L'Educateur n°5 - année 1961-1962

Décembre 1961

Si la grammaire était inutile

Décembre 1961

Au moment où le Ministère publie des Instructions Impératives pour l'étude systématique et par coeur des règles de grammaire, nous poursuivons ici notre opposition en reprenant notre mot d'ordre d'il y a vingt-cinq ans ; « Si la grammaire était inutile », qui a toujours paru aux professionnels comme une outrance et un blasphème.

Qu'elle soit inutile, cela ne fait aucun doute pour quiconque examine la question sans parti pris scolastique, avec seulement les vertus de l'expérience loyale et du bon sens.

Jamais personne — pas même les Instituteurs et les professeurs — ne se réfère aux règles et aux définitions lorsqu'il s'agit d'écrire correctement et sans faute. Nul étudiant n'utilise les règles de grammaire dans ses rédactions, dans ses dictées ou ses thèses. On apprend à écrire, par la méthode naturelle, comme on apprend à parler, par un lent tâtonnement expérimental qui nous donne l'usage infaillible des notions les plus subtiles de l'enseignement du français, de l'emploi des pronoms à la conjugaison du plus-que-parfait ou du subjonctif.

Nous sommes certainement nombreux — car tel est mon cas — à confondre attribut et épithète, à ne savoir point distinguer les formes de complément ou les divers genres de subordonnées d'une phrase, et à manier cependant la langue avec efficience sinon avec talent. Alors que sont fréquents dans nos classes les élèves qui ont appris les règles è la perfection et répondent mieux que nous aux questions des dictées du C.E.P.E., mais sont incapables d'écrire le moindre texte, comme si la forme même de cet apprentissage avait paralysé l'expression et le sens du langage écrit. Ils ont étudié les règles mais font une faute presque à chaque mot parce que l'apprentissage mécanique et par coeur est absolument sans relation avec la pratique intelligente de la langue.

Il y a, en scolastique, d'une part l'étude systématique des règles qui se fait selon une fausse science tout juste capable de préparer aux examens, et d'autre part la formation et la culture. Les deux voies qui devraient normalement se confondre sont nettement séparées et distinctes. Ce qui en fait la stérilité.

Je sais que la masse du personnel — un certain nombre de nos adhérents compris — pensera que j’exagère et qu'on ne saurait écrire correctement et élégamment en français sans connaître les règles qui régissent et ordonnent la langue.

Et c'est pourquoi je crois utile ici de citer en renfort de ma démonstration un témoignage que les officiels eux-mêmes ne sauront mettre en doute. Il émane d'un philosophe et d'un moraliste, d'un homme honnête et courageux qui fut Inspecteur Général puis Recteur de l'Académie d'Aix-Marseille, et qui, de ce fait, avait une profonde expérience en la matière. Il s'agit de Jules Payot, l'auteur de L'Education de la Volonté.

Dans un livre qui reste hélas ! d'actualité : « La faillite de l'Enseignement », Jules Payot dénonce les erreurs des pratiques scolastiques dont on ne dira jamais assez la malfaisance.

« L'enseignement de la grammaire théorique et abstraite tel que je l'ai vu pratiquer pendant plus d'un quart de siècle dans des centaines de classes m'a toujours paru constituer un supplice pour les enfants et un supplice inutile et abêtissant ».

Pourtant, dit-on, il faut bien connaître les règles pour écrire. « Dans une lettre Combarieu, IA de Paris me signalait combien l'enseignement abstrait de la grammaire était vain, et il ajoutait : les Grecs ont eu quatre ou cinq siècles de grands produits littéraires avant de savoir distinguer un substantif et un adjectif et de savoir ce qu'est un mode.

« II n’y avait pas de grammaire du temps de Pascal et de Racine. Nicole élaborait ta grammaire de Port Royal lorsque Pascal écrivait ».

Voilà donc qui nous met en digne compagnie, avec Pascal « t Racine qui ne connaissaient pas la grammaire.

Et Jules Payot ajoute :

« Noël et Chapsal crurent fixer l'usage qui est changeant. Anatole France appelle leur grammaire une monstruosité. Les Jeunes filles, dit Jules Simon, sauront par coeur vos termes de grammaire. Elles en seront encombrées ; elles n'en feront Jamais rien, parce qu'on n'en fit jamais rien ».

Voilà qui est définitif.

