Le métier vous marque, grommelait le vieux berger en écartant les branches du revers de son bâton. Regarde, là-bas, à la sortie du village, cette silhouette qui glisse dans la ligne grise du chemin, c'est le cordonnier. Et cette autre qui s’affaire devant la remise, c’est l’aubergiste.
Un berger ne marche pas comme un cordonnier et ne pense pas comme un aubergiste. C’est comme la brebis qui trace sa draille à force de passer et de repasser. Les gestes de tous les jours, la quantité d’air que nous respirons, la lumière ou le froid qui nous imprègnent, l’effort du dos, de la tête ou des bras, ce sont autant de lignes qui s’inscrivent sur l’originalité de notre comportement. L’homme qui peut chanter au soleil levant jusqu’à faire frémir les échos, n’a point le regard las de l’ouvrier qui, rivé à son établi, compte, tête baissée, les coups répétés de son marteau.
Et vous, les instituteurs, vous êtes plus que d’autres marqués par les exigences formelles de votre métier. Comme si chaque devoir que vous corrigez, si chaque trait à l’encre rouge, si chaque leçon que vous répétez, chaque coup de règle sur la table, chaque punition généreusement distribuée, creusaient en vous leur sillon indélébile.
Abandonnez la chaire et prenez l’outil, alignez des composteurs et préparez un tirage, extasiez-vous devant une réussite ; soyez tout à la fois l’ouvrier, le jardinier, le technicien, le meneur de jeu et le poète, réapprenez à rire, à vivre et à vous émouvoir. Vous serez un autre homme.
C’est au brillant de l’œil qu’on mesure la portion de liberté et la profondeur de la culture du bon ouvrier qui pourrait piquer à son chapeau les trois plumes d’éducateur.
Guide Général de l’Educateur Moderne
CHERCHEZ ET VOUS TROUVEREZ !
Avant d'entrer dans les Conseils techniques que tu attends, je te dirai encore ceci : Evite de considérer que tu as maintenant ton bâton de maréchal ; que tu as appris à faire la classe, et que tu n’auras plus qu’à suivre la filière : leçons, manuels, devoirs, punitions, attente de l’heure qui va sonner, attente du jeudi et du dimanche... Attente de la retraite... et de la mort...
Si tu acceptes cette passivité, tu es perdu, car tu seras un malheureux, dans ta classe et hors de ta classe. Tu seras un bagnard, rivé à la chaîne, car le matériau humain ne se malaxe pas ni ne se modèle comme une pauvre barre de fer. Cela n’ira pas tout seul. Tu auras beau te cuirasser d’une bonne dose de routine et de traditionalisme, tu seras le tâcheron qui « gagne sa croûte ». Et, je te le dis en connaissance de cause : tu peux alors gagner ta croûte ailleurs avec moins d’ennuis.
Il te faut au contraire aborder ton travail en te disant qu’il constitue la tâche la plus difficile et la plus délicate qui soit et qui, quelle que soit la préparation qui t’a amené à la fonction d’instituteur tu es insuffisamment apte à affronter tes trente ou trente-cinq enfants.
Entreprends ta classe avec un incessant souci expérimental. Ce livre, cette méthode, ce procédé, je l’essaie. S’il me réussit, j’en tirerai le meilleur parti possible. Mais chaque fois que je trouverai un autre outil, une autre méthode qui peut être plus efficiente, je l’essaierai aussi. Prudemment certes, expérimentalement, mais sans jamais me fixer dans une attitude définitive.
Et le test de cette réussite c’est l’enfant. Mesure à sa compréhension, à son goût du travail, à son allant, à sa passion de l’école et de la culture, ta propre réussite. Ne te contente pas de dire « Ils sont bouchés et instables. » Rares sont les enfants qu’on ne peut absolument pas entraîner et engréner directement ou par un biais approprié. Seulement il y faudrait une science psychologique et pédagogique qu’aucune école à ce jour n’est en mesure de te donner.
Cherche et tu trouveras.
Et ne crois pas que tu perdras ainsi un tant soit peu de ton autorité : ce n’est pas en persévérant dans les faiblesses et dans les erreurs que tu prendras de l’ascendant sur les élèves, mais en te mettant sur les rangs à côté d’eux pour les entraîner vigoureusement dans la course où nous sommes engagés.
Tu trouveras, mais ne cherche pas seul. C’est désespérant et inefficace. Entre en liaison avec ceux qui, dans ton département, à travers la France et même à l’étranger ont dit non à la passivité d’un métier qui est avant tout création et vie, qui se sont unis pour reconsidérer expérimentalement les conditions de leur travail.
Alors, même dans les circonstances difficiles qui ne te seront jamais ménagées, tu verras briller un peu de soleil et ta classe en sera transformée.
Nous verrons maintenant la pratique même de cette reconsidération.
Une Directrice d’Ecole Normale m’adresse, avec la coupure du P. S. de. notre avant-dernier article, une courte note de reproches, sèche et froide comme un pensum :