L'Educateur n°8 - année 1954-1955

Novembre 1954

DITS DE MATHIEU - Le métier vous marque

Novembre 1954

Le métier vous marque, grommelait le vieux berger en écartant les branches du revers de son bâton. Regarde, là-bas, à la sortie du village, cette silhouette qui glisse dans la ligne grise du chemin, c'est le cordonnier. Et cette autre qui s’affaire devant la remise, c’est l’aubergiste.

Un berger ne marche pas comme un cordonnier et ne pense pas comme un aubergiste. C’est comme la brebis qui trace sa draille à force de passer et de repasser. Les gestes de tous les jours, la quantité d’air que nous respirons, la lumière ou le froid qui nous imprègnent, l’effort du dos, de la tête ou des bras, ce sont autant de lignes qui s’inscrivent sur l’originalité de notre comportement. L’homme qui peut chanter au soleil levant jusqu’à faire frémir les échos, n’a point le regard las de l’ouvrier qui, rivé à son établi, compte, tête baissée, les coups répétés de son marteau.

Et vous, les instituteurs, vous êtes plus que d’autres marqués par les exigences formelles de votre métier. Comme si chaque devoir que vous corrigez, si chaque trait à l’encre rouge, si chaque leçon que vous répétez, chaque coup de règle sur la table, chaque punition généreusement distribuée, creusaient en vous leur sillon indélébile.

Abandonnez la chaire et prenez l’outil, alignez des composteurs et préparez un tirage, extasiez-vous devant une réussite ; soyez tout à la fois l’ouvrier, le jardinier, le technicien, le meneur de jeu et le poète, réapprenez à rire, à vivre et à vous émouvoir. Vous serez un autre homme.

C’est au brillant de l’œil qu’on mesure la portion de liberté et la profondeur de la culture du bon ouvrier qui pourrait piquer à son chapeau les trois plumes d’éducateur.
 

 

Cherchez et vous trouverez

Novembre 1954

Guide Général de l’Educateur Moderne

CHERCHEZ ET VOUS TROUVEREZ !

Avant d'entrer dans les Conseils techniques que tu attends, je te dirai encore ceci : Evite de considérer que tu as maintenant ton bâton de maréchal ; que tu as appris à faire la classe, et que tu n’auras plus qu’à suivre la filière : leçons, manuels, devoirs, punitions, attente de l’heure qui va sonner, attente du jeudi et du dimanche... Attente de la retraite... et de la mort...

Si tu acceptes cette passivité, tu es perdu, car tu seras un malheureux, dans ta classe et hors de ta classe. Tu seras un bagnard, rivé à la chaîne, car le matériau humain ne se malaxe pas ni ne se modèle comme une pauvre barre de fer. Cela n’ira pas tout seul. Tu auras beau te cuirasser d’une bonne dose de routine et de traditionalisme, tu seras le tâcheron qui « gagne sa croûte ». Et, je te le dis en connaissance de cause : tu peux alors gagner ta croûte ailleurs avec moins d’ennuis.

Il te faut au contraire aborder ton travail en te disant qu’il constitue la tâche la plus difficile et la plus délicate qui soit et qui, quelle que soit la préparation qui t’a amené à la fonction d’instituteur tu es insuffisamment apte à affronter tes trente ou trente-cinq enfants.

Entreprends ta classe avec un incessant souci expérimental. Ce livre, cette méthode, ce procédé, je l’essaie. S’il me réussit, j’en tirerai le meilleur parti possible. Mais chaque fois que je trouverai un autre outil, une autre méthode qui peut être plus efficiente, je l’essaierai aussi. Prudemment certes, expérimentalement, mais sans jamais me fixer dans une attitude définitive.

Et le test de cette réussite c’est l’enfant. Mesure à sa compréhension, à son goût du travail, à son allant, à sa passion de l’école et de la culture, ta propre réussite. Ne te contente pas de dire « Ils sont bouchés et instables. » Rares sont les enfants qu’on ne peut absolument pas entraîner et engréner directement ou par un biais approprié. Seulement il y faudrait une science psychologique et pédagogique qu’aucune école à ce jour n’est en mesure de te donner.

Cherche et tu trouveras.

Et ne crois pas que tu perdras ainsi un tant soit peu de ton autorité : ce n’est pas en persévérant dans les faiblesses et dans les erreurs que tu prendras de l’ascendant sur les élèves, mais en te mettant sur les rangs à côté d’eux pour les entraîner vigoureusement dans la course où nous sommes engagés.

Tu trouveras, mais ne cherche pas seul. C’est désespérant et inefficace. Entre en liaison avec ceux qui, dans ton département, à travers la France et même à l’étranger ont dit non à la passivité d’un métier qui est avant tout création et vie, qui se sont unis pour reconsidérer expérimentalement les conditions de leur travail.

Alors, même dans les circonstances difficiles qui ne te seront jamais ménagées, tu verras briller un peu de soleil et ta classe en sera transformée.

Nous verrons maintenant la pratique même de cette reconsidération.