Georges Elliot dit plaisamment, parlant d'un grammairien : « On a mis une goutte de son sang sous le microscope : on n'y a trouvé que des virgules et des parenthèses ».

***

Cela ne signifie point que nous soyons radicalement contre toute grammaire. Là encore nous avons sans le savoir, suivi le conseil de Payot : « On apprend la grammaire par la langue et non la langue par la grammaire ».

Notre enseignement grammatical se fait à même la rédaction individuelle et collective : par le texte libre, l'enfant s'exprime comme il parle. Au cours de la mise au point du texte choisi, on ajuste les mots, les phrases et les expressions. Nous procédons comme Racine et Pascal : à même la vie, nous pétrissons et repétrissons notre pâte jusqu’à ce qu'elle ait noble allure et qu'elle exprime avec justesse, sensibilité, émotion et art, ce que nous voulons transmettre à ceux qui nous lisent. Ce n’est jamais une question de grammaire que nous avons à résoudre.

Pour l'orthographe, que nous voulons correcte, nous avons recours à quelques règles simples qui sont à la portée de quiconque sait parler. Je les avais résumées iI y a vingt ans déjà dans une petite brochure que j'avais Intitulée : Grammaire française en quatre pages par l'imprimerie à l'Ecole. Et là encore nous rencontrons les conseils concordants de Payot : « Aussi la grammaire devrait-elle être une très mince brochure contenant en latin les déclinaisons et en français les conjugaisons, l'emploi de soi, de lui, de y, de en; l'emploi du subjonctif, les régies de la corrélation des temps, etc... ».

Mais que deviendraient alors les manuels de grammaire bourrés de principes et d'exercices, et queferaient les instituteurs à qui on a négligé d'enseigner les verbes de la rédaction permanente et qui croient indispensables ces grammaires pédagogiquement absurdes où les régles sont noyées dans une masse d'exercices incohérents » ?

Pourquoi remuer aujourd'hui cette vieille querelle apparemment basée sur une boutade que nul encore ne veut admettre, sauf Jules Payot : « Si la grammaire était inutile ? »

C'est que la pédagogie évolue de plus en plus, non point vers la nécessité d'une culture mais vers une fausse conception du savoir et du travail ».

« Je compris, dit Payot, la remarque de Seguin, le plus profond des éducateurs français disant que l'Université n'a que des pratiques mnémoniques et qu’elle néglige l'éducation des fonctions, des aptitudes : elle frappe d'incapacité les facultés spontanés et rend impossible le travail productif et libre ».

On croit agir scientifiquement en prétendant construire par la base cette culture : on enseignera des mots et les règles qui les régissent et, avec ces éléments, les enfants bâtiront des textes expressifs : on leur apprendra par cœur les nombres et les opérations et, munis de ce viatique acquis par cœur, ils aborderont les problèmes complexes : on leur fera étudier les éléments des sciences tels qu’ils ont été établis par des siècles de scolastique et, sur ce marchepied ils s’élèveront jusqu'à l’esprit scientifique.

Et c’est la grande erreur de cette pédagogie mnémonique qui redevient l’A B C de notre période réactionnaire. On forme ainsi des bavards désormais inadaptés à s’élever jusqu’à la compréhension, à la création et à l’invention qui ouvrent seules les portes de la culture.

Est-il bien utile de continuer ainsi notre lutte opiniâtre contre un appareil, une entreprise, une conjonction dont nous ne viendrons jamais à bout ? Payot en avait conscience et ses convictions l'ont incité à crier ses mots d'ordre iconoclastes.

« Toute réforme profonde, dit-il, se heurte à des antagonistes Elle demande un effort de rénovation àdes hommes qui ont leur siège fait. Ensuite elle entre en collision avec cette passion si irritable qu’on appelle l’amour propre C'est un moment douloureux, de cruel désarroi, que celui où l'on découvre qu'on a fait fausse route une grande partie de sa vie... Comment, Je suis agrégé. Je professe depuis des années avec l’approbation de mes chefs et des parents d’élèves et vous prétendez que je suis dans une fausse voie ! Cela est intolérable ! »

Nous continuons la lutte. Face à l'immobilisme nous entraînons un nombre toujours croissant d'éducateurs et de parents d'élèves inquiets de l'inadaptation de l'Ecole et du sabotage inconscient de l'éducation de leurs enfants.

L’Ecolo Moderne devient aujourd'hui une nécessité.

