de contrôle sont à pied d’œuvre, des groupes d'e la C.E.L. sont constitués dans la plupart des départements ; notre liaison avec le S. N. et Sudel est enfin effective. Nous appelons à nous toutes les bonnes volontés.

Et notre revue L’Educateur, notre organe de travail, sollicite non seulement votre abonnement, mais votre collaboration à l’œuvre urgente de modernisation de notre Ecole populaire.

C. FREINET.

 

 

 

Quelle est la part du maître ? Quelle est la part de l'enfant ?

Octobre 1947

 

Au congrès du S.N.

Octobre 1947

 

La vie de l'Institut

Octobre 1947

 

L'Encyclopédie Scolaire Coopérative

Octobre 1947

 

Notre plan général de travail

Octobre 1947

 

Histoire - Plans de travail - centre d'Intérêt

Octobre 1947

 

Les emplois du temps

Octobre 1947

 

Les récents programmes officiels recommandent nos techniques

Octobre 1947

 

Notre voyage scolaire

Octobre 1947

 

Réponses aux questions

Octobre 1947