 

L’histoire par l’exploitation des complexes d’intérêt

Novembre 1954

 

Aide-mémoire

Novembre 1954

 

Office de la Coopération à l'Ecole - Le congrès de Strasbourg

Novembre 1954

 

Tuberculose et santé

Novembre 1954

 

Notre psychologie coopérative

Novembre 1954

Une Directrice d’Ecole Normale m’adresse, avec la coupure du P. S. de. notre avant-dernier article, une courte note de reproches, sèche et froide comme un pensum :

 
« Les Ecoles Normales qui suivent avec intérêt et compréhension votre recherche pédagogique, regret­tent de constater qu'elles n’ont pas à espérer le réciproque. »
 
Mon crime : M'adressant aux éducateurs que j’engage à entrer dans notre équipe de recherche psychologique, je leur disais Vous n’avez jamais rien compris à la psychologie qu’on vous a enseignée à l’Ecole Normale, pas plus qu’à celle que vous avez accidentellement rencontrée dans les livres. »
 
D'abord, est-ce faux ? Si nombreux sont les jeunes qui viennent témoigner du contraire en nous expli­quant quelques-uns des grands secrets auxquels s’achoppent aujourd’hui encore les grands psycho­logues ; s’ils peuvent expliquer, pour notre profit, le comportement des enfants, même les plus diffi­ciles, afin que nous soyons en mesure d’améliorer notre travail de parents et d’éducateurs, je ferai mes excuses et je demanderai à profiter de bienfaits dont je n’ai pas été comblé moi-même.
 
Je n’ai pas avancé que MM. les Professeurs ou Directeurs d’Ecole Normale n’étaient pas experts en psychologie. Je souhaite qu’ils le soient. Mais j’affirme une réalité qui est de notoriété publique quand j’explique que les psychologues et, par la force des choses, ceux qui ont pour mission de les expliquer, parlent un langage de spécialistes qui ne nous est pas accessible à nous primaires. Je me garderai bien de dire que la psychologie de Wallon ou de Piaget n’est pas valable. Je dis que leurs livres ne me sont pas accessibles, que je pourrais peut- être, comme d’autres, y apprendre des mots et des formules mais que, lorsque je les ai lus, je suis tout aussi désarmé qu’avant devant ma classe, parce que « je n’ai pas compris leur psychologie ». Nous aurions besoin d’un interprétateur, usant d’un glos­saire précis. Et encore !...
 
J’admets que notre impuissance puisse être le fait de notre mauvaise formation primaire. J’ai constaté, hélas ! que les secondaires ne sont pas beaucoup plus avancés que nous, sauf qu’ils savent manœu­vrer avec plus d’habileté les mots et les formules.
 
Nous sommes devant cet état de fait. Si un ins­tituteur peut nous expliquer la psychologie qu’on lui a enseignée, s’il nous l’explique en clair parce qu’il l’aura bien comprise, dans ses fondements, nous lui passerons notre rubrique, car nous sentons l’indispensable besoin de mieux connaître les lois du comportement humain qu’on nous a insuffisam­ment révélées à l’Ecole Normale. Et comme, jusqu’à ce jour, nul ne s’est présenté pour ce travail délicat, nous avons — et nous procédons ainsi dans tous les domaines — pris nos destinées entre nos mains. Et, ma foi, cela ne nous a pas si mal réussi.
 
Et, deuxièmement, je voudrais dire que les édu­cateurs ont tort lorsqu’ils se cabrent.. parce que l’éduqué ose dire : « Je n’ai rien compris ! » On connaît la réaction traditionnelle du. maître : « Tu n’avais qu’à écouter, à mieux apprendre ta leçon, et à faire attention... Mauvaise note... » Alors, celui qui n’a rien compris fait semblant de comprendre pour esquiver les punitions. Et c’est parce que sont nombreux ceux qui, à tous les degrés, font sem­blant de comprendre, qu’il nous reste tant à faire pour notre commune culture.
 
Nous, éducateurs modernes, réagissons autrement : nous habituons nos enfants à réclamer lorsqu’ils n’ont pas compris et nous tâchons de rectifier notre enseignement. Le contrôle de nos B.T. en est un témoignage. L’auteur, même fier de son œuvre, nous confie son projet que nous soumettons aux enfants. Lorsque ceux-ci disent, comme nous en psychologie : « Je n’ai rien compris », nous ren­voyons le projet à l’auteur en lui demandant de faire plus simple, mieux adapté aux enfants. Il n’y réussit pas toujours, mais il s’habitue à être humble devant les exigences de sa fonction d’éducateur.
 
Nous rendons à MM. les Professeurs, à MM. les Directeurs, à Mmes les Directrices d’ E. N. l'hom­mage qu’ils méritent, nous les remercions de l’inté­rêt qu’ils portent à nos travaux et de l’appui qu’ils ne nous ménagent jamais, et nous souhaitons d’en­tretenir avec eux les excellentes relations depuis longtemps instituées. Seulement nous leur deman­dons de vouloir bien considérer qu’il est nécessaire, de temps en temps que leurs élèves disent : « Nous n’avons pas compris ». Et nous demandons qu’ils nous aident alors, non seulement théoriquement, mais aussi pratiquement, à mieux connaître l’enfant pour mieux l’éduquer.
 
Que ceux qui ne sont pas de mon avis veuillent bien me l’écrire. « L’Educateur » leur est ouvert.