« Si les petits Français, termine Payot, si vifs, si ingénieux, étaient élevés dès la tendre enfance à se développer dans le sens de leurs profondes tendances ; si on se contentait de leur fournir les moyens d'exercer leur corps et leur esprit et si tout était disposé autour d'eux pour leur permettre de donner libre carrière à leurs instincts créateurs en cordiale coopération avec leurs camarades, notre France bien-aimée deviendrait bientôt le modèle des autres nations ».

 

l’enseignement du calcul et des sciences

Décembre 1961

Pratique et évolution des techniques Freinet


Pour le prochain Congrès de Caen

Dans le cadre de l’Association pour la Modernisation de l’Enseignement (A.M.E.):

L’enseignement du calcul et des sciences

A la suite des suggestions des camarades, il avait été décidé à Vence de porter à l'ordre du jour du prochain Congrès (Pâques 1962) la question toujours d'actualité de la Modernisation de l'Enseignement. Nous avons même préparé des schémas de questionnaires pour intéresser à la question non seulement les éducateurs, mais aussi les parents et les employeurs.

Mais l'étude valable d'un tel sujet aurait nécessité une importante mobilisation de compétences et de bonnes volontés, une vaste documentation et la possibilité aussi de toucher le grand public par la presse et, éventuellement la radio.

Or, au dernier moment, une partie des concours sur lesquels nous comptions nous font brusquement défaut :

— On sait que l'Association pour la Modernisation de l'Enseignement a rencontré dès sa naissance l'opposition radicale du S.N.I.. Aucune aide donc à attendre de ce côté-là. Nous sommes d'ailleurs habitués au silence total de L'Ecole Libératrice sur la discussion de nos thèmes, la préparation et la tenue de nos Congrès.

— Nous croyions pouvoir compter comme l'an dernier sur une participation active de l'Office Central de la Coopération à l'Ecole à la préparation du travail et à la diffusion de nos questionnaires.

L'O.C.C.E. ne s'engagera pas dans cette action qu'elle soutiendra seulement dans sa propagande.

— L'Institut Pédagogique National, par l'intermédiaire du Centre régional de Documentation pédagogique de Marseille avait accepté le principe de l'édition par ses soins d'une revue internationale F.I.M.E.M. et A.M.E… Un numéro réduit devait sortir au cours du premier trimestre pour amorcer et préparer le travail en attendant la parution régulière à partir du 1er Janvier 1962, dès que seraient affectés les crédits nécessaires.

Or, à ce jour, rien d'effectif n'a été mis sur pied. Les crédits manquent paraît-il, et nous ne savons pas la suite qui pourra être donnée à ces projets.

Toutes ces hésitations nous ont d'ailleurs retardés dans les premières publications concernant le thème du Congrès. Je crois donc qu'il est plus sage de resserrer le champ de nos travaux en vue d'une meilleure efficience, pour le cas notamment où nous serions amenés à ne compter que sur nos propres forces.

Je ne crois pas que dans l'état actuel de nos relations avec les divers organismes culturels nous puissions aborder avec succès une entreprise aussi vaste que l’Association pour la Modernisation de l’Enseignement

L'idée n'en a pas moins été lancée et elle continue à faire son chemin. Nous aurions voulu partir par le sommet, en intéressant à cette question, sur le plan national et international, des instituteurs, des professeurs, des psychologues, des médecins et psychiatres, des architectes, des entrepreneurs, des cinéastes, des éditeurs, etc.

Nous poursuivons toujours ce rêve illusoire d'amorcer un jour, au sommet, cette rencontre indispensable de tous les ouvriers de la même œuvre, et nous nous rendons vite compte, à l'épreuve, que notre seul destin est dans le travail à la base, dont l'efficience obligera progressivement éducateurs, pouvoirs publics et usagers à reconsidérer certains problèmes selon les principes mêmes dont nous avons rendu familières les formules. Ainsi ont triomphé, ou sont en train de triompher l'expression libre, la correspondance interscolaire, l'individualisation du travail, 25 enfants par classe. Demain on reconnaîtra comme élémentaires les liaisons entre responsables des divers degrés d'enseignement et des entreprises connexes. On s'abstiendra bien sûr de dire que nous avons été pour quelque chose dans cette évolution.

Si nous manquons de compréhension et d'appui au sommet, il n'en est pas de même dans les départements et les régions où peuvent s'organiser dès maintenant les sections de lA.M.E. actives et constructives.

L'expérience est là d'ailleurs pour nous y engager.

Chaque fois que. dans un département. nous avons organisé un colloque A.M.E., nous avons rencontré le plus franc succès : à Bordeaux, à Avignon, à St-Etienne l'an dernier, à Grenoble. Partout nous avons réuni autour d'une table ronde, pour l'étude de tous les problèmes qui nous sont communs : les instituteurs, les professeurs, les chefs d'établissements, les Inspecteurs, les Directeurs d'E.N., les psychologues, des ingénieurs, des architectes, des parents d'élèves.

Nous pouvons généraliser cette initiative par la constitution dans chaque département d'une section de l'A.M.E. qui étudiera la diversité des problèmes qui lui seront soumis, organisera des colloques et plus tard des réunions générales.

L'Ecole ne peut plus vivre repliée sur elle-même. Elle doit devenir un élément actif de la grande entreprise d'Education nationale par l'action conjuguée de toutes les personnalités, de toutes les associations qui sont intéressées au destin nouveau de l'Ecole.

Dès maintenant, des colloques A.M.E. peuvent être organisés. Ils désigneront un bureau actif. Nous tâcherons par L'Educateur et la Chronique de l'I.C.EM. de coordonner les initiatives, de faire connaître les réussites, en attendant que des associations départementales sorte un jour l'association nationale.

le Congrès fera le point de ces activités dans une séance spéciale.

***

Dans le cadre de cette A.M.E. nous allons discuter plus spécialement en vue du Congrès de deux questions d'ailleurs parallèles et qui sont d'une particulière actualité :

L'ENSEIGNEMENT DU CALCUL

ET L'ENSEIGNEMENT DES SCIENCES.

Elles étaient jusqu'à ce jour deux disciplines mineures dont on considérait fort peu l'aspect culturel. L'enseignement du calcul se limitait bien souvent è la pratique plus ou moins mécanique des quatre opérations et à la résolution stéréotypée de quelques problèmes jugés essentiels. La culture du sens mathématique passait au second plan.

Quant à l'enseignement des sciences, il était à peu près inexistant au premier degré, bien trop scolastique aussi au second degré.

L'économie et la technique du début du siècle pouvaient s'accommoder de ces rudiments. Mais depuis quelques lustres l'essor accéléré de l'industrie et du commerce, la mécanisation croissante du travail, l'automation et enfin l'électronique avec tous ses corollaires et ses conséquences ont ouvert une ère nouvelle dans laquelle l'individu peut fort bien vivre et travailler avec des rudiments de français — la radio et la télévision remplaceront bientôt l'écriture et la lecture — mais ne saurait se passer des connaissances élémentaires en calcul et en sciences. Désormais, l'illettré sera moins celui qui ne saura pas lire que l'ouvrier ou l'artisan qui n'aura point acquis les éléments majeurs dans ces disciplines.

Une philosophie nouvelle est en tram de naître sur la base des sciences exactes qui ouvrent d’ailleurs des horizons insoupçonnés vers les domaines de l'abstraction, de la vitesse, de la relativité et de l'infini. Titov et Gagarine sont les premiers héros de cette future humanité.

Seulement nous sommes tous surpris par la soudaineté de l’aventure. Nous en étions naguère à la préhistoire du calcul et des sciences et nous faisions consciencieusement réciter par cœur la table de multiplication, les règles et les théorèmes, et voilà que brusquement les IBM nous lancent vers une conception vertigineuse du calcul, que la relativité bouscule nos définitions, que la radio nous conduit à la Lune ou à Mars.

Il ne suffira pas de dire comme semblent vouloir le faire les officiels : « Voyez l'importance nouvelle des nombres et des calculs. Pour vous y reconnaître, il vous faut assurer les bases, bien compter sur les doigts et apprendre la table de multiplication. Alors vous deviendrez mathématicien ».

Et si le processus n'était plus valable puisque les machines A calculer pourraient bion, dès l'école, remplacer les opérations ordinaires ; si d'autres qualités sur lesquelles on s'attarde n'avaient plus cours en mathématiques électroniques et si étaient nécessaires au contraire dos acquisitions nouvelles dont l'Ecole n'a pas encore seulement expérimenté la possibilité !

C'est la question essentielle qu'il faudra nous poser en vue du Congrès « Quelle est la méthode de culture mathématique de l'ère électronique », en vue, non pas d'un balbutiement, mais de la maîtrise calculatrice.

Ces questions, nous ne sommes pas seuls à nous les poser. Nous avons l'avantage de compter à notre actif un certain nombre d'expériences et de réalisations qui vont nous aider à reconsidérer en profondeur l'enseignement du calcul.

La discussion commence. Nous tâcherons d'y intéresser les chercheurs scientifiques et les spécialistes qui nous aideront à nous hausser jusqu'aux solutions souhaitables.

Même déficience pour l’enseignement des sciences. Nous en étions, — nous en sommes encore — au b-a ba avec l'étude par cœur et les relations d'expériences. Il nous faudra savoir si, comme nous en sommes persuadés, on ne forme en aucun cas par ces procédés des scientifiques, mais seulement des sous-ordres et des bavards.

Nous aurons alors à dénoncer les méthodes périmées et à chercher, en accord avec les vraies scientifiques, les voies sûres pour un enseignement moderne des sciences.

Dans ce domaine aussi nous avons fait des expériences valables qu'il nous suffira souvent de confronter et de développer.

Notre entreprise, les travaux préparatoires au Congrès, les synthèses auxquelles nous devons aboutir pourraient bien influer d'une façon décisive sur la pédagogie du calcul et des sciences dans les années à venir.

Pour faire le point de nos travaux dans ce domaine, nous allons publier sans retard deux brochures Bibliothèque de l’Ecole Moderne, l’une consacrée au calcul, l'autre aux sciences. Dans le prochain numéro de L'Educateur, nous préciserons quelques-unes des questions que nous pourrions poser aux spécialistes et aux savants d'une part, aux usagers d'autre part. Il appartiendra ensuite à nos responsables et à tous les camarades de s'atteler à l'étude de ces questions, à préparer les colloques qui nous aideront à déblayer le terrain... C'est cela aussi la modernisation de notre enseignement.

Entre temps nous allons sortir à Noël un N° Spécial B. T. de l'Ecole de Buzet-sur-Baise (L.etG.) : Barbacane, le petit grillon des champs, qui est le prototype de ce que peut donner une nouvelle conception, à base expérimentale, de tout notre enseignement scientifique.

Dès maintenant, pensez à assister à notre grand Congrès International annuel de l'Ecole Moderne, qui se tiendra à Caen du 15 au 19 Avril 1962 et qui, comme chaque année, sera la grande rencontre familière de tous les éducateurs qui, à la lumière des Techniques d'Ecole Moderne, s'appliquent à réaliser une pédagogie qui permettra la formation en l'enfant de l'homme de demain.

Un accueil particulier sera réservé à nos camarades des divers pays qui vont d'ailleurs être associés à l'étude de deux thèmes d'une portée internationale.

 

 

La formation pédagogique des jeunes

Décembre 1961

 

L'apprentissage de la lecture par la méthode globale (ou analytique)

Décembre 1961

 

Le mi-temps pédagogique et sportif

Décembre 1961

 

La correspondance interscolaire au cours postscolaire agricole et ménager agricole

Décembre 1961

 

Les plans de travail dans une classe CM- FE

Décembre 1961

 

L'Educateur second degré

Décembre 1961

 

A chacun sa culture

Décembre 1961

 

La part du maître : saisir la pensée

Décembre 1961

Un camarade m'écrit :

« C'est beau, les considérations théoriques, mais pratiquement ? »

Pratiquement, afin de pouvoir rentrer dans de nouvelles considérations théoriques, je donne un exemple concret de ce qu’on pourrait faire, un jour prochain.

Un certain matin, Eugène Guillou me donne le texte suivant :

« Les oiseaux pondent des œufs ; il en sort des petits qui grandissent et qui pondent des œufs. Il en sort des petits et ça continue, toujours comme ça ».

Si nous avions donné ce thème à Aragon, Desnos, Supervielle. Rabelais, Bossuet, Racine, La Fontaine, Teilhard de Chardin, Jean Rostand, Vendrely. etc... nous en aurions eu cent développements différents.

Dans notre classe, ça a tourné dans le sens de l'infini grâce à notre philosophe : Laurent. Mais nous aurions pu, tout aussi bien, aborder la théorie évolutionniste qui aurait, au moins, le mérite d'apaiser les enfants pendant un bon moment ; ces terribles enfants qui veulent toujours savoir :

— Mais le premier homme, comment a-t-il été fait ?

— Et la première vache, le premier cochon, la première fleur ? »

Mais nous aurions pu également rejoindre Desnos : « Ça peut durer très longtemps Si on ne fait pas d'omelette avant ».

A partir de ce texte, que pourrait-on faire ?

D'abord fallait-il ne rien faire et se précipiter goulûment sur les fautes d'orthographe et les fautes de français ? Fallait- il laisser la découverte inexploitée alors que les bénéficiaires en puissance étaient nombreux ? Et pourtant, il était impossible d'exploiter le thème dans toutes les directions. Fallait-il le tirer dans un sens plutôt que dans un autre ? Et comment choisir ? Cruel multilemme !

Par chance, à mon avis du moins, le maître n'a pas à choisir, du moins pas encore. Il n'a pas à attirer le thème dans son orbite. Il doit se contenter de suivre, et c'est très reposant.

L'enfant doit lire ou dire son texte et on laisse les réflexions se déchaîner. Sur un tel sujet et dans un climat de liberté d'expression, ça manque rarement de se produire.

Cependant, par suite d'une mauvaise diction de l'élève, il n'y a quelquefois aucun rebondissement. Alors, le maître peut lire trois fois le texte : légèrement, sérieusement, ironiquement et ça peut partir dans un sens ou un autre, mais dans une direction voulue par la classe et non par le maître.

Et, s'il n'y a aucun prolongement, on garde le texte dans sa simplicité dense en essayant, peut-être, de le concentrer encore davantage.

Ainsi, à partir d'une même idée on pourrait avoir : une comptine, un aphorisme, un proverbe, une poésie, une dissertation philosophique, une satire, une églogue, un virelai, un poème en douze chants, une chanson libre, un dialogue, un opéra, un drame ou un texte libre.

Et cette dernière solution est souvent la meilleure. Mais c'est, à mon sens, cela la part du maître : faire atteindre à la pensée de l’enfant le plein de ses possibilités. Il y a donc le texte de tous les jours que l'on mène assez facilement à son terme et l'idée exceptionnelle (une seule par année, quelquefois) à laquelle on doit consacrer tous ses soins afin qu'elle puisse croître en perfection et en beauté. Et cela donne un bel album.

L'éducateur devrait être armé pour recevoir au mieux la pensée des enfants telle qu’elle se présente et pour aider l'enfant et les enfants à la fixer, sans la détruire, dans des formes qui conviennent à l'esprit de la classe de cette année-là, de ce jour-là.

La vie a mille manières de se présenter à nos élèves et ceux-ci ont mille manières de la recevoir. Je dis bien : mille, parce que chaque enfant suivant l'heure, le jour, le déjeuner copieux ou insuffisant, le baiser du matin, la couleur du ciel, le coup de poing reçu, le rire partagé, le silence éprouvé, le rêve continué ou disjoint... est sensible à tel ou tel aspect des choses.

Alors, l'éducateur, qui a la chance d'avoir beaucoup vécu, doit avoir l'esprit large, très large : un esprit d'une largeur incommensurable. En effet, il est bon qu'il ait déjà une petite expérience de ce qui va être dit ; il faut qu'il comprenne, qu'il saisisse pour qu'il puisse se mettre à la fois en avant de la pensée qui s'exprime afin d’offrir au besoin les perspectives indispensables et en arrière pour entretenir l'élan, pour aider aux passages difficiles et permettre à la pensée en marche d'aller jusqu'à son terme.

Alors, déjà, pour accueillir chaque idée et la reconnaître pour elle-même, il faut une grande réceptivité, une habileté, une plasticité d'esprit. Mais en outre, pour aider à ce qu'elle s’exprime réellement, entièrement et avec originalité, il faut une certaine habileté et surtout une grande culture dont l'Ecole Normale ou le Lycée n'a pas voulu ou n'a pas su nous nantir.

Pour l'enseignement du français, il est donc beaucoup demandé au maître. Les conditions favorables dont il devrait bénéficier pour remplir au mieux sa tâche sont encore du domaine de l'avenir. Pour obtenir la disponibilité et la culture nécessaires, il faudrait plus de bibliothèques, moins de 25 élèves, moins de tâches sociales ou familiales, plus de loisir pour la culture, la détente et la santé indispensables.

Oui, tout cela c'est pour demain. Et les enfants le connaîtront. Alors, dès maintenant on peut lutter, ça en vaut la peine.

 

Les albums

Décembre 1961

 

Questions et réponses

Décembre 1961

 

La vie de l'ICEM

Décembre 1961

 

Plan de travail annuel

Décembre 1961